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depuis ceux militaires des maréchaux de l’Empire, ceux appelés Mémorial de Sainte-Hélène auxquels Napoléon collabora pour mettre un dernier maquillage sur son histoire, ceux politiques de Chateaubriand, de Mme  de Rémusat qui fut un témoin lucide et un juge sévère de la cour impériale, ceux politiques aussi de Guizot, ceux littéraires d’A. Dumas, de P. de Kock et autres, jusqu’à ceux de M. Claude qui sont un bas feuilleton policier écrit dans un style d’une platitude désarmante. Il y eut aussi les Mémoires fantaisistes ; ceux de Joseph Prudhomme, prototype de Foutriquet, de Bouvard et Pécuchet, de Tribulat Bonhomet, du père Ubu, de M. Lechat, écrits par Henri Monnier, sont les plus réussis.

La fantaisie se mêla de plus en plus aux Mémoires pour les transformer en romans généralement inférieurs. Aujourd’hui, il n’est pas de soliveau ministériel ou académique, de cabotin ou de catin à la mode, ayant joué un rôle plus ou moins malfaisant, ridicule ou scandaleux, qui n’écrive ou plutôt ne fasse écrire « ses Mémoires » par quelque plumitif affamé. On a eu, il n’y a pas longtemps, ceux de Mme  Otero qu’une publicité sans pudeur compara aux Confessions de J.-J. Rousseau !…

Diverses collections réunissent les Mémoires qui ont fourni à l’histoire le plus intéressant des apports : celle des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, par Petitot et Monmerqué (1819-1829) en 130 volumes ; celle des Mémoires relatifs à l’Histoire de France depuis la fondation de la monarchie française jusqu’au xviiie siècle, réunie par Guizot (1823-1835) en 31 volumes, et sa suite depuis le xiiie siècle jusqu’à la fin du xviiie, par Michaud et Poujoulat (1836-1839) en 32 volumes ; celle des Mémoires relatifs à la Révolution Française, par Berville et Barrière (1820-1827) en 55 volumes, et d’autres. Il faut citer encore les Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres suivis de ceux de l’Institut, ceux de l’Académie des Sciences, et la collection des Mémoires sur l’art dramatique où sont réunis ceux de Goldoni, Collé, Mlle  Clairon, Talma et d’autres auteurs ou acteurs, formant 14 volumes. Citons enfin, parmi les Mémoires d’auteurs étrangers, ceux de Frédéric II, de Catherine II, de Franklin, de Mme  Elliott, de Jefferson, de Rostopchine, et parmi les Mémoires autobiographiques, ceux de Benvenuto Cellini, Casanova, Luther, Gœthe, Wagner et Tolstoï.

Tous les Mémoires dits « historiques » n’ont pas la même valeur. Souvent, leurs récits ne doivent être admis qu’avec la plus grande circonspection et après de nombreuses confrontations. À côté des tendances particulières aux auteurs et qui dominent chez presque tous sur la vérité historique, il faut tenir compte de celles des partis, et bien des jugements sont sujets à caution. Voltaire, comparant les Mémoires qui paraissaient simultanément en Angleterre et en France, disait : « S’ils s’accordent ils sont vrais ; s’ils se contrarient, doutez. » Renan a écrit à propos des Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, de Guizot : « C’est presque une obligation pour l’homme qui a tenu dans sa main les grandes affaires de son pays de rendre compte à la postérité des principes qui ont dirigé ses actes et de l’ensemble de vues qu’il a porté dans le gouvernement. » Cela serait très bien, si ces hommes n’avaient pas agi si souvent sans principes et n’étaient pas surtout occupés, en écrivant leurs Mémoires, a donner le change sur leurs erreurs pour rechercher des justifications posthumes. On attend toujours les Mémoires d’un homme d’État qui, faisant loyalement son examen de conscience, dira : « Voilà comment je me suis trompé. Tirez-en les enseignements nécessaires !… » Ils sont pourtant nombreux ceux qui devraient s’exprimer ainsi. Est-il, par exemple, un seul des responsables de la grande guerre qui reconnaîtra son crime et son impéritie ? Non. La librairie est encombrée

de la masse de leurs Mémoires où ils étalent avec une impudente vanité leur prétendu rôle dans la direction d’événements qui les avaient dépassés dès le premier jour. Tous ces apprentis sorciers sont fiers des calamités qu’ils ont déchaînées et de leur criminelle aberration.

