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déclarait-il, qu’il aime mieux que l’émancipation des esclaves. »

En morale, il n’innova pas ; il emprunta aux religions déjà existantes et fit de nombreuses concessions aux mœurs arabes ; toutefois, si l’on excepte les prescriptions relatives à la guerre sainte, il s’efforça d’introduire plus de douceur dans des coutumes souvent atroces. Le Coran servit de code civil aux musulmans ; il devint l’inspirateur de leur jurisprudence, la base essentielle de leur législation civile et criminelle. Aujourd’hui encore, les indigènes d’Algérie, de Tunisie et du Maroc sont jugés d’après ses prescriptions.

A côté de ses légistes l’Islam eut ses théologiens, dont les principaux furent les « maîtres de la Tradition ». L’un d’eux Bokhâri, mort en 870, réduisit les 600.000 « Nouvelles » proposées avant lui à 7275 anecdotes dignes d’être crues. Ces théologiens défendirent le mahométisme orthodoxe contre ses déviations hérétiques ou schismatiques. Ils répondirent aussi aux attaques chrétiennes ; et l’on sait quel éclat jettera la civilisation arabe. Mahomet n’avait rien du contempteur de la science que les occidentaux ont supposé : « Enseignez la science, lit-on dans le Coran ; qui en parle loue le Seigneur ; qui dispute pour elle livre un combat sacré ; qui la répand distribue l’aumône aux ignorants. La science éclaire le chemin du paradis. Elle est le remède contre les infirmités de l’ignorance, un fanal consolateur dans la nuit de l’injustice. L’étude des lettres vaut le jeûne et leur enseignement vaut la prière. » En conséquence d’importantes universités, de riches bibliothèques furent créées dans les divers pays musulmans. Pas davantage les peuples vaincus par les arabes ne furent convertis de force ou massacrés. S’ils acceptaient l’islam, ils devenaient de droit les égaux du vainqueur ; s’ils refusaient, ils conservaient néanmoins leurs terres, à condition de payer une capitation pour leur personne et un tribut pour leurs biens. On exigeait encore que les non-musulmans s’abstiennent de boire du vin et de réciter leurs prières en public, qu’ils portent un costume spécial et ne laissent pas voir leurs porcs. Mais, chose plus grave, ils ne pouvaient presque jamais obtenir justice contre un fidèle de Mahomet, tant il est vrai que toute religion garde une âme de persécutrice, même lorsqu’elle affecte des dehors bienveillants. Et, comme on les pressurait souvent, les conversions devinrent innombrables. Reconnaissons toutefois qu’en fait de crimes, les musulmans n’atteignaient généralement pas à la hauteur des chrétiens. Quand il prit Jérusalem, en 636, Omar assura le libre exercice de leur culte aux juifs et aux chrétiens ; il garantit la sécurité de leurs personnes et ne les spolia pas de leurs biens. En moins de huit jours, au contraire, Godefroy de Bouillon et ses croisés, maîtres de la Ville Sainte exterminèrent 70.000 juifs ou mahométans.

Hérésies et schismes, nous l’avons dit, abondèrent dans l’Islam, comme dans toutes les religions. A côté des sunnites ou orthodoxes, il y eut bientôt les schiites qui se rattachaient au gendre de Mahomet, Ali. Officiellement les maîtres en Perse depuis 1499, ils ont aussi beaucoup de partisans dans l’Inde. Moins rigides en ce qui concerne l’usage du vin et la représentation des êtres vivants, ils rejettent la Sunna, et tendent souvent vers un panthéisme plus ou moins voilé. Eux-mêmes donnèrent naissance à des sectes nouvelles : les Ismaïliens presque libres-penseurs ; les Druses qui ne s’accordent ni avec les chrétiens, ni avec les autres musulmans, etc. Les Suffites, dont l’origine remonte à Rabia, une femme morte vers 700, sont des mystiques pour qui l’âme est une émanation de Dieu et qui rêvent d’un retour à lui par la voie de l’amour. Ils devinrent assez nombreux en Perse à partir du ixe siècle et fondèrent des couvents. Au sein de l’islamisme orthodoxe, des tentatives de réforme ont eu lieu également : les Motazilites voulaient purifier la religion ; les Wahha-

