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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/186

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de la croyanceDide et Juppont : La métaphysique scientifiqueDunan : Essai sur les formes à priori de la sensibilitéHume : Traité de la nature humaineGarnier : Traité des facultés de l’âmeStuart Mill : Philosophie de HamiltonLeibniz : Monadologie ; Correspondance avec Clarke ; Nouveaux essais ; ThéodicéeBoutroux : De la contingence des lois de la natureBouillier : Le principe vital de l’âme pensanteTaine : L’intelligence ; Les philosophes classiquesBûchner : Force et matièreLange : Histoire du matérialismeDescartes : Discours de la méthode ; MéditationsBossuet : Traité de la connaissanceFénelon : Traité de l’existence de DieuJanet : Les causes finales ; La moraleSecrétan : La philosophie de la libertéBertauld : Introduction à la recherche des causes premièresRibot : La philosophie de SchopenhaüerHartmann : La philosophie de l’inconscientVacherot : La métaphysique et la scienceCaro : L’idée de DieuPlaton : Le PhédonLamennais : Esquisse d’une philosophie – A. Bertrand : De immortalitate pantheistica – P. Leroux : L’humanité – Jean Reynaud : Terre et ciel – J. Simon : La religion naturelleSpinoza : ÉthiqueSchopenhauer : Le fondement de la morale, etc.

MÉTAPHYSIQUE. La métaphysique est un monde dans lequel on ne doit pénétrer qu’avec prudence, en s’entourant de toutes sortes de précautions, si l’on ne veut pas perdre tout bon sens. Nous sommes ici dans le domaine de l’absurde. Ici, l’esprit plane sur les confins de l’absolu. Il se perd dans les nuées. Il erre dans le vide. Il construit des mondes qui ne reposent sur rien, il plonge dans l’irréel et en retire le néant. On se trouve face à face avec ces monstres qui sont l’inintelligible, l’indéfinissable, l’inimaginable, l’indéterminé, l’inconcevable, l’invérifiable, le supra-normal etc. On conçoit que la science positive et la métaphysique ne fassent pas bon ménage, bien que la science positive ne soit guère plus positive qu’elle. La science positive a beaucoup à se reprocher. Son impérialisme finit par devenir insupportable. Ne condamnons pas toute métaphysique ; condamnons ses excès, et reconnaissons que le rêve, l’utopie, l’idéal, l’illusion, sont aussi nécessaires à l’homme que le pain. Ils ont leur réalité. Vous ne pouvez pas supprimer l’hypothèse. Les savants les plus endurcis sont forcés de lui faire une place. Et l’hypothèse, c’est du rêve, c’est de la métaphysique. L’imagination joue un rôle primordial dans l’existence humaine. La spéculation philosophique sert de contre-poids à la spéculation tout court. La métaphysique n’est qu’une forme de la poésie. Elle constitue pour l’esprit humain un allègement, un soulagement. Il a besoin parfois de s’évader en plein ciel, et même, s’il se trompe, il vaut mieux qu’il se trompe généreusement que d’avoir raison platement. L’esprit jette du leste, quitte la vulgarité et la bassesse pour voguer dans l’azur libre. Tout le monde ne peut en faire autant : c’est le privilège d’une élite de vivre de la vie de l’esprit, de renoncer au terre-à-terre. On ne peut pas toujours vivre au sein des réalités : il faut, comme Blanqui dans sa prison, rêver l’éternité par les astres. Ces gens qui ne croient qu’à ce qui tombe sous leurs sens, qui ne jurent que par la matière, sont désespérants. Leur bon sens est un non-sens. Au fond, ils rejoignent ceux qui ne vivent que dans l’irréalité, et dont la métaphysique, au lieu d’être le prolongement de la vie, en est la négation. La métaphysique a malheureusement subi le sort de tout ce qui essaie d’arracher l’homme à son égoïsme : elle est devenue la proie des mystificateurs ; ils l’ont exploitée afin de justifier leur conduite. Au lieu d’être une poésie supérieure, la métaphysique n’a cessé d’être un bavardage ennuyeux, aussi prétentieux que vide sur des sujets quelconques : c’est la plus haute forme du charlatanisme

