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comme des systèmes impérieux pour expliquer l’univers, exposés avec plus ou moins d’art et de génie. Loin d’être poètes, nos métaphysiciens sont les plus prosaïques des hommes. C’est la faune métaphysique que nous combattons, c’est la caricature, la parodie du rêve et de l’idéal. Elle nous rend plus précieuse la vraie métaphysique, qui est le droit pour l’esprit de concevoir une réalité plus harmonieuse que la réalité utilitaire. Il n’est point interdit à l’esprit humain de vagabonder loin des sentiers battus, de faire l’école buissonnière hors de la férule des pédagogues. L’utopie n’est point interdite au cerveau, car elle est la vérité de demain. Il y a utopie et utopie. Les bourgeois ont leurs utopies. L’utopie du bourgeois est mesquine : c’est de vivre en paix au sein de sa famille. Le bourgeois croit que sa domination est éternelle. Il ne peut concevoir un monde meilleur, sauf dans l’autre vie. L’utopie est créatrice d’action, elle nous arrache à l’obsession de la réalité présente pour nous faire entrevoir la réalité de demain. Elle est du domaine de la poésie, et la poésie est partout où il y a de la vie. Un esprit uniquement préoccupé par les choses matérielles, accaparé par l’affairisme, s’abstenant de toute incursion dans la sphère des idées, ayant banni le spirituel de la vie, serait un monstre. Et il y a beaucoup de monstres dans la société. Leur originalité consiste à se vautrer dans la boue. Aucun idéal n’ennoblit leur existence. Ce sont des êtres dont rien ne justifie la présence dans le monde, on se demande ce qu’ils sont venus faire sur la terre. Il y a parmi eux des utopistes qui ont fait de l’utopie une chose absurde, ils déshonorent l’utopie. Celle-ci aura toujours, pour l’arracher à la matière de nobles esprits, formant une élite au sein de la société, qui entendent conserver le droit de penser et de rêver malgré l’impuissance et la mort.

Les métaphysiciens sont des poètes. C’est pourquoi ils nous intéressent. Un métaphysicien est un poète qui est avant tout lui-même. Là encore, l’individualisme créateur joue un rôle. Méfions-nous des métaphysiciens qui ne sont pas poètes, qui ne sont que métaphysiciens. La véritable métaphysique est une poésie supérieure, qui traduit le tempérament de son auteur. Une métaphysique est l’expression d’une individualité. Elle est le reflet de son créateur : belle ou laide, elle reflète son visage. Suivant le cerveau qui l’élabore, la métaphysique aboutit, soit à une œuvre de génie, soit à une œuvre de folie.

La métaphysique n’est pas toujours cet « art d’apaiser les antinomies, de calmer les contradictions internes qui sont en nous », dont parle Han Ryner. Elle laisse ce soin à l’esthétique. Lorsqu’elle l’interroge, elle s’expose à moins d’erreurs. Elle est sur le chemin de la sagesse.

Il y a des métaphysiques absurdes. On ne peut les prendre au sérieux. Elles n’ont même pas l’excuse de la poésie. Tant vaut le métaphysicien, tant vaut la métaphysique. Il faut voir dans les métaphysiques des systèmes plus ou moins ingénieux pour expliquer l’origine du monde et de la vie. Sachons goûter toutes les métaphysiques, en restant fidèle à la nôtre. N’excluons aucun système, mais sachons choisir entre tous celui qui choque le moins notre harmonie intérieure.

Nous ne faisons pas assez de métaphysique et nous faisons beaucoup trop de pseudo-métaphysique. La métaphysique ouvre de vastes horizons. Elle est à l’avant-garde de la philosophie. Elle joue le rôle d’éclaireur. Si elle s’égare, le monde entier s’égare avec elle.

