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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/235

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MIL
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toire du mouvement ouvrier honore sous la dénomination de Martyrs de Chicago.

C’est sous l’influence de militants libertaires que les syndicats se débarrassèrent de plus en plus de complications paperassières, de règlements inutiles, d’obligations surannées et remplacèrent les « sollicitudes législatives » à l’égard des syndicats, par des mœurs ouvrières adéquates à la mentalité syndicaliste. La tactique d’action dans les grèves fut également transformée. Ce n’est pas ici la place d’en décrire toute l’efficacité, ni d’en dénombrer les résultats ailleurs exposés. Revenons au militant. Définissons bien ce qu’est ou doit être le militant syndicaliste.

Contrairement à l’opinion de certains anarchistes hostiles au syndicalisme, nous pensons que le syndicat ne diminue pas la personnalité de l’anarchiste. S’il est ouvrier, sa place est au syndicat. Il y doit faire nombre et œuvrer pour revendiquer aussi son droit à la vie meilleure. S’il veut devenir un militant syndicaliste digne de ce nom, il lui suffira de ne pas se croire d’essence supérieure à ses camarades, de n’afficher au milieu d’eux aucun pédantisme, de n’affecter aucun dédain de leur ignorance, de se montrer, en un mot, pénétré d’affectueuse tolérance et partisan d’une fraternelle égalité. Pour cela, sans aucune vanité, il prendra plaisir à partager son savoir, à faire don de son érudition. Rien de plus facile à un travailleur que de parler simplement à des travailleurs et de se rendre sympathique à tous, par sa franchise et sa sincérité. Car si les travailleurs manquent parfois d’éducation et trop souvent d’instruction, ils ont, en général, bon sens et clairvoyance. Ils savent, peu à peu, reconnaître la bonne foi et le désintéressement et apprennent à se défier de qui veut les influencer pour les tromper. Les politiciens bavards ont dégoûté les travailleurs et les intellectuels prétentieux les ont écœuré ; du moins dans les syndicats d’avant-guerre il en était ainsi.

Comment on devient militant ? Ce sont les circonstances de la lutte ouvrière qui donnent ordinairement l’occasion à un militant de se révéler, de sortir de l’ombre. Une conviction forte étouffe vite des sentiments de modestie mal placés. L’ardeur avec laquelle le militant se dispose à servir les intérêts de tous, en. défendant énergiquement la cause commune, n’échappe pas à ceux qui admirent ses qualités. D’instinct, ils pressentent en lui l’homme qui serait un guide. Il est choisi. On le désigne pour représenter ses camarades, pour les impulser, pour parler en leur nom. Il ne séparera pas l’affranchissement de l’individu de l’émancipation des travailleurs. Pourvu que nulle ambition mal placée ne se dévoile un jour chez ce militant, le voilà qualifié et mis à même de besogner dans un milieu qui est le sien, avec sa classe, en accord avec la collectivité si intéressante des exploités, le voilà apte à mener dans la bonne voie révolutionnaire le groupement ouvrier qui lui fait confiance. Il n’y faillira pas, si les travailleurs qui l’ont choisi ne se sont pas trompés. Car, il faut bien convenir qu’il n’y a pas toujours que des individus d’élite parmi les militants ouvriers. Les événements nous l’ont prouvé. L’ambition, la vanité, la paresse font vite de mauvais militants des profiteurs et des arrivistes. Il y a des renégats partout. Il n’est pas de troupeaux, dit-on, où il n’y ait quelque brebis galeuse. Pourtant, le syndicat devrait être le seul groupement réfractaire à ces produits malsains, car il est ce que le font les syndiqués. Ceux-ci ne doivent donc pas se désintéresser de leur syndicat (voir ce mot). Le groupement syndical ne doit pas être la chose de quelques-uns ; il est un groupement des intérêts de tous. C’est ce que le militant doit y répéter sans cesse en agissant conformément à ce principe. Le militant sincère, sûr de lui-même, exige toujours le contrôle de tous sur sa conduite, sur ses actes. Il fait ainsi pré-

