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dans notre littérature. Malheur au candidat qui s’aviserait, aujourd’hui encore, de dire ce qu’il pense de cette baudruche, gonflée outre mesure par les critiques universitaires ! Si les rois ont disparu, la corruption continue de sévir comme autrefois. « Chez nous l’Académie, corruptrice officielle, joue un rôle prépondérant dans l’achat des consciences ; citadelle du traditionalisme le plus borné, elle met au service de la réaction, ses immenses richesses et son influence. À ses yeux, l’art n’est admissible qu’à la remorque de la Finance ou de l’Église ; la franchise est une tare qu’elle ne pardonne pas. Pourquoi ce protestant, cet israélite, ce libre-penseur saluent-ils si bas nos puissants prélats, pourquoi une telle déférence à l’égard des plus sots préjugés ? Travail d’approche, prélude d’une candidature ; l’échine doit être souple lorsqu’on fut rouge et mécréant. D’où ces transformations savantes qui vous blanchissent un écrivain, ces conversions lentes ou brusques qui camouflent en partisan de l’ordre un ancien champion de la république. » (Le Règne de l’Envie). Si, durant quelques années, l’Académie Goncourt put paraître un peu moins réactionnaire que son aînée l’Académie Française, il appert qu’elle aussi est en voie de se convertir et de prendre ses directives dans les sacristies. Comme, d’ailleurs, l’immense majorité de tous les organes soi-disant littéraires, ouverts seulement aux adorateurs du veau d’or et aux serfs de notre « saint-père » du Vatican. Elles foisonnent, ces ignobles feuilles parisiennes : Nouvelles Littéraires, Candide, Gringoire, etc., qui se croiraient déshonorées de citer les organes ou les litres d’avant-garde. Et le chantage des éditeurs qui ne publient que les écrits bien comme il faut ! À notre époque, autant, plus même qu’autrefois, il faut se résoudre à n’être qu’un valet de plume si l’on veut avoir sa place marquée au râtelier officiel.

Quant aux écrivains, aux savants, aux artistes qui restent en dehors des cénacles et des partis, qui se refusent à encenser personne, ils savent que de mécènes ils n’en rencontrent jamais. Aujourd’hui surtout où la bourgeoisie s’est tournée en bloc vers l’Église, maudissant les libres esprits qu’elle regrette d’avoir applaudis autrefois. Et tous ceux qui, à un titre quelconque, sont mêlés au mouvement d’avant-garde, tous ceux qui s’efforcent de faire vivre une publication propre ou de propager une ligue, un mouvement, savent au prix de quelles difficultés effroyables ils parviennent à boucler leur budget, quand ils y parviennent. Mais consentez seulement à être spirite ou théosophe, à garder la croyance en Dieu tout en rejetant les dogmes, à admettre un christianisme édulcoré, et des dames riches, de généreux bienfaiteurs se rencontreront pour remplir votre escarcelle vide. Demandez plutôt à Krishnamurti, le nouveau messie inventé par Annie Besant ! L’athée, lui, ne peut attendre que persécution des bien-nantis, même lorsqu’ils se disent anticléricaux.


MÉDECIN n. m. (du latin medicus). Le médecin est un homme parmi les hommes, un être exerçant la médecine et vivant au sein d’une société qui agit sur lui de toute sa puissance collective et sur laquelle il réagit dans la mesure de ses moyens individuels. En d’autres termes, il s’avère fonction du milieu qu’il habite, et modifie cette ambiance selon les possibilités, très souvent restreintes ou nulles, de sa propre personnalité. La société fait le médecin ; chaque époque de l’histoire a les médecins qu’elle mérite. Pour savoir ce que le médecin fut autrefois, est aujourd’hui, deviendra demain, il faut, et cela suffit, étudier le passé, examiner le présent, scruter l’avenir de la civilisation.

