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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/132

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MAT
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l’équivalent des désirs et des répugnances manifestées par tout vivant ? Entre la matière et l’esprit les savants découvrent, chaque jour, des analogies qui rendent leur parenté de plus en plus certaine.

Si le matérialisme d’un Büchner est dépassé, on peut dire du spiritualisme chrétien qu’il est mort définitivement. Le corps brut contient en puissance la vie et la pensée ; de l’inorganique sortent par évolution la plante et l’animal ; quant à l’esprit qui aime et connaît, il est encore le résultat de millénaires transformations. Rien ne permet de supposer le monde organisé du dehors par un artisan divin ; pas davantage nous ne pouvons l’imaginer, à l’instar de certains modernes, comme un vivant supérieur, doué d’une conscience et d’une personnalité. C’est en lui-même que l’univers détient ses propres lois ; le germe de son devenir éternel n’eut besoin d’être déposé par personne, il a sa source dernière dans l’impérissable substance dont matière, vie et pensée sont les aspects successifs. ‒ L. Barbedette.

Bibliographie. ‒ Büchner : Force et Matière ; Science et Nature ‒ Dauriac : Matière et Force ‒ Stallo : la Matière et la Physique moderne ‒ Lord Kelvin : Constitution de la Matière ‒Hannequin : Essai critique sur l’hypothèse des atomes dans la science contemporaine ‒ Dastre : la Vie et la Mort ‒ Le Bon : l’Évolution de la Matière ; l’Évolution des Forces ‒ Lodge : la Matière et la Vie ‒ G. Kharitonov : la Synthanalyse ‒ Stormer : De l’Espace à l’Atome ‒ Perrin : Les Atomes ‒ D. F. Strauss : Der Alte und Neue Glaube ‒ J. Moleschott : Lettres sur la circulation de la vie ‒ Ch. Vogt : Leçons sur l’homme ‒ Lamettrie : L’homme-machine ; Histoire naturelle de l’âme ‒ D’Holbach : Système de la nature ‒ Dr C. Doljan : Architecture de la Matière ‒ Lossky : La Matière, l’Intuition et la Vie ‒ Le Dantec : La Matière vivante ; la Science de la vie, etc. ; ainsi que les ouvrages mentionnés à Matérialisme.

(Voir aussi les études sur Amour, Avortement, Malthusianisme, Mère, Naissance, Procréation, Sexe, etc.).

MATIÈRE (Point de vue du socialisme rationnel). Ce qui est divisible, ce qui tombe sous les sens, ce qui est susceptible de toute forme et de toute dimension constitue la matière. Toute chose physique, corporelle ou non, prend le nom de matière. La matière représente toujours un phénomène et se rapporte à l’ordre physique, à l’ordre naturel. Au figuré, le sujet d’un écrit, d’un discours, d’une thèse, enfin une cause, un prétexte sont autant de matières à discuter.

À côté des considérations qui précèdent, il est un point à développer relatif à la matière qui se rattache tout particulièrement à la vie sociale, à la vie de l’humanité. Alors même qu’elle nous apparaît comme inerte la matière est essentiellement mobile. Le mouvement est la caractéristique de la matière devenant force modificatrice. Dès lors partout où il y a matière il y a force. Disons mieux : la matière est le mouvement même, le changement, la modification sans distinction possible de bien ou de mal, et conséquemment sans direction réelle possible vers l’un ou vers l’autre.

Ce mouvement, ce changement, cette modification, n’est perçu réellement que par l’homme qui, sous l’impulsion de la force, jointe à la sensibilité exclusive à l’humanité, perçoit le sentiment de son existence, s’intéresse à ce qui l’environne et s’oriente en vue d’utilisation pratique des faits, non seulement pour le présent, mais aussi pour l’avenir. À notre époque, outrancièrement matérialiste et despotique, certains se demandent si la matière et d’autres êtres ne pensent pas au même titre que l’homme, en se basant sur certains mouvements, sur certains gestes qui paraissent plaider en ce sens pour l’emploi de la force dans la vie sociale.

