Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MAG
1358

mensonge qui « justifia » le crime que se serrent aujourd’hui peureusement les hommes !

Quand nous disons que la « justice » (il s’agit ici, encore une fois, de l’appareil et des codifications qui usurpent ce nom, et non de l’esprit et des mœurs de l’équité) a sa source, sa causalité dans la propriété et que dès qu’elle apparaît, aux côtés de l’autorité, la tyrannie commence, nous entendons qu’elle a eu pour objet initial la légitimation de la mainmise de quelques individus avides ou faussement et exagérément prévoyants, au préjudice de ce patrimoine qui fut primitivement le bien de tous les hommes et n’eut jamais du être divisé. C’est pour maintenir cette division, profitable aux minorités ambitieuses ou princières, pour consacrer la prise de possession individuelle et unilatérale, pour en affirmer le droit permanent et le défendre, pour le consolider et l’étendre que lois, codes, système judiciaire se sont emparés de la liberté du monde. Enchâssant le privilège dans une armature de sauvegarde et d’exaltation, ils sont devenus les fondements d’une société dévoyée, de « l’ordre » artificiel issu d’une spoliation primitive.

Quoi, si l’on interroge les codes, les hommes auraient, ébranlé d’eux-mêmes « une société plus infernale que l’enfer des prêtres ? Ils ne se seraient associés que pour se voler, s’entre-tuer ? Suspects à eux-mêmes, ils se seraient jugés incapables d’aller dans la vie autrement qu’au milieu d’un cortège de chaînes et de châtiments ? Se condamnant au rôle d’automates, entassant lois sur lois, ils n’auraient imaginé ce prodigieux ensemble de prohibitions dégradantes que pour mieux limiter leur action, entraver leurs facultés, et cela librement, d’un commun accord, de gaieté de cœur ?… Supposer que les hommes auraient été assez absurdes pour s’appliquer à se diminuer sous peine de supplices divers, quelle injure ! Et ces chaînes qu’ils traînent leur vie durant, ils les auraient forgées par amour de la « justice », unanimes à abdiquer leurs droits naturels ?… Non, la loi n’a pas une origine si simple ou si extraordinaire. Elle fut l’œuvre diabolique d’une minorité. Les premiers oppresseurs l’inventèrent pour légitimer leurs attentats contre l’égalité humaine. Le droit de punir n’est sorti que du désir d’acquérir, de conserver, de dominer. Ce n’est pas l’oisiveté qui est la mère de tous les vices, c’est la propriété. Du jour-où il y eut des possédants et des non-possédants, l’harmonie naturelle se trouvant rompue à jamais, notre espèce connut tous les tourments avant-coureurs des actes qui, depuis, sont appelés crimes. Le droit eut pour mission de brider les pauvres en divinisant les riches. La loi fut la charte de la servitude. » (Henry Leyret)…

La longue pesée des temps, l’habileté des bénéficiaires ont fait oublier la fourberie à la base. L’erreur codifiée a pris figure de vérité, de condition normale. Une morale est venue à point l’idéaliser. À telle enseigne que c’est l’état naturel de la propriété, c’est-à-dire sa mise égale à la disposition de tous, (état jadis étouffé ou détruit), qui apparaît aujourd’hui comme une revendication injuste ou utopique. Et que l’institution de la magistrature se présente comme « tellement de l’essence de l’ordre social » ‒ ce désordre anti-humain que nous dénonçons ‒ « que sans elle, nous dit-on, cet ordre ne peut subsister »… Et il est vrai, en effet, que cet échafaudage, hors un recours divin périmé, ne s’agglomère que par le ciment conventionnel de la légalité et l’artifice vigilant du Code. Et que la magistrature, Cerbère préposé à sa garde, en prévient, par ses ripostes empressées, la dislocation… Mais, d’autre part, hors le maintien de la propriété de vol, « justice » et magistrats n’ont plus de raison d’être. Que viendraient faire et les juges et la loi autour d’une propriété dont ne serait, à personne, interdit l’accès et sur laquelle les

hommes, éclairés enfin sur la valeur de leur bien et décidés à ne plus le laisser aliéner entre des mains particulières, étendraient leur collective protection ?… ‒ Stephen Mac Say.