Tout de suite, il apparaît que, dans les premiers groupements ethniques entrés dans l’histoire, les méde-

cins étaient les prêtres. Durant leurs primitifs balbutiements, l’art et la science évoluèrent dans le domaine du merveilleux ; et, à l’instar de toutes les spéculations intellectuelles initiales, la médecine s’affirme au début sacerdotale. La superstition voyait dans les maladies des manifestations maléfiques dirigées contre les hommes par les forces inconnues mouvant l’univers et craintes autant que vénérées sous le nom de dieux. Servants et bénéficiaires du culte mystagogique, les prêtres constituaient les intermédiaires obligatoires entre les patients et les puissances du mal. Partout, dans toutes les civilisations antiques de l’Inde, de l’Asie centrale, de l’Asie Mineure, de l’Égypte, de la Grèce, ils soignent par les paroles, les évocations, les incantations, les exorcismes, et aussi par les végétaux et le scalpel. En Grèce, avant la période hippocratique (460 av. J.-C.), la médecine se pratiquait dans les temples d’Esculape, ou asclépions. Le malade était déposé dans le temple, y couchait, recevait le plus souvent la visite du dieu, racontait au réveil les rêves inspirés, dont le prêtre donnait l’interprétation et tirait les formules de traitement. On conçoit aisément quel rôle la mystification et le charlatanisme pouvaient jouer dans cette mise en scène religieuse et cette enceinte sacrée.

Lorsque, par le développement de l’esprit humain, l’exercice de la médecine nécessita la connaissance d’une doctrine et d’une thérapeutique plus positives ; ainsi que celle d’un manuel opératoire précis, elle échappa à la main-mise de la caste des prêtres, ennemis professionnels de la pensée novatrice et de l’action efficace, pour passer à la classe laïque des philosophes, observateurs de la nature et facteurs de progrès. Hippocrate et ses élèves, son contemporain Platon et, à une époque postérieure (350 av. J.-C.), Aristote comptent parmi les plus illustres de ces médecins philosophes, dont les enseignements influencent encore la science médicale moderne.

La force matérielle et la conquête romaines, ruinèrent l’école philosophique ; et les premiers médecins de la république latine furent presque tous des esclaves ou des affranchis, émigrés des colonies grecques ou de l’Asie-Mineure et apportant avec eux une pratique grossière frelatée de thaumaturgie. Venu en 164 de Pergame à Rome, Galien se distingua parmi tous, sortit sa profession de l’ornière de l’empirisme Alexandrin, et fonda la médecine expérimentale par ses recherches anatomiques et physiologiques sur les animaux.

Depuis Galien jusqu’au Moyen-Age et durant celui-ci, la médecine se trouva entre les mains des Arabes, ensuite des Arabistes et de leurs fils spirituels, les Juifs, tous praticiens qui profitèrent de l’enseignement de Galien mais en l’amplifiant, le déformant et l’obscurcissant jusqu’à l’oubli de sa source même. Du viie au xvie siècle, l’Europe Occidentale entière demeura tributaire de la science orientale arabe appliquée par des Juifs. Charlemagne avait pour médecins deux Juifs. À cette époque « le médecin à la mode est un étranger, un Juif ou un Maranne, pompeusement habillé, avec au doigt de nombreuses bagues d’hyacinthe, prononçant avec emphase des grands mots semi-barbares, grecs ou latins (Dr  Meunier, « Histoire de la Médecine », p. 183). » À cette époque obscure et troublée, le médecin était donc un charlatan au profil sémite et à la bourse dorée.

Mais depuis le xe siècle, l’Église catholique travaillait à gagner la toute puissance. Lorsqu’elle parvint à établir sa suprématie, elle condamna les Juifs et, sous peine d’excommunication, interdit aux chrétiens de se faire soigner par eux. Dès lors la médecine retomba entre les mains des prêtres, les seuls savants de l’époque. Les médecins étaient tous des clercs et, comme tels, astreints au célibat. Jusqu’à la fin du xvie siècle, l’Église « garda la haute main sur les praticiens qui, orthodoxes ou non, devaient cesser leurs visites aux malades