Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MIL
1567

autres êtres qui forment le milieu, dont il modifie également l’orientation.

Les êtres organisés présentent cette particularité d’être construits par ces heurts et de former des mécanismes conquérants et conservateurs luttant contre le milieu qui les absorbe finalement dans un cycle sans fin. Cette manière de concevoir les choses explique la co-éternité des êtres élémentaires, donc l’éternelle coexistence de l’un et du milieu, mais elle admet, dans la succession des cycles, l’antériorité du milieu inorganisé à l’être organisé. Celui-ci est donc le produit de celui-là. Les êtres vivants, une fois constitués, se trouvent alors en présence de deux sortes de milieu : le milieu inorganisé, ou physico-chimique, et le milieu organisé ou vital, formé par tous les êtres vivants. Ceux-ci, en se reproduisant, passent par toutes sortes de phases progressivement complexes sous les influences du milieu physico-chimique, de telle sorte que chaque germe nouveau est le double produit du milieu organisé et inorganisé ; celui-ci continuant de déterminer celui-là.

S’il nous est impossible d’assister à ces commencements absolus d’organisation, il est relativement aisé d’en suivre l’évolution conquérante chez la plupart des êtres vivants. Cette évolution s’effectue suivant des plans de plus en plus compliqués formant autant de milieux différents dans lesquels réagit l’individu. Le premier milieu qu’il subit est le milieu physico-chimique contribuant à sa formation et à sa croissance. Cette influence est démontrée par la nécessité absolue de certaines conditions extérieures pour en favoriser l’évolution : chaleur, humidité, azote, oxygène, etc. Des expériences très nombreuses démontrent la dépendance étroite du phénomène vital des actions physico-chimiques le modifiant. Par exemple, dans l’évolution de l’œuf de l’oursin, la plupart des sels contenus dans l’eau de mer se révèlent indispensables de la manière suivante : la fécondation ne peut s’effectuer sans potassium et sans magnésium ; la segmentation exige le chlore et le sodium ; la cohésion des cellules entre elles nécessite la présence du calcium ; la croissance ne peut se réaliser sans potassium et sans calcium ; le tube digestif ne peut se former sans le souffre et le magnésium ; la formation du squelette ne s’effectue point sans carbonate de chaux, etc…, etc…

Les œufs d’un poisson marin, le Fundulus, plongés dans une solution d’eau de mer et de chlorure de magnésium, donnent naissance à de petits poissons n’ayant qu’un seul œil sur la ligne médiane de la face.

Chez certains pucerons vivant sur le rosier, la femelle parthénogénétique donne naissance à des jeunes dont les uns deviennent ailés et les autres restent aptères. Si l’on arrose le rosier avec certaines solutions de sel de magnésium, ou d’antimoine, ou de nickel, de zinc, d’étain, de plomb, de mercure, ou de sucre, tous les jeunes deviennent ailés. L’alcool, l’acide acétique, l’alun, le tannin, les sels de calcium, de strontium, de potassium empêchent, au contraire, la formation des ailes.

On sait enfin que les têtards de grenouille nourris avec de la thyroïde de mammifères se métamorphosent très rapidement, sans attendre leur croissance normale et donnent naissance à des grenouilles naines. Nourris avec du thymus, c’est tout le contraire : les têtards croissent très rapidement et parfois ne se métamorphosent point.

Ainsi, l’être n’est rien sans le milieu qu’il conquiert et dans lequel il puise les éléments pour sa croissance et son évolution, mais il est compréhensible que tous ces éléments ayant formé, par leur hétérogénéité, la diversité des formes vivantes, l’être, à son tour, sera plus ou moins modifié suivant les variations de ce milieu. D’où les différences profondes, même entre les divers individus d’une même espèce.

Ces phénomènes d’assimilation et de désassimilation se passent sur un plan moléculaire peu connu, dont nous ne voyons que les effets. L’ensemble des êtres forme ensuite un autre milieu (milieu social pour les espèces vivant en société) précédant également l’apparition de l’individu et le déterminant psychologiquement, ce qui est déterminé, ici, c’est le système nerveux commandant l’orientation générale et spéciale de l’individu. On a cru nier l’influence du milieu en disant que l’individu faisait le milieu et que celui-ci n’était rien sans celui-là. En nous représentant d’abord chaque individu comme étant le milieu pour autrui, nous pouvons déjà prévoir que l’homme détermine l’homme et que, par conséquent, l’influence du milieu humain sur l’individu ne peut se nier. Si nous observons ensuite l’évolution des individus dans l’espace et dans le temps, nous voyons alors que la notion de milieu prend une importance considérable, parce que, de même que chaque être organisé vit différemment suivant la complication de son organisme, de même chaque forme sociale détermine différemment les individus qui en font partie. Plus le groupement social est limité en quantité et en désirs conquérants, et plus sa forme de coordination est simple et peu organisée. L’influence de chaque membre vis-à-vis des autres n’y est pas très accusée, ainsi en est-il chez la plupart des sociétés animales.

Cela change énormément avec les sociétés humaines. L’imagination, les désirs de conquête, les nécessités de lutte ont groupé les hommes autour des plus valeureux, des chefs, des patriarches, des sorciers, etc., etc., et cette coordination ne s’est point effectuée chaotiquement, mais selon des habitudes, des mœurs, des traditions, des lois, transmises de générations en générations, imposées par les plus forts aux plus faibles et, par conséquent, par les parents à leurs enfants. Comme la mentalité individuelle est fonction de la mentalité héréditaire et de l’éducation reçue, nous voyons que l’enfant est tout entier le produit de son milieu et que devenu homme, il en sera le continuateur. Sa seule chance d’évolution, hors la norme routinière ne peut provenir que d’une modification causée par une variation lors de sa procréation déterminant de virtuelles aptitudes évolutionnelles sous l’influence de l’hétérogénéité sociale. Si, donc, nous suivons le fonctionnement social, nous voyons que l’affirmation, que le milieu fait l’individu, est rigoureusement vraie si on examine les faits dans leur succession dans le temps.

Pour l’enfant, les adultes représentent des réalités déterminantes aussi impérieuses que le froid ou la faim. Pour l’adulte, les autres humains ; artisans, savants, commerçants, guerriers, dirigeants, sexes différents, etc…, etc…, sont autant de réalités déterminantes d’autant plus importantes qu’avec le nombre et le degré d’organisation les comportements individuels se modifient, améliorant ou empirant les relations des humains entre eux. Le milieu social n’est donc pas quelque chose d’abstrait ; il est formé de l’action de tous les êtres ayant précédé l’individu et de celle des êtres coexistant avec lui.

On compare parfois l’évolution sociale à l’évolution individuelle ; l’analyse des deux fonctionnements nous montre que les mêmes causes engendrent les mêmes effets sans qu’il en résulte une similitude parfaite des deux organisations. Autrement dit la division des cellules et leur agglutination s’effectuent selon une complication progressive déterminant parallèlement une modification ou différenciation de chacune d’elle ou de certains groupes, mais l’ensemble constitue un tout très solidaire, très limité, très individualisé, évoluant de la naissance à la mort.

La multiplication des individus crée également une complication du milieu social, lequel, à son tour, déter-