MAGNANIMITÉ. n. f. (du latin magnanimus, magnanime). Le terme magnanimité a quelque chose d’imprécis, la grandeur d’âme pouvant revêtir bien des formes et bien des aspects. Disons qu’il suppose non seulement retenue, détachement, mais élan positif de l’être, déploiement d’une activité qui se porte au devant d’autrui ; l’homme magnanime est tout ensemble désintéressé et généreux. À la possibilité d’une si haute vertu, La Rochefoucauld ne croyait guère, lui qui place dans « l’amour de soi » le mobile essentiel des actes humains, soutenant que « toutes nos vertus vont se perdre dans l’intérêt, comme les fleuves dans la mer ». Et l’on connaît ces maximes fameuses où il dissout en vices secrets nos plus belles qualités : « La pitié est une habile prévoyance des maux où nous pouvons tomber. » « La générosité n’est qu’une ambition déguisée qui méprise de petits intérêts pour aller à de plus grands. » « L’amitié la plus désintéressée n’est qu’un commerce où notre amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner. » « La bonté n’est que de la paresse ou de l’impuissance, ou bien nous prêtons à usure sous prétexte de donner. » « D’une manière générale toutes nos vertus ne sont qu’un art de paraître honnêtes… à une grande vanité près, les héros sont faits comme les autres hommes. » Malgré les cris indignés des moralistes officiels, La Rochefoucauld a bien décrit les sentiments qui animaient les grands de son époque, et de toutes les époques. L’erreur consiste à les prêter aux esprits élémentaires ; chez beaucoup le calcul de l’intérêt ne joue pas le rôle qu’on lui attribue ; pour arriver là il faut une puissance de réflexion assez considérable. Réaction personnelle, instincts, tendances souvent inavouables sont le motif fréquent de nos actions ; la psychanalyse permet de s’en rendre compte. Et de cet examen l’homme ne sort pas grandi ; La Rochefoucauld faisait de lui un habile calculateur, trop souvent il n’est qu’une brute cruelle et lubrique.

Selon Freud, la civilisation n’a modifié que l’apparence extérieure ; l’analyse de l’inconscient, chez l’individu cultivé, révèle l’existence de complexes, dont la grossièreté répugnante rappelle les temps primitifs : haines contre les autres, idées de vengeance, goûts sanguinaires, désirs de possession sexuelle surtout. L’instinct sexuel, voilà, pour le professeur viennois, l’animateur secret du dynamisme mental inconscient, disons mieux : l’inspirateur de toutes nos pensées, de tous nos sentiments, de toutes nos actions. De lui découleraient même les instincts vitaux, même l’instinct de conservation, instinct sexuel narcissique, dont l’objet serait l’individu lui-même. Mais un pouvoir psychique, la Censure, résultat de nos contraintes éducatives, sociales, morales, veille à l’entrée du conscient, refoulant les complexes en discordance avec nos goûts et nos pudeurs ou les déformant avec soin pour les rendre méconnaissables. Pourtant la blancheur apparente d’un cercueil ne peut faire oublier la noirceur du contenu ; ainsi doit-il en être concernant la mentalité humaine. Initiateur de génie, comme Gall, Freud a construit un édifice artificiel par bien des côtés ; il aura le mérite d’avoir exploré les régions sombres du moi.

Si une analyse profonde montre combien factices certains désintéressements, combien superficielles parfois nos vertus, elle montre aussi qu’à côté de l’égoïsme il y a place pour la générosité, dans le tréfonds du cœur humain. L’existence de sentiments désintéressés, qu’ils se rapportent à nos semblables ou à des objets supérieurs, vrai, beau, bien, ne paraît pas niable. Pendant