philosophique. Ce qui se débite sous ce nom est un pur verbiage. Sous prétexte de chercher à percer le mystère de l’inconnu – occupation noble et élevée – on n’a fait que l’embrouiller et l’obscurcir. On ne voit goutte dans les élucubrations des métaphysiciens : ce qu’il y a de plus clair là-dedans, c’est qu’ils se moquent de nous. On ne peut prendre au sérieux certains métaphysiciens. Avec eux, on perd contact avec toute réalité, on affirme, on ne prouve pas. On disserte, on ergote : on ne pense pas. On s’appuie sur différentes autorités qui, elles-mêmes, s’appuient sur d’autres, et toutes ces autorités se tiennent par la main et dansent la ronde macabre du néant. La métaphysique ainsi conçue me fait l’effet d’un film où l’on verrait défiler à une allure vertigineuse, à toute vitesse, pèle-mêle, au petit bonheur, dans un désordre indescriptible, se poussant les uns les autres, différents fantômes grimaçants et pervers symbolisant les théories les plus absconses sur Dieu, le Monde, l’Âme, la Matière, l’Infini et l’Indéfini, et autres problèmes insolubles « dans l’état actuel des connaissances humaines », dirons-nous en employant le cliché consacré ; problèmes que les abstracteurs de quintessence ne font que rendre plus obscurs encore, car ils les entourent de ténèbres épaisses, de façon à passer pour des êtres supérieurs en possession de la vérité.

Les métaphysiciens sont de tous les philosophes ceux dont l’esprit va le plus loin dans le domaine de la divagation. Ils doivent bien rire dans leur barbe. Les métaphysiciens ne doutent de rien. Ils affirment avec un aplomb imperturbable n’importe quoi. Leur langage hermétique n’en impose qu’aux amateurs d’obscurité.

La métaphysique groupe dans une armée disparate tous les fanatiques de l’au-delà, mystiques, mages, occultistes, théosophes, tous les pseudo-idéalistes au plumage aussi varié que leur ramage. Elle a pour adversaires peu intéressants les matérialistes, scientistes, mécanistes, et autres libres-penseurs qui ne sont ni plus clairs, ni plus raisonnables, ils font également de la métaphysique. Les premiers nient la matière, les seconds l’âme. Les uns et les autres se querellent, et de leurs querelles jaillit l’obscurité. C’est surtout des métaphysiciens, à quelque école qu’ils appartiennent, qu’on peut dire qu’ils sont des coupeurs de cheveux en quatre. La métaphysique a beaucoup d’ennemis, conscients ou inconscients, mais ses pires ennemis ce sont les métaphysiciens. Ils ont plus fait pour discréditer la métaphysique que tous ses adversaires réunis. Ils justifient par leurs extravagances tous les reproches qu’on lui adresse, leurs exagérations semblent donner raison au matérialisme le plus épais. La bêtaphysique, devrait-on dire pour désigner toutes ces psychopathies. C’est le bon sens qui manque aux métaphysiciens. Entendez par bon sens l’esprit critique.

Quand la métaphysique est une œuvre d’art, toutes les audaces lui sont permises, parce qu’elle sont créatrices. La métaphysique nous arrache alors à l’obsession du médiocre et du terre-à-terre. Elle nous transporte sur les sommets. Elle nous fait vivre d’une vie nouvelle, où tout ce qu’il y a de laid autour de nous est oublié. Elle incarne la poésie la plus profonde, elle constitue la plus haute réalité.

Vacherot, métaphysicien lui-même, disait : « Les métaphysiciens sont des poètes qui ont manqué leur vocation. » Nous croyons que les véritables métaphysiciens n’ont pas manqué leur vocation : ce sont de véritables poètes. Le métaphysicien est un poète : qu’il n’ambitionne pas d’autre titre. Qu’il se contente de cette gloire ! Toute métaphysique est Poésie, c’est-à-dire une création où la pensée a autant de part que le sentiment, l’imagination que l’observation, où le monde est transformé et transfiguré ; toute poésie est métaphysique, du moment qu’elle ne copie pas la réalité, et qu’elle parle à l’âme et au cœur. Considérons les métaphysiques