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cela « en camaraderie » — c’est-à-dire réunis par des affinités d’un genre ou d’un autre et sans qu’à aucun moment il y ait recours à la fraude, à l’imposition, à la violence — et cela dans tous les domaines, chacun sachant de quoi il retourne — et cela en vue de la pleine satisfaction des appétits de chacun. Il se peut que nous n’arborions pas toujours nos couleurs sur le faîte des demeures que nous entendons rebâtir, que nous ne hissions même aucun pavillon, mais « en dehors » — nous ne nous sentons comptables pour quoi que ce soit aux « en dedans ».

La méthode individualiste anarchiste vise, en somme, à rendre l’unité humaine apte à faire elle-même son destin, à accomplir son déterminisme personnel — dût ce procédé lui être plus désavantageux que de s’en remettre aux directives d’un milieu auquel nous ne reconnaissons pas le droit de décider pour qui rejette sa tutelle. Tel que nous le concevons un individualiste anarchiste est parfaitement capable d’exécuter les termes d’un contrat qu’il aurait librement passé, lesdits termes seraient-ils cent fois plus rigoureux que les clauses imposées, pour atteindre un but semblable, par la société archiste.

Cette méthode nous l’appliquons indistinctement aux ouvriéristes, aux syndicalistes, aux communistes, aux individualistes anarchistes qui s’ignorent, à tous ceux que nous approchons. Mais, qu’elle ait échoué ou non, tous ceux qui ont été attirés vers nous savent bien qu’ils ne nous ont pas quittés sans que nous ayons fait tout ce qui dépendait de nous pour abolir en leur cerveau et en leur conduite jusqu’au dernier des vestiges du besoin d’une autorité imposée, d’un contrat irrésiliable. — E. Armand.

MÉTHODE (éducation et enseignement). — Procédés, techniques et méthodes. — Le lecteur des ouvrages et des revues pédagogiques rencontre à chaque instant le mot méthode appliqué à des choses fort diverses. Tantôt il s’agit de l’emploi et de l’éducation de la pensée : méthodes intuitive, déductive, rationnelle-analytique, synthétique, etc. ; tantôt il est question de l’organisation scolaire et du mode de travail des élèves : méthodes individuelle, collective ; parfois il s’agit de l’ordre et de la manière d’enseigner telle ou telle technique : méthodes de lecture, d’écriture, de calcul, etc. ; enfin les conceptions pédagogiques de certains auteurs, comme aussi les systèmes appliqués dans certains établissements prennent également le nom de méthodes : méthodes Montessori, Decroly, etc., de Winnetka, etc. En présence d’un emploi si généralisé du mot méthode, tout instituteur qui a imaginé un procédé quelconque — peut-être simplement retrouvé par lui et déjà employé par maints autres pédagogues, — qui enseigne ou croit enseigner d’une manière originale, personnelle, s’empresse de parler de sa — ou de ses — méthodes.

Un pédagogue novateur de notre temps, voulant réagir contre l’emploi abusif du mot méthode, a écrit : « Ce grand mot de méthode a été tellement galvaudé par tous les faiseurs de manuels de toutes sortes, qu’il nous est difficile aujourd’hui de lui redonner le sens précis et complet que nous lui voudrions en éducation.

« Qui dit méthode dit système d’éducation basé sur des éléments sûrs, prouvés scientifiquement, et coordonnés d’une façon absolument logique. Or, la science pédagogique en est encore à ses balbutiements et nulle méthode aujourd’hui existante ne peut s’en réclamer.

« Seule l’Église, qui dédaigne la Science, et s’appuie inébranlablement — croit-elle — sur la révélation et la croyance, a sa méthode d’éducation, éprouvée par des siècles d’emploi, avec ses procédés, ses techniques presque immuables malgré les découvertes ; méthode

qui ne recherche d’ailleurs pas la libération de l’individu, mais seulement sa résignation à l’ordre établi, son asservissement toujours plus grand à ses maîtres.

« Hors cet essai relativement logique, il n’y a pas encore eu, pour la pédagogie populaire, de véritable méthode d’éducation. » (C. Freinet.)

Pour utile que soit cette réaction, elle n’en est pas moins excessive et si l’on admettait la définition que Freinet nous donne du mot méthode, on ne pourrait l’approuver lorsqu’il écrit que l’Église a une méthode : Freinet se contredit évidemment lui-même.

Il importe donc de préciser le sens du mot méthode.

« Qu’est-ce que la méthode ? » demandait Delon à la session pédagogique de Cempuis, en 1893. Il disait : « C’est la voie logique même ; — méthode signifie chemin ; — c’est la route à parcourir pour arriver à la connaissance raisonnée des faits. » Cette définition est un peu étroite, car il y a des méthodes de travail manuel tout comme il existe des méthodes de pensée, mais cette étroitesse tient à ce que Delon parlait alors « De l’unité de la méthode dans l’enseignement. »

Un psychologue contemporain nous définit ainsi ce mot : « Une méthode est la marche raisonnée que l’on suit pour atteindre un but. » (Cellerier.)

Enfin un pédagogue, P. Bernard, précise : « C’est, étymologiquement parlant, la route, la voie que l’on suit pour arriver à un but, c’est une manière de se conduire. Le savant a sa méthode de recherche, le professeur a sa méthode d’enseignement, le laboureur a sa méthode de culture. Agir méthodiquement, ce n’est pas s’évertuer au hasard, se fier à l’inspiration du moment, se dépenser en élans, ce n’est pas s’agiter ; agir méthodiquement, c’est avoir une pensée directrice et un plan d’action ; c’est disposer, organiser, composer ses pensées et ses actes ; c’est choisir avec discernement, en toutes circonstances, les moyens propres à réaliser le plus sûrement et le plus rapidement la fin qu’on s’est fixée. Un instituteur qui a de la méthode peut dire : voilà l’idée qui me mène, voici ce que je veux ; j’ai une doctrine qui ordonne l’ensemble et les détails de mon enseignement ; je puis, de ce point de vue, expliquer et justifier mes procédés, rendre raison de toutes mes démarches ; je sais où je vais, comment j’y vais. »

Il convient de distinguer le procédé, la technique et la méthode. Le procédé, nous disent les dictionnaires c’est la méthode à suivre pour faire une opération un travail. Cette définition rend mal compte de la différence qu’il y a entre un procédé et une méthode. La technique est, disent encore les dictionnaires, l’ensemble des procédés d’un art ou d’un métier. Précisons par un exemple. J’observe un jardinier qui lève un écusson de rosier, le pose et le ligature sur un églantier ; il ne lève pas l’écusson de la même manière que je le ferais moi-même, il le pose et le ligature différemment, ses tours de main, ses procédés, sont différents des miens, il a une technique de l’écussonnage, j’en emplois une autre ; ces deux techniques peuvent être sensiblement de même valeur si une méthode dirige le choix des procédés comme aussi leur adaptation à chaque cas particulier. Je sais les conditions qu’il faut réaliser pour que l’écussonnage puisse réussir, je sais par exemple que la partie centrale de mon écusson doit bien s’appliquer sur la zone génératrice du sujet et pour réaliser cette condition, j’abandonnerai parfois le procédé de ligature qui m’est familier pour en utiliser un autre moins satisfaisant dans d’autres cas ; je sais aussi qu’il faut éviter que l’écusson reçoive trop ou trop peu de sève de l’églantier et, suivant que cet églantier aura beaucoup ou très peu de sève, je serrerai ma ligature plus fortement au-dessus ou au-dessous de l’écusson. Avoir une méthode, c’est donc choisir entre les procédés d’une technique et modifier, au