Un grand nombre de Mémoires sont apocryphes ; d’autres sont nettement faux, tels ceux attribués à Mme  de Maintenon. Voltaire, qui a volontiers « plutarquisé » dans son Histoire du siècle de Louis XIV, en disait : « Presque chaque page est souillée d’impostures et de termes offensants contre la famille royale et contre les familles principales du royaume, sans alléguer la plus légère vraisemblance qui puisse donner la moindre couleur à ces mensonges. Ce n’est point écrire l’histoire, c’est écrire au hasard des calomnies qui méritent le carcan. »

Parmi les Mémoires apocryphes, il y a des Mémoires de d’Artagnan, des Chroniques de l’Œil de Bœuf, des Mémoires de Napoléon Bonaparte. Ce genre se retrouve dans celui, fort en vogue aujourd’hui, des biographies romancées pour continuer à mêler à l’histoire les fables les plus aventureuses, les fantaisies les plus grossières et les plus tendancieuses. M. Daniel Mornet, maitre de conférences à la Sorbonne, a sévèrement jugé ce genre en écrivant fort justement : « Les biographies romancées sont dangereuses. Elles sont des écoles de truquage ou, plus poliment, de rhétorique. Elles habituent à « farder la vérité » et à goûter la vérité fardée. Elles sont à la vie vraie et à la conscience ce que leur sont le monde où l’on se farde et la conscience de ceux qui s’y plaisent. » Ce genre ne pouvait que convenir à notre époque où la sophistication s’étend à tous les domaines pour égarer l’opinion et lui faire accepter, démocratiquement, le retour à toutes les turpitudes du passé. ‒ Édouard Rothen.


MENCHEVISME n. m. Vers 1900, une divergence d’idées importante se manifesta au sein du Parti social démocrate Russe. Une partie de ses membres, se cramponnant au « programme minimum », estimait que la révolution russe, imminente, serait une révolution bourgeoise, assez modérée dans ses résultats. Ces socialistes ne croyaient pas à la possibilité de passer, d’un bond, de la monarchie féodale au régime socialiste. Une république démocratique mais bourgeoise, qui ouvrirait les portes à une rapide évolution capitaliste, telle était leur idée fondamentale. La « révolution sociale » en Russie était, à leur avis, chose impossible pour l’instant.

Beaucoup de membres du parti avaient une opinion opposée. D’après eux, la révolution aurait toutes les chances de devenir une « révolution sociale », avec ses conséquences logiques. Les autres socialistes renoncèrent au « programme minimum », ils s’apprêtèrent à la conquête du pouvoir et à la lutte immédiate et définitive contre le capitalisme. Les leaders du premier courant furent : Plékhanoff, Martoff et autres. Le grand inspirateur du second fut Lénine.

La scission définitive, irrémédiable, entre les deux camps eut lieu en 1903, au Congrès de Londres. Les social-démocrates de la tendance léniniste se trouvèrent en majorité. « Majorité » étant en russe bolchinstvo, on appela les partisans de cette tendance bolcheviki (en français : majoritaires). « Minorité » étant en russe menchinstro, on dénomma les autres mencheviki (en français : minoritaires). Et quant aux tendances elles-mêmes, l’une obtint le nom de bolchevisme (Voir ce mot), l’autre, celui de menchevisme (tendance de la minorité).

Après la victoire des bolcheviki en 1917, Ils déclarèrent le menchevisme contre-révolutionnaire et l’écrasèrent.