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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/133

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MAT
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« Pour qu’il y ait ordre de volonté, ordre moral, dit Colins, pour qu’on puisse admettre la liberté de l’action véritable, et par suite des droits et des devoirs, il faut qu’il y ait autre chose que du matériel ; il faut qu’il y ait de l’immatériel. Cet immatériel doit être non seulement cru, mais prouvé et prouvé incontestablement. »

Si cette preuve ne peut s’établir, rien ne serait plus facile que de mettre au-dessus de toute contestation qu’il n’y a point de droit, pas de devoir, et de ce fait, pas de justice.

En pareil cas, la force fait le droit, et mieux, elle est le seul droit possible. Que le mal triomphe du bien, que le juste mais faible soit écrasé par le fort, rien qui ne cadre pas avec la loi d’évolution physique. C’est bien, du reste, sous cette influence, sous cette direction, si on peut dire, que les diverses sociétés se sont constituées empiriquement à travers les âges. La société actuelle n’est que la continuation des sociétés précédentes sous une autre forme.

La force, qui est l’essence de la matière, qui lui est inhérente, contribue à expliquer, par le raisonnement qui est l’essence de l’Humanité, l’apparition successive sur la terre des êtres inorganisés et organisés ; elle explique enfin l’apparition du globe terrestre.

Cependant, malgré sa puissance naturelle, la force ne règne que par à-coup et, sous divers signes, l’intelligence, qui n’est que la raison, la ronge constamment. Elle finira par la miner et la renverser en faisant d’elle sa servante, son aide et non sa directrice, parce que la vie des sociétés est à ce prix.

La force, la matière doit, socialement, servir l’Individu et non l’asservir si nous voulons que la liberté ne soit pas un mythe. La liberté est d’une essence autre que celle de la force. Le pouvoir d’agir ou de ne pas agir constitue la liberté psychologique.

En définitive, quand elle se manifeste comme cause la Matière est force ; comme effet elle est mouvement ; comme objet elle est modification.

Le but de conservation et d’amélioration que certains déterministes avaient découvert dans la matière, n’a rien de réel, de conscient. Il y a illusion et confusion de l’apparence avec la réalité. Un fait est ce qu’il est et n’a pas à le savoir ; c’est au raisonnement à le déterminer. Qu’un fait soit le contraire de ce qu’il est, la nature, la matière n’en sera pas affectée pour cela ; le monde social peut l’être et l’est fort souvent. La différence est due à la liberté psychologique.

Du moment que la matière a pour propriété le changement, la modification, il apparaît que la constance, la conservation, le repos sont la négation de la matière.

Ces constatations nous amènent à comprendre qu’il faut situer les moyens de rénovation et de réalisation sociale équitable en dehors de la matière et du matérialisme déterministe.

C’est ainsi que l’idée généralement admise, qu’on se fait de la matière conduit la Société à la domination de la force et de l’arbitraire et non à celle de la raison et de la justice qui sont nécessaires à la vie sociale et à la manifestation de la liberté. ‒ Élie Soubeyran.


MATRIARCAT. n. m. (du latin mater, tris, mère et du grec arkhê, commandement). Le témoignage de la Bible fit croire longtemps que le patriarcat était le seul régime familial connu des anciens. Et des philologues, désireux de confirmer les dires des livres saints, faisaient remarquer avec complaisance que le mot pater est employé dans toutes les langues européennes pour désigner le chef de famille ; preuve, assuraient-ils, de l’existence de la famille patriarcale dans la race indo-européenne primitive, antérieurement aux migrations. Des économistes ultra-réactionnaires renchérissaient, affirmant, comme le font encore les conférenciers des

ligues pour la repopulation, que c’est la famille, non l’individu, qui constitue la cellule sociale originelle. Avec Le Play, certains, n’osant demander pour le père le droit de vie et de mort sur sa femme et ses enfants, réclamaient du moins une famille souche « où l’union se perpétuerait après la mort du père, où la communauté d’existence continuerait sous la direction d’un de ses enfants, seul héritier ; cet héritier grouperait autour de lui ses frères ou sœurs que le père de famille, de son vivant, n’a pas établis dans une condition indépendante et perpétuerait au foyer paternel les habitudes de travail, les moyens d’influence et l’ensemble des traditions utiles créés par les aïeux. » Droit d’aînesse, esclavage déguisé de la femme et des enfants, voilà ce que voulaient ces bons apôtres, soutenus par des romanciers à la Paul Bourget et par le clergé catholique qui se montrait alors fort hostile aux revendications du féminisme en progrès. Et, ce faisant, l’on prétendait ramener la famille au type primitif, depuis toujours existant, que Dieu même prit la peine d’établir lorsque, fabriquant le père Adam et la mère Ève, il leur enjoignit de procréer des rejetons.

Mais les recherches sociologiques ont réduit à néant ces prétentions : notre mariage actuel n’a rien de primitif ; au cours des âges, les institutions familiales ont subi de prodigieuses transformations ; et les rapports de parenté, la filiation même n’eurent pas la fixité que les bien-pensants supposent. La promiscuité sexuelle totale, tel fut l’état des premiers hommes, probablement. On l’a contesté parce que polygamie ou monogamie se rencontrent déjà chez un grand nombre d’animaux et qu’elles constituent la règle générale chez les singes anthropoïdes. L’argument n’est pas sans valeur ; toutefois les exemples sont empruntés à des espèces dont les individus vivent, non par bandes, mais isolément. Lorsqu’ils s’associent en groupes, et ce fut sans doute le cas des hommes primitifs, les animaux s’en tiennent à la promiscuité sexuelle. Les auteurs anciens, Hérodote en particulier, signalent de nombreux peuples, ainsi les Agathyrses et les Massagètes, où tous les hommes et toutes les femmes pouvaient s’unir librement ; Strabon dit la même chose des Celtes d’Irlande et Pline des Garantes. Plus près de nous, on aurait découvert des mœurs analogues aux îles Andaman, chez les Haïdahs, chez les Indiens de la Vieille Californie, en Syrie chez les Ansariehs et les Yazidiés, etc. Mais beaucoup pensent que l’on a confondu la promiscuité avec le mariage par groupes, premier essai de réglementation sexuelle. Dans ce cas, les mariages sont interdits entre personnes d’un même clan et les hommes d’un clan doivent s’unir aux femmes d’un autre clan de la même tribu. C’est chez les Australiens et chez certaines peuplades de l’Inde que le mariage par groupes se trouve sous sa forme la plus accentuée. Ainsi chaque tribu de Kamilaroï comprend deux clans et les hommes d’un clan traitent en épouses toutes les femmes de l’autre clan, sans avoir le droit d’entretenir des relations sexuelles à l’intérieur de leur propre clan. C’est à Hovvitt et Fison, qu’est due l’expression de « mariage par groupes » ; ces sociologues ont recueilli une documentation abondante sur la mise en pratique et les modalités de ce genre d’union. Chez les Australiens Wotjoballuk du Nord-Ouest de Victoria, dont la tribu est divisée en Gamutch et en Krokitch, les hommes du clan Gamutch sont naturellement les maris des femmes du clan Krokitch et réciproquement. « Mais ce n’est qu’un droit virtuel. En pratique, pendant les grandes fêtes de l’initiation, les vieux de la tribu, réunis en conseil, distribuent entre les garçons d’un clan les filles disponibles de l’autre clan. Le mariage, appelé « Pirauru » chez les Dieri et connu des colons sous le nom de « Paramour custon », donne le droit à l’homme du clan Gamutch, par exemple, de faire acte de