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qui, au bout de trois jours n’avaient pas fait appeler leur confesseur (Conciles de Latran, de Tortose, de Paris). » Reflets de leur siècle, les médecins d’alors se montraient cafards et falots.

Dans son traité institué « Questions médico-légales », Paul Zacchias qualifie les médecins du xviie siècle en disant « qu’il n’y avait rien de plus sot qu’un médecin si ce n’est un grammairien ; qu’il n’y avait pas de bons médecins qui n’eussent de mauvaises mœurs ; bref, qu’ils avaient tous les défauts : envieux, querelleurs, bavards, irréligieux ; qu’ils étaient autrefois des esclaves, que ce ne sont aujourd’hui que des infirmiers ; qu’ils ne valent pas mieux que les sages-femmes ; qu’un satirique a eu raison de dire : medicus, merdieus, mendicus ». Sans souscrire de confiance à un tel jugement, on peut en inférer que les médecins du grand siècle arrivaient à l’étiage de leurs contemporains, qui pour la plupart étaient ignares, serviles, solennels et courtisans.

Le xviiie siècle marque la défaite du cléricalisme et le triomphe de la philosophie ou du moins des philosophes. De même qu’au moment de l’épanouissement de la pensée grecque, la caste sacerdotale voit s’évanouir son prestige moral sous le souffle de l’esprit critique, son hégémonie intellectuelle devant le rayonnement de la recherche scientifique. L’aristocratie entière, française et européenne, répond à l’appel de Voltaire, travaille à « écraser l’Infâme » et il déboulonner les Dieux. Si tous les médecins d’alors ne furent pas des Helvétius le Père ou des Cabanis, en bons enfants de leur siècle ils devinrent des esprits forts sinon des athées, et s’inspirèrent davantage de la physiologie animale que de la théologie humaine ou de la scolastique classique.

Fils de Rousseau, le xixe siècle jucha l’homme sur le piédestal vidé de ses divinités. L’opinion se fit humanitaire, sentimentale, charitable. Un déisme vague se substitua à l’idolâtrie de naguère, et le culte nouveau compta de nombreux servants. Plus que tout autre, le médecin parut exercer une sorte de sacerdoce laïque auréolé d’apostolat. Il jouait le rôle de consolateur des affligés de misères physiques au-dessus des ressources de l’art. À l’exemple des prêtres des religions périmées, le nouvel officiant bénéficiait d’immunités civiles et militaires, de privilèges fiscaux tacites, jouissait des honneurs publics et privés, percevait des honoraires soustraits au contrôle et au marchandage. En revanche, il assumait la charge morale d’assister gratuitement les déshérités de la fortune. À l’image de son siècle, le praticien était romantique.

Quatre grandes caractéristiques sociales distinguent actuellement le xxe siècle : le développement mécanique, la prédominance du groupement, la prépondérance du chiffre d’affaires, l’absolutisme de la fiscalité d’État. Reflet plus ou moins pâle de son milieu d’action, le médecin d’aujourd’hui se trouve technicien, syndiqué sinon syndicaliste, attentif au rendement financier de son travail, patenté et imposé sur toutes les coutures.

Finis, le sacerdoce et l’apostolat. La société demande au médecin non de consoler, mais de guérir ; non de présenter une haute valeur morale et une miséricordieuse bonté, mais d’être compétent. Le malade n’a cure de paroles ni souci de boniments. Il veut être observé, palpé, percuté, ausculté, pesé, mensuré ; il réclame une analyse d’urine, l’examen de l’expectoration et du sang, le cathétérisme de tous ses conduits, la radioscopie et la radiographie de chacun de ses organes ; il requiert, à la conclusion, une intervention médicale ou chirurgicale rapide et efficace. Il ne souhaite ni attendrissement ni prières, mais exige un diagnostic et un traitement. Dès lors la médecine cesse d’être une profession pour devenir un métier.

La complexité de la tâche y impose, comme dans l’in-

dustrie, la division du travail et le recours à la spécialisation. La multiplicité des techniques, les particularité des groupes morbides, la diversité des thérapeutiques empêchent un homme d’en connaître et pratiquer à fond l’ensemble, l’obligent à restreindre son effort sur une partie bien délimitée de l’art médical. D’ailleurs, chaque jour davantage, le patient va de lui-même chez le spécialiste. Le médecin de famille, amical et vénéré, a vécu ; le technicien, impersonnel et impassible, lui succède.

Faisant œuvre de ses mains autant que de son cerveau, devenu « ouvrier », le médecin devait fatalement suivre le mouvement de concentration issu de la forme capitaliste de l’économie contemporaine, constituer son groupement professionnel en lui imprimant cependant ses caractéristiques propres. Composée de praticiens assurant à la fois la conception et l’exécution de leur travail, l’organisation corporative médicale tient tout ensemble du trust patronal et du syndicat prolétarien. À l’instar du premier, elle s’efforce à maintenir et consolide. son monopole de l’exercice de l’art de guérir ; comme le second, elle lutte pour une rémunération toujours plus large du labeur individuel. Le syndicat médical d’aujourd’hui est donc un groupement sinon d’appétits, du moins d’intérêts.

Une de ses tâches primordiales consiste en la sauvegarde du privilège légal de ses membres et la poursuite de l’immense légion des guérisseurs non patentés : rebouteurs, magnétiseurs, masseurs et infirmiers à prétentions doctorales. Le nombre de ces faux médecins augmente d’une façon incroyable ; et il n’y a plus de coiffeur pour hommes ou pour dames qui n’opère au hasard le traitement des affections de la peau et du cuir chevelu par les rayons ultra-violets. Les syndicats cherchent surtout à réprimer le préjudice matériel causé par des concurrents exerçant sans le diplôme d’État et par conséquent sans les préalables sacrifices pécuniaires nécessaires à son obtention. En réalité, le plus grand inconvénient ne se trouve pas là ; la clientèle ira de préférence au praticien officiel, s’il est dûment outillé. Le danger réside principalement dans le discrédit que les fautes et les erreurs des manipulateurs incompétents peuvent faire rejaillir sur des modes thérapeutiques inoffensifs et efficients quand ils sont administrés avec discernement par des gens du métier. La médecine est un art déjà bien difficile pour les initiés. Quelle source de périls peut-elle devenir entre les mains d’ignorants dont le seul crédit repose sur l’incommensurable crédulité publique !

Le relèvement des honoraires apparaît le second but Immédiat poursuivi par les syndicats médicaux. Ils suivent leur époque dans la marche à l’argent succédant à la marche à l’étoile, si tant est que celle-ci ait jamais prévalu. Le spectacle de l’enrichissement des négociants de tout ordre a déchaîné dans l’ensemble des corporations une émulation passionnée et agissante. Comment ! l’épicier, le marchand de vin du coin, sans apprentissage spécial, sans compétence technique, auront acquis une fortune rondelette en une dizaine d’année, tandis que le médecin de quartier, de ville ou de campagne aura peine à vivre bon an mal an au prix d’un diplôme difficilement obtenu et chèrement payé ! Nuit et jour sur la brèche, impuissant même à jouir sans inquiétude d’un loisir qu’il sait pouvoir lui être à chaque instant arraché, le praticien harassé devra se contenter d’émoluments à peine supérieurs à ceux d’un ouvrier qualifié à travail horairement limité ? Cette situation devenait intolérable pour les intéressés ; et leurs syndicats prirent à cœur de la modifier. À tort, à raison ? Le Dr  de Fleury, académicien aimable et disert, trouve « les jeunes générations médicales un peu trop pressées d’en finir avec la médiocrité pécuniaire » ( « Le Méde-