rale, de politique, que je ne puisse faire entrer dans ces Mémoires. » (Proudhon : Lettres).
Les Mémoires qui racontent les événements appartiennent a la fois à l’histoire et à la littérature. Pour l’histoire, ils sont une source de documents des plus précieux, avec les annales, les chroniques et les archives. En littérature, ils sont un des genres les plus vivants et, comme tel, ils ont toujours eu la faveur du public, de préférence aux œuvres d’imagination dont le succès est soumis davantage aux caprices de la mode. Ce sont eux surtout qui, parmi les matériaux de l’histoire, la font lire avec plaisir parce que les événements en sont curieux », disait Mably, et il ajoutait : « Je ne suis plus un lecteur qui lis, je suis un spectateur qui vois ce qui se passe sous mes yeux. » Ph. Chasles a constaté qu’en France les Mémoires historiques et littéraires étaient des produits de la sociabilité particulière formée par la sagacité et l’esprit d’analyse et d’ironie. Il a écrit : « De cette sociabilité française émana le Mémoire historique, le seul genre d’histoire qui nous convienne, celui dans lequel nous avons excellé. Notre histoire véritable, ce sont des lettres, des anecdotes et des portraits, œuvres de bonhomie et de vanité, où l’amour propre prend ses aises. La vie en France se compose d’actes et de sensations beaucoup plus rapides et plus vifs que dans les autres pays de l’Europe ; ces sensations recueillies par nos gens de cour, d’église ou de cabinet, forment une admirable galerie d’études sur l’humanité vue dans l’état social. Aux Mémoires de Retz de Saint-Simon, de Mme de Staël, aux Confessions de Jean-Jacques, les peuples étrangers ne peuvent rien opposer ; c’est de l’esprit, de l’éloquence, de la conversation et du drame. » Sainte-Beuve a remarqué que : « Tout homme qui a assisté à de grandes choses est apte à faire des Mémoires. »
Nous verrons plus loin que les Mémoires ne méritent pas toujours une entière confiance par leur exactitude. Voltaire disait que « l’histoire est le récit des faits donnés pour vrais, au contraire de la fable qui est le récit des faits donnés pour faux ». C’est en produisant à la fois le récit des faits donnés pour vrais et donnés pour faux que les Mémoires sont de l’histoire et de la littérature. Mais si tendancieux qu’ils soient, ils contiennent toujours une vraisemblance, sinon une vérité, que n’ont pas la légende, la fable, le roman. Ils font penser que si les faits ne se sont pas produits exactement comme ils sont racontés, si les individus n’ont pas été absolument tels qu’on les a ou qu’ils se sont dépeints, ils pouvaient se produire ou être ainsi. C’est cette vraisemblance qui a permis le plutarquisme (voir ce mot) par ses apparences de vérité. Elle manque, malgré les références de certains livres appelés « historiques » aux fantasmagories adaptées à l’histoire d’après la mythologie, et il faut les pauvres cervelles dévoyées par la Bible pour croire aux Samson et aux Jonas transposés des fables d’Hercule par les Hébreux imitant les Grecs. Il faut de même avoir le crâne bourré de religion et de nationalisme pour arriver à se convaincre « historiquement » que saint Denis marcha en portant sa tête dans ses bras, que l’étendard des rois fut remis par un ange à des moines, que le Saint Esprit apporta du ciel l’huile dont ces mêmes rois seraient oints à leur couronnement, que des voix célestes commandèrent à Jeanne d’Arc de sauver la France, que des immortelles poussèrent à l’île d’Aix sous les pas de Napoléon et que sainte Geneviève arrêta la marche des Allemands en 1914. Par contre, il suffit que la plupart des mots historiques soient vraisemblables pour qu’ils soient tenus pour certains, le plutarquisme aidant.
Les annales ont été la première forme de l’histoire. Elles ont consisté dans l’enregistrement chronologique des événements dont on voulait conserver le souvenir. Celles des Chinois, Assyriens, Égyptiens, Grecs, Romains sont du plus grand intérêt pour l’histoire de la
La chronique devint les Mémoires lorsque l’auteur prit une place personnelle de plus en plus importante dans le récit. Elle mêla alors aux faits historiques et d’ordre général des points de vue particuliers intéressants, surtout quant aux mœurs et à l’état de la critique. Les Souvenirs de Mme de Caylus, qui seraient apocryphes d’après M. Funck-Brentano, et les Confessions de J.-J. Rousseau sont en ce sens des Mémoires. L’histoire a trouvé une mine inépuisable, après les annales et les chroniques, dans des Mémoires comme ceux de Du Clercq et de Commines (xve siècle), d’Olivier de la Marche, de Montluc, de Saulx-Tavaunes, de La Noue, de d’Aubigné, de la reine de Navarre, de Pierre de l’Estoile (xvie siècle). À partir du xviie siècle, ils se multiplièrent. Il n’est guère d’hommes d’État, de guerre ou d’église, de grands seigneurs et de mondains qui n’aient écrit les leurs, depuis Sully jusqu’aux principaux acteurs de la Révolution. Il faudrait une longue nomenclature pour les citer tous. Les Mémoires les plus célèbres sont ceux du temps de la Fronde, ceux de Retz, de Molé, de Mme de Montpensier, puis ceux de La Rochefoucauld, de Dangeau, de Saint-Simon, de l’abbé de Choisy, de La Porte, de Mme de La Fayette, de Duclos, du maréchal de Richelieu, de Mme du Hausset sur la Pompadour, de d’Argenson, de Bachaumont, de Mme de Campan sur la vie privée de Marie-Antoinette, de Mme d’Epinay, de Mme du Deffand, etc… Nombreux aussi sont les mémoires du temps de la Révolution qui vit en particulier ceux de : Mme Roland d’une si grande élévation et d’une si sereine pensée.
Au xixe siècle, les Mémoires furent de toutes sortes,