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France. Des comparses tendent un fil ténu mais solide, à une hauteur suffisante pour qu’il soit invisible, avant que l’opérateur lance d’en bas sa corde ; pour rester droite elle n’aura besoin, on le voit, d’aucun support immatériel. Et ne rions pas trop des moines hindous ; des croyants occidentaux font preuve d’une ingéniosité non moins admirable. En 1907, la pieuse librairie Blond et Cie publiait un livre du docteur Hippolyte Baraduc : La force curative à Lourdes et la psychologie du miracle. Ce dévot médecin avait photographié les forces miraculeuses qui, à Lourdes, se dégagent tant des prières qui montent d’en bas que des grâces versées, d’en haut, par la sainte mère du Christ. « Les eaux, écrit-il, sont couvertes d’un dynamisme intensif d’aspect fantômal, facteur de cure. » « Un cliché a été pris au moment du miracle de Fanny Combes ; il représente un ruban fulgurant. » Hippolyte Baraduc faisait, d’ailleurs, une autre constatation moins orthodoxe, et presque injurieuse pour la toute-puissance du Père Céleste, à savoir que les effluves divines de Lourdes ne guérissent pas en hiver. Pour l’envoi des malades il faudrait tenir compte des saisons : « Telle affection morale, mentale, serait envoyée en juillet et août ; telle autre, nerveuse, en septembre et octobre, suivant les données temporaires (ou plutôt de temps) que les observations nombreuses de cures recueillies par les médecins pourraient indiquer. » Ainsi la grâce divine, de nature invisible d’après les théologiens d’autrefois, laisse maintenant des traces sur les plaques photographiques ! Délicieux, n’est-il pas vrai ? Et les fakirs n’ont rien trouvé qui surpasse l’invention, trop peu connue, de Baraduc le pieux docteur. Bientôt, espérons-le, Notre-Dame en personne posera devant l’objectif de ses bons serviteurs.

Assurément nous pouvons conclure qu’elles ont lamentablement échoué, les démonstrations de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme basées sur l’étude des faits supranormaux ; c’est en vain qu’on cherche à jeter des ponts entre la terre et l’au-delà, entre le sensible et la sur-nature. Mais dans une métapsychie, définitivement libérée des doctrines et des préoccupations religieuses, il y aurait beaucoup à glaner. La science humaine n’est qu’à ses débuts ; à côté des forces connues de nous, il existe une immense gamme de radiations que nos sens ne perçoivent pas et que nous n’arrivons à étudier qu’indirectement, par le moyen de leurs effets. Rayons infra-rouges et ultra-violets, ondes hertziennes rentrent dans ce cas ; l’existence des rayons X ne fut prouvée que grâce aux plaques photographiques et aux corps phosphorescents. Si elle parvient à se cantonner dans le domaine des réalités purement expérimentales et des hypothèses strictement positives, la métapsychie expliquera un jour des faits tels que les prévisions, la télépathie, les mouvements de la baguette divinatoire, la vision à travers des corps opaques ou à des kilomètres et des kilomètres de distance. Certains prestiges des fakirs hindous, comme aussi nombre de phénomènes observés par les psychistes européens, perdront leur caractère surnaturel pour prendre rang parmi les manifestations normales des forces simplement humaines.

Il y a d’abord les faits d’action à distance ou de télékinésie ; de loin le médium provoque le mouvement d’objets plus ou moins lourds, l’infléchissement du plateau d’une balance, l’arrêt d’une horloge, etc. Eusapia Palladino se rendit célèbre dans ce genre d’exercices ; mais elle fut accusée de fraude par un expérimentateur qui, au cours d’une séance, vit entre ses mains un mince filet luisant, un cheveu ou un fil de soie à son avis. Les métapsychistes la défendirent. Bozzano en particulier. Il raconta qu’après une scéance, « Eusapia encore un peu épuisée, était assise auprès de la table. Tout à coup, le médium parut se réveiller de l’espèce

