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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/193

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de long et d’un pouce d’épaisseur, à peu près. Il tenait un bout de la corde dans sa main gauche, tandis qu’avec sa main droite, il lança l’autre bout en l’air. La corde, au lieu de retomber, resta suspendue en l’air, même après que le yogi eut retiré son autre main ; elle semblait avoir la consistance et la rigidité d’une colonne. Alors le yogi la saisit avec les deux mains, et à mon grand étonnement, il se mit à grimper le long d’elle, suspendu en dépit des lois de la gravité, alors que le bout extrême de cette corde était à au moins cinq pieds du sol. À mesure que le yogi s’élevait en grimpant, la corde semblait s’allonger au-dessus de lui en même temps qu’on ne la voyait plus au-dessous de lui, et il continua de grimper jusqu’au moment où on cessa de le voir. Je ne pouvais plus distinguer que le turban blanc du yogi et un tout petit bout de l’interminable corde. À ce moment, mes yeux ne purent supporter l’éblouissante lumière du ciel et, lorsque je m’efforçais de regarder encore une fois, le yogi avait complètement disparu. » Nous trouvons, sous la plume d’Osborne, officier de l’armée anglaise, le récit suivant de l’enterrement d’un fakir endormi : « À la suite de quelques préparatifs, qui avaient duré quelque temps et qu’il répugnerait d’énumérer, le fakir déclara être prêt à subir l’épreuve. Le maharadjah, le chef des Sikhes et le général Ventura se réunirent près de la tombe en maçonnerie construite exprès pour, le recevoir. Sous nos yeux, le fakir ferma avec de la cire toutes les ouvertures de son corps qui pouvaient donner entrée à l’air, en exceptant sa bouche, puis il se dépouilla de ses vêtements ; on l’enveloppa alors dans un sac de toile, et, suivant son désir, on lui retourna la langue en arrière de manière à lui boucher l’entrée du gosier. Après cette opération, le fakir tomba dans une sorte de léthargie. Le sac qui le contenait fut fermé et un cachet fut apposé par le maharadjah. On plaça ensuite ce sac dans une caisse de bois cadenassée et scellée, qui fut descendue dans la tombe ; on jeta une grande quantité de terre dessus, on foula longtemps cette terre, on y sema de l’orge ; enfin, des sentinelles fluent placées tout à l’entour, avec ordre de veiller jour et nuit. Malgré ces précautions, le maharadjah conservait des doutes ; il vint deux fois, dans l’espace de dix mois, pendant lesquels le fakir resta enterré, et il fit ouvrir devant lui la tombe ; le fakir était dans le sac, froid, inanimé, enfin tel qu’on l’y avait mis. Les dix mois expirés, on procéda à l’exhumation définitive. On ouvrit, en notre présence, les cadenas, on brisa les scellées et, après avoir enlevé la caisse hors de la tombe, on retira le fakir ; nulle pulsation au cœur, point de respiration, le sommet de la tête était resté seul le siège d’une chaleur sensible qui pouvait faire soupçonner la présence de la vie. Alors une personne lui introduisit très doucement le doigt dans la bouche et replaça sa langue dans sa position normale ; puis on le frictionna, on versa sur tout son corps de l’eau chaude ; petit à petit, la respiration, le pouls se rétablirent, et le fakir se leva et se mit à marcher en souriant. Il nous dit que, pendant son séjour sous terre, il avait fait des rêves délicieux, mais que le réveil était toujours très pénible ; avant de recouvrer sa connaissance, il avait, dit-il, des vertiges. Cet homme est âgé de trente ans (en 1888), sa figure est désagréable et a une certaine expression de ruse. Il s’entretint longuement avec nous et nous offrit de se faire enterrer une autre fois en notre présence. Nous le prîmes au mot et nous lui donnâmes rendez-vous à Lahor. Après avoir choisi un endroit convenable et fait construire une tombe en maçonnerie et une caisse bien solide, munie d’un système de cadenas et de clefs fort sûr, nous fîmes venir le fakir ; il arriva en protestant du désir qu’il avait de nous prouver qu’il n’était nullement un imposteur et nous dit qu’il était prêt à

