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sauvegarde, toutes les vertus qui alimentent le césarisme ?… — Georges Yvetot.

À lire : Psychologie du militaire professionnel (A. Hamon) ; Sous-Offs (L. Descaves) ; Biribi (G. Darien) ; L’Armée contre la Nation (Urbain Gohier) ; Le livre d’or des officiers français (Chapoutot) ; les satires de G. Courteline, etc…


MILITANT(E) (rad. militer) adj. Qui fait la guerre, qui combat. Une nation guerrière et militant, — Qui lutte, qui dispute une victoire : La vie de l’homme est une vie militante. Politique militante : Politique de lutte. — Substantiv. : Partisan de cette politique : Les militants. Église militante (v. Église).

Mais il est un sens — pour nous familier, et qui entre de plus en plus dans la terminologie courante — sur lequel nous voulons, ici, nous étendre davantage. Qu’est-ce qu’un militant ? Le militant tel que nous le comprenons s’apparente à l’apôtre, à l’agitateur et à l’animateur. Comme l’apôtre il se voue à la propagation et à la défense d’une doctrine, d’une idée, d’une cause, avec l’enthousiasme de la foi, un prosélytisme ardent et le désintéressement d’une conviction inébranlable. Comme l’agitateur, il est celui qui réveille les masses populaires et les entraîne à la lutte contre les iniquités sociales. Comme l’animateur, il organise, éduque, enflamme et galvanise ceux qui, comme lui, comprennent que leur émancipation totale ne dépend que de leur effort, individuel et collectif. (Voir les mots Agitateur, Apôtre).

Parlons de nos militants. Par la parole, par l’écrit et par l’action les militants anarchistes, dans le monde entier — et surtout à la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci — ont donné l’exemple, parfois farouche et tragique, de l’esprit de sacrifice entier à la cause révolutionnaire. Nombreux sont les justiciers, les vengeurs, les généreux exaspérés qui ont remué les masses miséreuses et. terrifié la bourgeoisie par leur propagande individuelle.

Leur admirable apostolat n’a pas été couronné du succès tant espéré… Leur sacrifice n’a pas amené le triomphe de l’anarchie ; mais l’espoir a jailli de partout et la philosophie anarchiste s’est largement répandue parmi les exploités, elle a pénétré les mouvements de revendication prolétarienne… Malgré, les persécutions, la discussion des idées subversives partout continue. Les idées et les militants les plus connus de l’anarchie eurent des sympathies dans tous les milieux de la société. L’objection qu’ils rencontraient dans leur propagande était le plus souvent celle-ci : « Ce que vous préconisez est trop beau pour une humanité si laide ! » Mais discuter une idée, c’est vouloir la comprendre et la comprendre c’est commencer à l’adopter. L’idée faisait donc son chemin. D’autant plus que partout les procès retentissants de militants anarchistes passionnaient l’opinion publique. Des propagandistes admirables réfutaient pied à pied les objections de l’éloquence judiciaire au service de la justice bourgeoise. Quant aux responsables de « propagande par le fait », leur attitude, simple ou crâne, fut toujours celle de héros vaincus, mais non désespérés du triomphe de l’Idée et heureux de l’occasion qui leur était donnée d’expliquer et de justifier leurs actes « devant des ennemis et non des juges », comme ils disaient. L’activité de ces militants, leur audace affolaient les bourgeois, mais réconfortaient les travailleurs emportés par de tels exemples loin des pitreries des tréteaux politiques.

De cette propagande de « l’époque héroïque » anarchiste, l’éducation populaire se ressentit fortement. Une mentalité nouvelle se révélait. Les militants de l’anarchie, orateurs et écrivains, développaient avec succès les généreuses idées de liberté et de fraternité humaine. Ces idées se discutaient et les espoirs d’un

avenir très prochain se formulaient surtout parmi les travailleurs. Il s’agissait de favoriser et d’amplifier cet acheminement vers la justice sociale par l’organisation de la classe ouvrière. Ce fut le rôle des militants syndicalistes.

Les travailleurs groupés en vue de revendiquer un meilleur salaire offraient en effet un terrain merveilleux pour une propagande plus hardie et plus logique que celle de l’entente des exploités avec leurs exploiteurs et, dans ces groupements, il était facile de montrer la solidarité ouvrière s’effectuant dans l’action revendicatrice autrement que par la mutualité.

Tout est mieux compris entre frères de misère, entre compagnons de chaîne. Souffrir et espérer ensemble prédispose singulièrement à avoir mêmes pensées. C’est pourquoi les ouvriers affranchis du respect de l’autorité, imbus d’idées de justice sociale et animés de saine révolte contre les iniquités furent aptes à se faire comprendre parmi les travailleurs en leur parlant de la possibilité de conquérir (par l’union et par l’action sur le terrain économique, dans le syndicat) le Bien-Être et la Liberté. Loin de dénigrer le Travail, source de toute la richesse sociale dont ne profitent point les travailleurs, ils en démontrèrent la nécessité et la beauté à la condition que le Prolétariat — par son action énergique et coordonnée — ait supprimé l’iniquité sociale sur laquelle est basée le régime bourgeois : l’exploitation de l’homme par l’homme.

Ces militants anarchistes ou libertaires surent se faire comprendre. Ils surent convaincre. A leur contact les travailleurs prirent conscience de leur valeur et comprirent qu’ils devaient rester unis pour être forts. C’est de cette éducation poursuivie dans les syndicats que naquit la C. G. T. La propagande syndicaliste des militants anarchisants nous semble la seule efficace pour aboutir à la « suppression du Patronat et du Salariat », principe fondamental de la C. G. T. et but suprême du syndicalisme. C’est du producteur, affranchi dans sa mentalité par l’éducation, que surgira l’action prolétarienne propice à l’éclosion d’une société nouvelle d’hommes libres sachant s’entendre et s’entr’aider pour la vie…

Les militants syndicalistes surent donner aux syndicats ouvriers une allure combative qui ne fut pas sans alarmer les exploiteurs et leurs défenseurs. L’État mit au service des patrons contre les ouvriers tous les moyens de répression possibles. Magistrature, Police, Armée furent mobilisées contre la classe ouvrière en œuvre d’émancipation. De nouvelles lois répressives furent vite bâclées et appliquées aux militants. Une presse servile trompa sciemment l’opinion publique pour l’ameuter contre l’ouvrier syndiqué et contre ceux qui, sans ambition personnelle, attaquaient droit l’édifice d’iniquité.

Mais tout cela n’empêchait nullement le syndicalisme d’être redoutable par sa tactique révolutionnaire et ses formules d’action directe. Tout cela n’empêchait pas les militants de continuer une propagande salutaire, exhortant les masses à opposer la force ouvrière à la force patronale et combattant ardemment, par la parole et par la plume, les actes de répression gouvernementale et les lâchetés parlementaires. Les années de prison s’accumulaient sur la tête des militants qui osaient qualifier, selon leurs mérites, les valets de la bourgeoisie capitaliste. Ces militants avaient compris leur rôle. Ils savaient qu’ils ne devaient plus s’arrêter en chemin ; puisqu’ils avaient mis le prolétariat sur la voie de la révolution sociale, ils devaient l’accompagner jusqu’au bout, dût, parfois, les interrompre un repos-forcé dans les prisons de l’État. Devant les juges, eux aussi, revendiquaient hautement la part de responsabilité qu’ils avaient dans l’effervescence révolutionnaire parmi les travailleurs. Ils marchaient crânement sur les traces des syndicalistes américains que l’his-