bites s’insurgeaient contre le relâchement des mœurs, ainsi que contre le culte des saints et des reliques. Ils s’emparèrent de la Mecque au début du xixe, mais furent vaincus en 1818 par Méhémet-Ali agissant au nom du Sultan. On ne peut donner même une simple liste de toutes les sectes soit sunnites, soit schiites. Rappelons seulement qu’une confession nouvelle, le Bâbisme, fut prêchée en Perse, à partir de 1840, par le réformateur Madhi el Bâb que l’on fusilla en 1850, mais dont l’œuvre fut continuée par des disciples enthousiastes, les babistes, nombreux malgré les persécutions qu’ils ont eu à subir, réclament l’admission des femmes aux cérémonies du culte, la suppression de la polygamie et du voile, des mesures en faveur des pauvres et des opprimés. Par ailleurs les « Jeunes Turcs », qui en 1908, mirent fin au règne abominable d’Abd-ul-Hamid, cherchèrent à concilier la civilisation moderne et le Coran. Sous le gouvernement de Mustapha-Kemal des transformations religieuses autrement profondes s-
ont survenues. En 1924, l’Assemblée nationale supprima le khalifat ; elle décréta encore la séparation de la religion et de l’État. Aujourd’hui le mariage est laïcisé en Turquie ; la polygamie est interdite ; et les écoles donnent un enseignement d’inspiration rationaliste. Pourtant l’Islam n’a pas dit son dernier mot dans l’histoire du monde ; il compte plus de deux cent millions d’adhérents et ne cesse de faire des progrès du côté de l’Inde, ainsi qu’en Afrique. En Europe les préventions anciennes contre le prophète de Médine sont en voie de disparition ; à beaucoup sa doctrine n’apparaît pas plus absurde que celle de Jésus-Christ, et une mosquée s’élève actuellement en plein Paris.

Peu-être l’Islam doit-il, pour une bonne part, à ses confréries l’activité conquérante dont il est toujours animé. A l’exemple des moines chrétiens ou buddhistes, de dévots musulmans entreprirent, de sauver leur âme à tout prix en s’imposant des prières surérogatoires et en réchauffant le zèle des croyants. D’où les ordres religieux ou confréries qui cachèrent leurs visées politiques sous le manteau d’un mysticisme désintéressé, absolument comme chez les catholiques romains. Et leur influence devint telle, que généralement les pouvoirs publics n’osèrent leur résister ; leur nombre aussi s’accrut démesurément. Chacune possède un supérieur général ; au-dessous, des moqaddem ou prieurs dirigent les groupes provinciaux et confèrent l’initiation dans la contrée qu’ils gouvernent ; puis viennent les khouans ou frères. Tous les membres de l’ordre se doivent aide mutuelle et protection ; ils appartiennent au chef, corps et âme. Ce dernier réunit les moqaddem, une ou deux fois l’an, pour arrêter les décisions importantes que l’on communique ensuite aux khouans. Les plus curieuses de ces confréries, mais non les plus influentes, sont celles des derviches, appelés jadis safis ou fakirs. Après un long noviciat et de pénibles épreuves, les derviches font vœu de pauvreté, de chasteté et d’humilité, puis reçoivent une initiation particulière du supérieur ou cheik. Ils mendieront ensuite pour leur couvent et prêcheront sur les places publiques. Les derviches tourneurs, dont la maison-mère est à Konieh, possèdent un monastère dans le faubourg de Péra et se livrent publiquement à des danses sacrées, le mardi et le vendredi. Après une procession solennelle et un salut au cheik, ils tournent avec une adresse étonnante et une volubilité extrême, au son du tambourin et de divers instruments. Quant aux derviches hurleurs, ils arrivent à l’anesthésie cataleptique par des invocations répétées à leur fondateur, Mahomed-ben-Aïssa, des cris suraigus, et des oscillations rapides de la tête au-dessus d’une cassolette où brûle du benjoin. Et lorsqu’ils sont arrivés au paroxysme de l’exaltation, ils se transpercent les joues, se labourent le corps, lèchent des fers rougis, tiennent des charbons