subir l’épreuve, mais il nous demanda quelle serait sa récompense. Nous lui promîmes une somme de 1500 roupies et un revenu de 2000 par an, qu’on se chargeait de lui obtenir du roi. Satisfait de ces conditions, il désira savoir quelles précautions on comptait prendre à son égard ; on lui montra les cadenas et les clefs, et on l’avertit que des sentinelles, choisies parmi les soldats anglais, veilleraient autour du tombeau pendant une semaine ; il ne voulut pas accéder à ces conditions et exigea que des doubles clefs fussent remises à ses coreligionnaires et que ce fussent eux qui seraient chargés de veiller autour de sa tombe. Les officiers ne voulant pas souscrire à ses demandes, il se retira, disant que l’on avait l’intention d’attenter à sa vie. »

Un juge de l’Inde française, Louis Jacolliot, a narré pareillement les merveilles, de moindre calibre il est vrai, dont il fut témoin. En sa présence, et autant de fois qu’il le voulait, un fakir fit monter des feuilles d’arbre le long d’une tige de bois qui les transperçait, grâce à une lointaine imposition des mains. Les mêmes feuilles s’agitaient chaque fois que, songeant à un ami décédé, il prenait une lettre mobile répondant à son nom. Et ce fakir fit résonner des sons dans l’espace, tracer dans l’air des caractères phosphorescents, voltiger une couronne de fleur. Un autre, nommé Covindassamy, fit apparaître un nuage lumineux d’où sortirent seize mains humaines ; l’une d’elles, arrachant un bouton de rose d’un bouquet qui se trouvait là, en fit don à Jacolliot ; d’autres mains écrivirent quelques phrases en caractères de feu. Après des incantations nouvelles, une forme vaporeuse, planant près d’un réchaud, prit l’aspect d’un brahmane sacrificateur qui jeta des parfums sur la braise ; puis apparut un musicien des pagodes qui joua d’un harmoniflûte qu’il tenait à la main. Covindassamy provoqua encore la germination et la croissance rapide d’une graine de papayer. Il avait laissé Jacolliot libre de choisir, à sa guise, le vase et la graine, mais avait exigé qu’il prît, dans un nid de fourmis blanches, de la terre saturée du liquide secrété par ces insectes. Après avoir planté la graine donnée par l’Européen, le fakir tomba en catalepsie et resta les bras étendus vers le vase, l’espace de deux heures. À son réveil il montra une tige de papayer haute de vingt centimètres ; on retrouva une marque faite par Jaccoliot sur les pellicules, encore adhérentes aux racines, de la semence productrice.

Après les désagréables aventures de Thara-Bey et des autres fakirs qui commirent l’imprudence, voici quelques années, de venir en Europe, il n’est plus besoin d’insister sur les tricheries continuelles de ces thaumaturges. Arrivés chez nous avec une auréole quasi divine, ils nous quittèrent avec le renom mérité de charlatans assez vulgaires, dont les fraudes percées à jour n’apparaissent pas supérieures à celles des prestidigitateurs ordinaires. Malgré la rage concentrée de nos métapsychistes occidentaux, Heuzé et quelques autres démontrèrent que leurs meilleurs tours, sans excepter l’ensevelissement, n’exigeaient qu’un peu d’adresse, jointe à une endurance que l’on acquiert aisément. Honteux comme des renards que des poules auraient pris, ils ont déserté les scènes parisiennes ou du moins ne s’y présentent plus comme apportant les preuves indéniables de l’existence d’une survie. Cette prétention pourtant était celle de Thara-Bey et des autres fakirs que le succès de ses mensonges avait séduits. Ajoutons, pour l’édification du lecteur, qu’on a enfin découvert le secret de la corde qui se maintient d’elle-même en l’air. N’en déplaise au docteur Hentsoldt, un naïf semble-t-il, c’est un tour de passe-passe, comme en témoignent des constatations faites dans l’Inde et que l’on a pu lire dans un écho du Mercure de