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l’enfant n’est pas seul en jeu ; il faut tenir compte de tout son développement mental, alors que les mathématiques nous imposent une gradation logique, le développement mental de l’enfant nous impose une graduation ; il faut que l’enfant apprenne ce qui est facile avant d’étudier ce qui est difficile. Il y a des enseignements qui sont prématurés parce qu’on les donne à des enfants trop jeunes, qui apprennent des mots ou des phrases qu’ils ne peuvent comprendre.

Résumons-nous. Nous avons à nous préoccuper de rechercher des gradations – qui permettront d’éviter l’amas des difficultés, nuisible à l’intérêt ; ces gradations seront établies en tenant compte d’un ordre de vie favorable à l’observation et à l’intérêt et d’un ordre logique nécessaire à la compréhension de certains sujets – et des graduations qui, assurant la marche du facile au difficile, seront favorables à la compréhension, à l’intérêt et à la bonne assimilation des connaissances.

Faute d’ordre logique, il y a efforts vains et perte de temps.

Faute d’ordre de vie, il y a manque d’intérêt et verbalisme.

Faute de graduation, il y a tous les inconvénients qui précèdent avec, en plus, découragement de l’enfant lorsqu’il se heurte à des difficultés qu’il est incapable de surmonter. Pour exercer l’enfant à faire effort, il faut que les efforts demandés soient gradués et bien gradués.

Pour établir la progression qu’il convient de suivre, il est donc nécessaire de tenir compte de trois facteurs :

1° La gradation de l’ordre de vie, imparfaitement prévisible à l’avance et qu’on ne peut déterminer avec précision ;

2° La gradation de l’ordre logique ;

3° La graduation des difficultés.

L’ordre logique n’est pas aussi rigide qu’on le pense, même en ce qui concerne les mathématiques qui constituent la matière la plus logique de notre enseignement et surtout dans l’enseignement donné aux jeunes enfants.

Si nous examinons des ouvrages d’arithmétique destinés aux élèves de l’école primaire, nous constatons que ces ouvrages suivent des ordres divers ayant cependant un certain nombre de points communs. Qu’est-ce que la logique exige ? Que nous rattachions chaque étude nouvelle aux connaissances déjà acquises qui permettent de la comprendre. Ainsi l’étude des procédés employés lors de l’étude des cas particuliers de la multiplication (multiplicande et multiplicateur terminés par des zéros, etc.) doit être rattachée aux connaissances déjà acquises sur la multiplication, mais nulle logique ne nous oblige à étudier ces procédés avant ceux employés pour l’étude des cas particuliers de la division.

De même l’ordre habituel : règle de trois, puis d’intérêt et enfin d’escompte n’est justifié que par la tradition. Dans les trois cas, il s’agit de l’étude de grandeurs proportionnelles. La différence n’existe que dans les conditions différentes de vie et si l’on veut que les enfants abordent ces problèmes avec fruit, c’est la vie qu’il faut d’abord leur faire comprendre, c’est l’ordre de vie qui nous permettra de choisir la gradation à observer dans l’étude de ces trois cas.

L’ordre logique de l’adulte présente aussi parfois l’inconvénient de ne pas tenir compte de la graduation des difficultés : « L’enfant peut apprendre la numération parlée ou écrite et l’appliquer longtemps avant d’en comprendre les raisons et de savoir pourquoi l’on a adopté la base décimale plutôt que la base duodécimale ou binaire. La règle qui recommande d’aller du connu à l’inconnu n’a, en général, qu’une valeur rela-

tive. Si l’on veut faire travailler l’esprit, il est bon d’y déposer par anticipation des notions qui soient de véritables points d’interrogation. Ces notions, d’abord incomprises, sont les matériaux sur lesquels s’exerce un travail d’élaboration vraiment fécond. » (G. Richard).

L’ordre logique des adultes, introduit pour faciliter la compréhension et gagner du temps en évitant les tâtonnements et les recherches, ne permet pas à l’enfant d’exercer sa propre logique. On n’apprend pas à raisonner en apprenant des raisonnements, mais en raisonnant soi-même. « Aujourd’hui, le maître précède ses élèves sur la route du Savoir ; et sans cesse il se retourne vers eux pour leur crier : « Ne perdez pas de vue mon panache blanc. Il ne vous égarera pas : je l’ai découpé dans mon Brevet supérieur. »… Qu’il marche désormais à côté d’eux, sans hâte, et qu’il ne les aide pas si les difficultés du voyage ne sont pas décourageantes. Au lieu de vouloir faire d’eux des virtuoses précoces et de leur faire parler le jargon du spécialiste, qu’il leur montre seulement comment on cherche. Ils seront beaucoup plus habiles, plus tard, si on les habitue à coordonner leurs efforts que si, durant des années, on leur fait copier des modèles d’une perfection déprimante et d’une origine mystérieuse. » (Roorda)

En résumé, la gradation logique est pour nous but beaucoup plus que moyen et le souci d’aller vite et droit au but peut être préjudiciable à la formation de l’esprit.

Le souci de graduer les difficultés n’est pas nouveau. Déjà Pestalozzi écrivait : « Il faut diviser l’enseignement suivant la marche progressive des forces de l’enfant, et déterminer avec la plus grande précision… ce qui convient à chaque âge, de manière à ne rien omettre de ce que l’élève est complètement en état d’apprendre, de manière aussi à ne pas accabler et troubler son intelligence par des études qu’il n’est pas encore tout à fait capable d’apprendre ».

Mais, quoi qu’en pense Ferrière, nous sommes encore assez loin de posséder « des vues assez complètes sur l’échelonnement des difficultés ». Trop souvent l’intuition et la logique des adultes ont présidé à des graduations arbitraires bien que présentées comme expérimentales.

Or, là où il n’y a qu’un échelon pour nous, il y en a bien souvent deux pour la plupart des enfants trois ou quatre pour d’autres. Prenons en exemple deux problèmes : 1° On a partagé, par parties égales, 25 noix entre 5 enfants. Combien chaque enfant a-t-il eu de noix ? 2° J’avais 25 noix que j’ai données à des enfants. Chaque enfant a eu 5 noix. Combien y a-t-il eu d’enfants qui ont reçu des noix ? Le lecteur non averti constatant que dans les deux il obtient la réponse en divisant 25 par 5 pensera qu’il n’y a là qu’une seule et même difficulté que les enfants pourront surmonter d’une seule et même manière. La réalité est toute autre ; dans le second cas, il s’agit de faire ce que nous pouvons appeler une division-mesure (dividende et diviseur sont de même nature) le problème est plus difficile que le précédent et les débutants, pendant longtemps, n’en trouveront la solution que par tâtonnements et multiplications ; dans le premier cas, nous avons au contraire, une division-partage (dividende et quotient sont de même nature) que les enfants solutionnent plus facilement et en procédant plus tôt par division véritable.

Si nous voulons que les enfants ne perdent pas leur temps à faire des travaux qui ne présentent plus de difficulté pour eux ou ne se rebutent pas en présence de travaux trop difficiles, il faut que nous recherchions la graduation naturelle des difficultés sans oublier que cette graduation varie dans certaines limites suivant les individus. Et, si nous voulons agir efficacement sur