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MIL
1582

militarisme coûte aux nations de 20 à 25 % de leur capacité de production, c’est-à-dire qu’il réduit d’autant le bien-être.

Un des premiers efforts d’une société organisée pour la justice, la liberté et le bien-être, devra être la disparition du militarisme, qui entraînera celle des patries et celle des États, perdant leur soutien.

La suppression du militarisme, à elle seule, apportera un immense soulagement matériel, une augmentation considérable des satisfactions de chacun. Et la disparition de ce formidable instrument de tyrannie et d’oppression sera la meilleure garantie de la liberté de tous. – Georges Bastien.

MILITARISME. Prépondérance exagérée de l’armée dans une nation. Tous les États sont militaristes, mais principalement les monarchies ; exemples : l’Allemagne et la Russie avant la guerre.

Le roi, toujours égoïste, songe avant tout à lui-même. Il se croit très au-dessus de l’humanité, non par l’effet d’une valeur intellectuelle personnelle, mais du fait d’en engendrement spécial et supérieur. Le peuple n’a pour lui qu’une importance secondaire ; il s’en préoccupe aussi peu que le propriétaire d’une maison se soucie du bien-être des rats qui en habitent les caves.

Mais ce qui lui importe c’est l’armée (voir ce mot). L’armée qui défend le pays, mais qui surtout protège sa précieuse personne contre les ennemis de l’intérieur.

La cavalerie vêtue de couleurs vives, ornée d’acier et de cuivres bien astiqués, casquée de métal doré, caracole autour de la voiture impériale.

Le peuple fait la haie, il écarquille les yeux pour ne pas perdre une miette de ce beau spectacle. Comme cela brille ! Il acclame, il hurle : Vive l’empereur ! Vive l’armée !

Cette armée n’est belle que dans les parades. Les casernes sont malpropres, sans aucun confort. Les soldats y couchent en chambrée et la nuit il se dégage de tous ces jeunes corps mal tenus une odeur infecte. Le soldat n’est pas une « petite maîtresse », dit l’officier, les odeurs ne le gênent pas, même celle des matières chères à Cambronne.

La nourriture est détestable, préparée en grand par un cuisinier paresseux. Les vivres, bien que vendus chers au gouvernement, sont de mauvaise qualité et la préparation en est faite sans soin. Le soldat, qui ne doit pas avoir d’odorat, ne doit non plus avoir de goût.

La soupe, le bœuf et les fayots
Ça fait du bien par où ça passe…

Quand on a faim tout est bon évidemment et le soldat ne continue pas moins de manger son rata, si on a trouvé dans la marmite une demi-douzaine de souris… noyées par accident.

Souvent des épidémies éclatent:rougeole, variole, scarlatine, fièvre typhoïde ; l’hygiène est très mauvaise, l’eau est contaminée. De la caserne, le soldat passe à l’hôpital militaire qui ne vaut guère mieux. Souvent au lieu de guérir de la maladie qu’il a, il contracte celle qu’il n’a pas et il meurt. Aucune importance. Si on est à la caserne pour apprendre à tuer ne doit-on y apprendre à mourir aussi ?

Toute la « casernée » s’ennuie mortellement. Les exercices sont fastidieux ; on apprend en un ou deux ans ce qui peut s’apprendre en trois mois. L’exercice fini, c’est le désœuvrement dans la promiscuité avec des gens qu’on n’a pas choisis. Le recrutement jette un coup de filet dans la rue, dans les champs ; le poisson est médiocre. Lire ? impossible. Toute la chambrée hurle ; d’ailleurs on aurait vite arraché son livre à ce rat musqué d’intellectuel ; le papier imprimé est surtout bon à un tout autre usage.

Mais les brutes s’ennuient aussi. Pourquoi sont-elles

là ? L’un voudrait être derrière sa charrue, l’autre à son atelier, l’étudiant voudrait continuer ses études. Le temps passé à la caserne est du temps perdu et l’on est en colère contre le gouvernement qui vous force d’être là où on n’a que faire. La patrie, a dit le colonel… « Oui, cause toujours, on la connaît ! »


Pour se forcer à l’espoir on écrit sur le mur derrière son lit le nombre de jours qui restent et il se trouve que chaque jour ce nombre diminue d’une unité : plus que 327 ; allons, ça se tire… vivement la classe ! Cependant on reste là ; rares sont ceux qui se révoltent, c’est que les châtiments sont terribles. Le conseil de guerre Biribi.

À Biribi, c’est là qu’on crève !
De soif et d’ faim.

La Boétie se demanderait comment une poignée d’officiers peut avoir raison de cette masse d’hommes.

C’est que les hommes sont très inférieurs. Pour mener à bien une révolte, il faudrait s’unir, s’organiser, avoir une volonté déterminée d’échapper à la caserne. Et tout cela nécessiterait une culture, une intelligence, un caractère que les hommes sont très loin de posséder. Chacun est incapable de voir plus loin que lui-même. Certes, l’adjudant-flic l’enrage ; mais il n’y a que patience à prendre ; un jour tout finira. On reverra ses champs, sa rue…

Seuls se révoltent les têtes brûlées : dégénérés pour la plupart, et aussi quelques anarchistes, quelques antimilitaristes pleins de courage. Du courage, il en faut ; toute une vie sacrifiée pour un résultat général très minime.

Le dimanche, dans la ville de garnison, les soldats déambulent par groupes de cinq ou six, les bras ballants, à travers les rues. Que faire ? la ville est étrangère, on n’y connaît personne. Quand on a un peu d’argent on va au beuglant, café-concert de bas étage, ou des artistes de dernier ordre régalent le soldat de refrains d’une obscénité répugnante. Il rit bruyamment en buvant du gros vin frelaté. Le soir, derrière la caserne des filles aux haillons souillés rôdent. Elles sont vieilles, véritables épaves de la prostitution. Leur visage est flétri, leurs cheveux sont gris, leurs seins pendants. Mais elles sont bon marché et le soldat n’est pas riche.

Petit, petit veux-tu f…
Mais la vérole est attrapée.

La vérole, maladie terrible encore, malgré les progrès de la médecine. Il faudra se soigner toute sa vie, autrement gare le tabès, l’hémorragie cérébrale ou la paralysie générale. À quarante ans ce sera fini ; mais quarante ans, quand on en a vingt, on pense que cela ne viendra jamais.

Petit, petit veux-tu f…

Si les partis réactionnaires sont militaristes c’est parce que l’armée est pour le peuple une école de soumission. Le peuple y apprend à obéir sous la terreur du code militaire qui a la mort à chaque page. Le général, le colonel, personnages chamarrés de galons qu’on ne voit que très rarement et de très loin mais qui sont terribles ; la vie du soldat est entre leurs mains. Ils peuvent le faire fusiller et, en défilant devant son cadavre, la musique du régiment jouera « Sambre-et-Meuse ». Et nunc erudimini, vous qui songez à la révolte !

Les grenadiers adoraient, paraît-il, Napoléon Ier. Plus tard, Freud dira que c’était d’un amour sexuel. Ces sentiments sont le fait des armées de métier. Le soldat d’aujourd’hui passe trop peu de temps à la caserne pour avoir l’amour du chef. Le chef moderne n’a pas, comme Napoléon, intérêt à caresser sa chair à