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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/212

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le développement mental des enfants, il faut que nous pénétrions suffisamment la pensée enfantine pour savoir de quelle manière – souvent différente de la nôtre – les enfants surmontent les difficultés graduées des exercices et travaux que nous leur proposons.

Mais comment faire ? Aimer les enfants d’abord, car sans amour il ne peut y avoir confiance et collaboration. Or, il faut que les enfants nous aident, il faut qu’ils soient persuadés que leurs échecs ne provoqueront pas notre dédain, que leurs procédés naïfs ne seront pas pour nous sujet à moqueries.

Cette collaboration confiante des enfants ne suffit pas.

Souvent l’enfant nous trompe en se trompant lui-même et ceci provient de deux causes principales : d’abord son langage ne lui permet pas toujours d’exprimer convenablement sa pensée, il sait, mais ne sait pas comment dire ; ensuite il est peu apte à s’analyser lui-même et si nous lui demandons d’expliquer comment il a fait en tel ou tel cas, il se peut qu’il imagine une façon de faire parfaitement plausible, mais qui n’est pas celle qu’il a employée.

À cela il est deux remèdes : les recherches expérimentales, l’étude des ouvrages de psychologie et de pédagogie.

Les recherches expérimentales, cela va de soi, devront être conduites suivant les méthodes de la psychologie et de la pédagogie expérimentales que nous ne pouvons exposer ici. L’étude des ouvrages, des ouvrages récents surtout, guidera certaines recherches et permettra d’en éviter d’autres, car il est bien évident qu’il est inutile de chercher ce qui a déjà été trouvé par des psychologues ou pédagogues expérimentaux dignes de foi. Il n’y a peut-être pas inutilité absolue et il n’est pas mauvais parfois de vérifier et de contrôler, mais ce n’est généralement pas par là qu’il faut commencer. Notre exposé divisé logiquement peut faire croire qu’il faut rechercher successivement et séparément : la gradation de l’ordre de vie, la gradation de l’ordre logique, la gradation des difficultés ; puis, tenir compte de ces trois facteurs pour déterminer la progression convenable. Constatons d’abord que l’importance de ces trois facteurs varie avec les sujets d’étude : on se préoccupera plus de la gradation logique pour l’enseignement des mathématiques que pour celui de la géographie, par exemple.

Il peut d’ailleurs être possible d’obtenir une progression tout aussi satisfaisante en procédant différemment. Voulant rechercher, par exemple, la progression convenable pour l’enseignement de la lecture, nous avons fait lire des textes quelconques mais ne contenant que des mots usuels et familiers aux enfants, en notant au fur et à mesure, grâce à des procédés qu’il nous a fallu imaginer au préalable, les difficultés rencontrées et les étapes du progrès. Il est bien évident que les résultats constatés dépendaient de l’ordre de vie et de l’ordre de graduation des difficultés. Nous aurions pu rechercher séparément ces deux ordres, mais c’eût été plus compliqué et plus long et nous aurions été embarrassé par la suite, ne sachant au juste quelle est l’importance relative de ces deux facteurs.

IV. Recherche du milieu et des moyens. — La question du milieu, fort négligée habituellement, préoccupe, à juste titre, tous les grands pédagogues. Le milieu est l’un des facteurs les plus importants de la méthode. Dewey écrit qu’il faut « mettre l’enfant dans des conditions si conformes à ses facultés et à ses besoins, qu’elles favorisent d’une manière permanente ses aptitudes d’observation, de suggestion et ses dispositions à l’investigation. » Decroly, après avoir comparé les situations des enfants des villes et des campagnes, déclare : « …j’ai compris qu’il fallait, pour obtenir une amélioration, essayer, tout d’abord, de réaliser le milieu con-

venable pour l’enfant. Il m’a été permis ainsi de me convaincre plus encore de l’énorme influence qu’il exerce sur sa mentalité et son activité.

« Je me suis aperçu, peu à peu, que la classe est un pis-aller, que le milieu naturel est constitué par une ferme, des champs, des prairies, des animaux à élever, des plantes à semer, à soigner, à récolter, représentait le vrai matériel intuitif capable d’éveiller et de stimuler les forces cachées dans l’enfant. Je me suis pénétré aussi de la vérité que, chez la majorité des élèves, l’intérêt latent pour les choses de la nature, êtres et phénomènes, permettait d’y trouver une mine inépuisable de sujets capables de servir de prétextes à penser, à calculer et à écrire de la manière la plus normale et la plus rationnelle. C’est le moyen qu’ont pratiqué les hommes depuis qu’ils sont à la surface du globe, et c’est celui que les adultes, qui sont dans la vie vraie, doivent pratiquer, chaque jour, pour s’adapter et remplir leur tâche sociale.

« … De là est venue aussi la conviction :

1° qu’il faut tendre à reporter toutes les écoles primaires vers la campagne ; qu’en attendant, il faut y introduire le plus de nature vraie possible, et mettre très souvent les enfants en contact avec elle, par la culture, l’élevage, les excursions botaniques, zoologiques, géologiques, et autres ;

2° Qu’il faut tâcher de faire voir et pratiquer dans la mesure du possible, à l’enfant, les métiers simples qui transforment la matière brute en objets utiles ou en aliments assimilables (menuisier, cordonnier, tailleur, forgeron, charron, meunier, boulanger, cuisinier, etc.) ;

3° Qu’il faut aussi essayer de lui montrer sur le vif, les formes élémentaires de la vie sociale, de l’organisation communale, et de les lui faire pratiquer en introduisant dans la classe, des charges, des responsabilités ; puis peu à peu, lorsque l’âge est venu, en les faisant intervenir dans la discipline et les rouages divers de la grande famille dont il fait partie. »

De ce milieu scolaire fait partie le matériel d’enseignement. Trop souvent le matériel est fait pour permettre au maître d’expliquer, d’expérimenter alors qu’il faudrait surtout qu’il puisse permettre à l’élève d’observer et de faire des recherches. Trop souvent aussi le matériel vivant (chenilles qu’on élève, etc.), qui est fort utile pour l’intérêt de l’enfant et ses observations, est négligé. Cependant le défaut de matériel est l’un des moindres défauts de notre école. Les procédés imaginés sont nombreux mais d’inégale valeur ; il conviendrait de faire parmi eux une sélection méthodique en n’oubliant pas qu’ils sont des moyens de réaliser une méthode, qu’ils doivent être les esclaves de la méthode et qu’il est souvent besoin de les adapter en tenant compte de cette méthode.

Dans le milieu scolaire il y a le maître. Les habitudes du maître ont une influence évidente sur les enfants ; sans qu’il le veuille, souvent elles font partie de sa méthode. Le gros défaut actuel, c’est que le maître occupe une place trop importante dans le travail des enfants ; il faudrait qu’il soit plutôt aide et conseiller que directeur. Il importe aussi qu’il n’exagère pas son influence personnelle, sache apprécier des goûts différents des siens, des idées originales, sans cela il ne pourrait habituer ses élèves à l’indépendance de pensée, car ceux-ci s’attacheraient. avant tout à fournir des réponses qui lui plaisent et limiteraient ainsi leur effort. Il n’est pas désirable que le résultat et l’effort des enfants « soient uniquement appréciés d’après le degré où ces réponses sont conformes à celles que le maître désire. »

V. Adaptation de la méthode. — Imaginons qu’ayant quitté notre classe, on nous confie un jour