Toute science suppose une métaphysique. Sans métaphysique, une science est un corps sans âme. La métaphysique se tient à côté de la science, pour guider ses recherches. Compagne assidue, elle veille sur sa destinée. Nous ne pouvons nous passer d’hypothèses. Elles font progresser la science et la philosophie. Elles créent

de nouvelles formes de beauté et de nouvelles raisons de vivre. Polir emprunter encore une définition de Han Ryner, je dirai : « La métaphysique est le prolongement rêvé de toutes les sciences et peut-être de tous les arts. »

Certains esprits myopes veulent chasser la métaphysique de la vie, c’est-à-dire en exclure toute poésie. Prétention que rien ne justifie ! La métaphysique, ou la poésie – c’est la même réalité – reprend toujours ses droits. On a beau la chasser de la vie, elle y revient sans cesse. Elle est diverse, comme elle. Elle épouse toutes ses formes ; unité, dualité, trinité, pluralité, le métaphysicien a le choix. Qu’il écrive un poème harmonieux, c’est pour nous l’essentiel. Qu’il fasse œuvre d’art, il fera œuvre de philosophie.

On ne peut se passer de métaphysique, mais on peut se passer de certains métaphysiciens. La métaphysique, cette « poésie des profondeurs » – ainsi la qualifie Han Ryner –, durera autant que l’humanité. L’humanité ne peut pas se passer de rêves. Il y a des rêves étroits, comme ceux que font les âmes bourgeoises. Il y a des rêves vastes comme l’univers. Ce sont ces rêves que les vrais métaphysiciens ne cesseront de faire, chaque fois que l’âme humaine se recueillera en présence de l’infini.

La métaphysique, ou ontologie (science de l’être), encore appelée philosophie première, envisage les problèmes de la psychologie, de la logique et de la morale, à un point de vue universel et absolu. Elle s’efforce d’atteindre la réalité cachée sous les apparences. À la métaphysique se rattachent le problème de la valeur de la connaissance, où s’affrontent le réalisme et l’idéalisme, – le problème de la matière, où l’on voit aux prises le mécanisme et le dynamisme, – le problème de la vie qui a reçu différentes solutions, parmi lesquelles l’hypothèse du transformisme, auquel s’oppose le créationnisme, – le problème de l’âme, qui engendre le conflit du matérialisme et du spiritualisme, – le problème de l’existence de Dieu, soulevant la question du dualisme et du panthéisme. D’autres problèmes aussi complexes sont abordés par la méthode métaphysique, qui a ses avantages et ses inconvénients, comme toute méthode. L’origine de la vie, la matière, la force, ont donné lieu à des hypothèses hardies. Dernièrement, les théories einsteiniennes (qui intéressent par certains côtés la métaphysique) ont modifié notre conception de l’univers. Vous savez tout le bien et le mal qu’on a dit d’Einstein. La presse lui a consacré des colonnes entières. L’Institut l’a boudé. Einstein est un génie, un homme, j’allais dire un surhomme, dans la plus noble acception du mot. Cet Allemand est un grand européen par son cœur et son esprit. C’est un grand pacifiste. On a beaucoup écrit en France sur la théorie de la relativité restreinte et généralisée (citons Nordmann, Fabre, Langevin, Becherel, Berthelot, Warnand, Painlevé), modifiant nos idées sur l’espace et le temps, ce qui démontre, une fois de plus, que rien dans la science n’est définitif, et que ce qui fait en somme son intérêt ce sont ces déplacements de perspective, ces perpétuels recommencements, choses consolantes et déprimantes tout ensemble. Les théories einsteiniennes viennent appuyer dans une certaine mesure le mouvement connu sous le nom de pragmatisme auquel ont collaboré, à des titres divers, des savants et des philosophes tels qu’Henri Poincaré, Boutroux, Bergson et William James.



Un des problèmes examiné par la métaphysique, c’est celui de la valeur de la science. La valeur de la science a été mis en doute par un certain nombre de métaphysiciens, et même par quelques savants. On a accusé la science de ne pas avoir tenu toutes ses promesses. On a