d’engourdissement dans lequel il se trouvait ; il se frotta les mains ; après quoi, en les éloignant l’une de l’autre et en les poussant en avant, il les approcha d’un petit verre posé sur la table ; alors, en faisant avec les mains des mouvements tantôt en avant, tantôt en arrière, il parvint à imprimer au petit verre en question des mouvements analogues de traction ou de répulsion à distance… Pendant que se déroulait ce phénomène, tous les expérimentateurs furent à même d’apercevoir très clairement, à l’improviste, quelque chose comme un gros fil d’une couleur blanchâtre, lequel, en partant d’une manière indéfinie des phalanges des doigts d’une main d’Eusapia, allait se joindre d’une façon tout aussi indéfinie aux phalanges des doigts de l’autre main. Aucun doute : le médium trichait ; chacun des expérimentateurs ne put s’empêcher de songer, en ce moment, à l’épisode de Palerme. Mais voilà que le médium lui-même se prend à s’écrier avec un ton de joyeuse surprise : Tiens ! Regardez le fil ! Regardez le fil ! À cette exclamation spontanée, sincère du médium, le chevalier Peretti imagina de tenter une preuve aussi simple que décisive. Il allongea le bras et commença à presser légèrement et ensuite à tirer vers lui, lentement, ce fil, qui s’arqua, résista un instant, puis se brisa et disparut tout à coup ; une brusque secousse nerveuse fit tressaillir tout le corps du médium. Inutile de décrire l’étonnement général ; un tel fait suffisait à résoudre d’un coup toute incertitude : il ne s’agissait point d’un fil ordinaire, mais d’un filament fluidique ! » Quel dommage, diront ceux qui n’ont pas la foi de Bozzano, qu’un morceau du cordon fluidique ne soit pas resté entre les mains des assistants.

Le docteur Julien Ochorowicz, métapsychiste notoire, s’aperçut de même que Mlle Stanislawa Tomczyk, mise en état somnambulique, arrêtait à volonté l’aiguille d’un appareil de prestidigitation connu sous le nom d’horloge magique. Elle parvint plus tard à soulever de loin, différents objets : une boîte d’allumettes, un aimant, une grosse paire de ciseaux, une balle en celluloïd, etc. ; à arrêter, puis à remettre en mouvement le balancier d’une pendule. Ochorowicz constata la présence d’un fil, comme Bozzano. Dans une circonstance analogue à celle d’Eusapia, écrit-il, « je n’ai pas réussi à saisir le fil qui disparut trop tôt, et malgré cela la secousse nerveuse éprouvée par le médium fut tellement forte, que la contracture douloureuse du bras droit persista plusieurs minutes. Mais en gardant certaines précautions j’ai pu, dans d’autres occasions sentir ce fil sur ma main, sur mon visage et sur mes cheveux. Lorsque le médium écarte ses mains le fil s’amincit et disparaît, et la sensation tactile qu’il procure ressemble beaucoup au contact d’une toile d’araignée ». Avec le cordon fluidique de Bozzano et d’Ochorowicz nul besoin assurément d’esprits pour expliquer les faits d action à distance, la force nerveuse suffit. Néanmoins regrettons que le fil de Stanislawa Tomczyk, tout comme celui d’Eusapia, n’ait pas été l’objet d’une étude scientifique, capable de lever les légitimes suspicions des saints Thomas d’aujourd’hui.

La télépathie, par contre, apparaît comme un fait bien établi ; des milliers de constatations l’étayent. On en trouve des exemples, dont beaucoup n’éveillent aucun soupçon de fraude, dans les recueils de Warcollier, Flammarion, Bozzano, Richet, etc., ainsi que dans les nombreuses revues psychiques et métapsychiques. « En 1872, écrivait à Wiétrich l’un de ses amis, j’étais attaché à l’administration des télégraphes de Charleroi. J’eus, une nuit, un rêve où je voyais d’abord un poseur de télégraphe, agent dont la fonction est de poser et d’entretenir les fils conducteurs. Immédiatement après, j’eus la vision d’un homme tué. Quand j’arrivai le lendemain au bureau, j’appris la nouvelle qu’un poseur avait été tué, dans la nuit, par un train, du côté