cisément comprendre qu’il est le représentant et non le dirigeant du syndicat. De cette façon, , il se rend digne de là confiance qui lui est donnée et s’abstient rigoureusement d’en abuser. Il reste l’égal de tous dans un groupement de parfaite égalité… C’est un devoir d’agir en militant quand on en possède les rares et précieuses dispositions et toutes les qualités. Mais comme nul n’est obligé d’accepter ce rôle public, il faut, quand on y consent, l’être loyalement, entièrement, fièrement et surtout proprement. Le syndicat vaut ce que valent les syndiqués. Et les militants sont ce que leur tempérament, leur conviction, leur honnêteté leur permettent d’être et de rester. Que l’on choisisse bien l’homme qu’il faut pour être militant dans un groupement ouvrier. De lui dépend la bonne marche de l’organisation. Surtout veillons à ce qu’il ne soit ou ne devienne pas un politicien. On sait tout le mal fait par la politique et par les politiciens à la classe ouvrière quand celle-ci fut sa proie (et comme elle marque, momentanément il faut l’espérer, une fâcheuse tendance à le redevenir aujourd’hui). La politique, au syndicat, c’est la division fatale entre travailleurs ; c’est alors le mépris mutuel faisant place à l’estime réciproque des syndiqués entre eux. C’est la pire des déviations. C’est, de plus, une absurdité à l’égal de celle d’un « syndicat confessionnel ». Le militant doit en dénoncer le péril à tous les syndiqués. La politique divise les travailleurs, en fait des frères ennemis, finit par détruire le syndicat.

Il est peu logique de se prétendre fervent syndicaliste en même temps que socialiste politique convaincu. Il y a contradiction flagrante à dire aux syndiqués : « Faites vos affaires vous-mêmes, et-ne comptez que sur vous pour conquérir votre affranchissement social » et à proclamer, en réunion publique, devant des électeurs : « C’est par la conquête des Pouvoirs Publics, par le bulletin de vote, par l’envoi des vôtres aux Assemblées législatives que vous serez les maîtres de vos destinées »…, étant donné que toujours on a vu, par ce moyen, non pas ces bons apôtres conquérir les Pouvoirs Publics, mais être conquis par eux… ce qui n’est pas du tout la même chose. Que les ouvriers, dans leurs syndicats ne soient pas dupes de ces « trop dévoués à la cause », ayant ordinairement deux visages et dont le « désintéressement » est, de ce fait, suffisamment équivoque. Le syndicat ne doit pas servir de plate-forme d’apprentissage aux arrivistes, de tremplin aux ambitieux. Le militant syndicaliste doit savoir qu’il n’a rien à espérer d’autre en son apostolat que des satisfactions morales, des consolations de sa conscience forte, dans le devoir accompli, malgré les persécutions des gouvernants au service du patronat. Peut-être même rencontrera-t-il l’ingratitude de ceux qui le devraient aimer, soutenir et encourager. Le militant doit braver tout et tout subir stoïquement ou se retirer simplement s’il craint de succomber sous la lassitude ou le dégoût.

Ce qui fait la force du militant, tel que nous l’envisageons, c’est justement la faculté qu’il a de reprendre sa place dans le rang, quand la charge de militant lui paraît trop lourde à porter. Rien n’est plus réconfortant qu’un militant conscient de sa valeur et soucieux de sa dignité qui sait se retirer « en beauté », sans un regret, sans un reproche, tout en conservant intactes ses convictions, heureux de se retremper dans le milieu même, où il pourra, sans rancune, savourer fièrement la joie d’avoir été un vrai militant, ne boudant pas à l’heure, qui peut se représenter encore, où il sera, nécessaire de tout braver dans l’intérêt commun. — Georges Yvetot.


MILITARISME n m. (rad. militaire). Le militarisme est un système qui consiste à avoir et entretenir des militaires, des armées. Son but essentiel et avoué est