Ignorant l’impasse où ces personnes aboutissent par une acceptation trop rigoureuse de la thèse matérialiste, elles en arrivent, tout en attribuant la pensée relative à tous les êtres, à l’admettre en puissance dans la matière générale, d’où elle sort mécaniquement au moment opportun pour se métamorphoser en pensée réelle que la volonté dirige.

Pour être en accord avec la loi d’évolution, appliquée à la vie sociale, on attribuera à la matière une sensibilité métaphysique comme le fait M. J. de Gaultier, représentant pour l’homme ‒ comme pour les autres êtres et à un degré moindre ‒ une réalité ‒ illusoire ‒ supposée suffisante, qui a la propriété singulière de s’éloigner du but, à mesure qu’on approche pour l’atteindre. L’œuvre de servage économique qui s’édifie sous le pavillon de l’évolution reçoit ainsi une consécration… d’apparence… scientifique.

La matière peut paraître penser, apparaître comme pensante à ceux qui observent superficiellement, qui prennent pour critérium de leur raisonnement l’analogie.

On est matérialiste ou on ne l’est pas, et, quand on l’est, on raisonne ainsi, ne pouvant raisonner autrement.

Il n’est pas douteux que l’homme, comme les autres êtres est matière, mais est-il exclusivement matière ? Telle est la question majeure.

Du fait d’être matière, rien ne s’oppose à ce qu’il perçoive réellement le sentiment de son existence, alors que les autres êtres n’en ont qu’un sentiment instinctif et illusoire. Nul ne peut nier que l’homme perçoit dans le temps, qu’il se rend compte qu’il existe, qu’il vit, non, seulement en vue du présent mais de l’avenir. Il sent, en réalité et non en apparence, il jouit et souffre, connue il s’efforce d’éloigner la souffrance pour se rapprocher de la jouissance. Tout cela prouve qu’il pense et raisonne d’une manière plus qu’illusoire, plus qu’automatique : c’est-à-dire réellement.

Si nous observons, si nous analysons l’ordre de la matière, l’ordre physique, nous verrons que tout y est fatal, en quelque sorte nécessaire, et que dans cet ordre il n’y a pas de choix. Il est ce qu’il est, sans plus. Du reste, comment pourrait-il y avoir liberté, là où il ne peut y avoir que fatalité, intelligence réelle, là où il n’y a que mouvements ? Théorie et pratique aboutissent logiquement à reconnaître l’impossibilité de faire naître la liberté de la fatalité, aussi bien que la qualité de la quantité.

Ainsi, de la question de la matière sort la question de la liberté et de l’indépendance. Ces facultés appartiennent à l’ordre moral et non à l’ordre physique, et comportent une coordination de faits en vue d’une amélioration générale. Le sentiment que nous avons en chacun de nous de la matière, du mouvement qui nous modifie, du phénomène qui nous intéresse, nous prouve, par la coordination de la pensée et de l’action, que nous sommes sensibles réellement et non illusoirement.

Un fait, pour si intéressant qu’il puisse être, n’a aucune valeur par lui-même ; il ne vaut que par l’utilité, ou la nécessité, dont l’homme ressent le besoin et en fait usage.

Les valeurs sont toutes déterminées par le besoin que l’homme ressent ; elles appartiennent au monde social ; à l’ordre rationnel et non à l’ordre naturel.

Réfléchissons que si l’homme est tout matière, comme celle-ci est tous les autres êtres et corps, notre vie apparaît comme une série de modifications sans spontanéité, sans réalité, sans volonté, qu’elle subit tout mouvement sans en avoir conscience et sans s’y intéresser réellement. L’homme agirait comme une girouette tourne, c’est-à-dire qu’il fonctionnerait tout simplement.