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MIL
1583

canon, surtout en république. L’officier, le général de division lui-même, n’est qu’un fonctionnaire ; le soldat ne l’intéresse pas du tout.

Sorti de l’armée, l’homme est formé pour la vie à l’obéissance. Il comprend que, bâtie depuis toujours, la nation a une puissance formidable et qu’en face d’elle lui, individu, n’est rien. Pas autre chose à faire que de suivre les sentiers battus ; il travaillera tous les jours, il respectera son patron comme il respectait l’adjudant Flic, il se mariera, aura des enfants et mettra de l’argent à la caisse d’épargne. Il lira le Petit Journal ou l’Ami du Peuple, parce que ces journaux ne sont pas dangereux, ne sont pas compromettants. Il s’intéressera aux faits divers. Les plus allants fréquenteront les manifestations sportives.

Il se défiera des révolutionnaires, des « fous » ou des « ambitieux », qui tentent de le faire sortir de la bonne voie. Évidemment, il y a des riches, ce n’est pas juste ; mais « cela a toujours été et sera toujours » !

L’armée, comme la société, est divisée en deux classes dont le grade de sous-lieutenant forme la barrière. Au-dessus du sous-lieutenant est la bourgeoisie, au-dessous est le peuple.

Le sous-lieutenant a le plus profond mépris pour l’adjudant Flic. Il est allé au lycée et de là à Saint-Cyr. L’adjudant Flic n’est allé qu’à l’école primaire ; la salle de police, les tinettes, les balais sont de son domaine. Le sous-lieutenant, lui, plane très haut au-dessus de ces malpropretés ; le soldat le dégoûte.

La guerre a brisé pour un temps la cloison : force a été de fabriquer des officiers avec des soldats. Le poilu, certes, était loin d’avoir dans sa musette le bâton du maréchal Foch ; néanmoins, il pouvait sans ambition désordonnée rêver au mince galon du sous-lieutenant. Mais la guerre finie, la démarcation reparait ; les officiers sortis du rang ont pu rester en fonctions, ils encourent le mépris de leurs camarades.

L’officier est un homme cultivé, mais d’une culture spéciale. Sauf exceptions, son esprit est borné par le milieu. Il a des idées réactionnaires ; celui qui montre des opinions avancées est persécuté par ses collègues ; on met tout en œuvre pour l’amener à quitter l’armée. Autrefois, on allait jusqu’à le tuer en lui suscitant des duels répétés, auxquels il ne pouvait se dérober. L’officier peut avoir du courage à la guerre, mais dans la vie il n’en a aucun. C’est un fonctionnaire, sans personnalité. Comme le soldat, lui aussi est terrorisé, il lui faut obéir à ses chefs, leur donner des marques de respect qui n’existent dans aucune administration civile.

Le métier est monotone et sans intérêt. À part l’élite qui va à l’école supérieure de guerre, ceux qui travaillent dans les inventions, les années de service n’apportent aux officiers que l’abrutissement. Leur vie privée est celle de petits bourgeois. Ils ont beaucoup d’enfants et vivent serrés dans un petit logement. En province ils ont une vie un peu plus large et aussi plus de considération. L’aristocratie de la petite ville s’agglutine pour lutter contre l’ennui. La femme aménage un petit salon et a son jour. Entre femmes d’officiers s’établit une hiérarchie comique qui correspond à celle des maris. Et que de cancans ! malheur à qui ne pense pas et n’agit pas comme tout le monde…

Le métier d’officier ne favorise pas beaucoup le développement, intellectuel ; la vieille baderne de colonel, ou même de général est classique. Le « Colonel Ramollot », personnage d’avant-guerre, l’a immortalisée.

Les républiques, même militaristes, subordonnent encore le pouvoir militaire au pouvoir civil « la grande muette » ; l’armée n’est qu’un instrument. Le chef d’armée habitué à commander à des soldats qui n’ont qu’à obéir et à se taire n’a pas, sauf exceptions, la souplesse nécessaire à l’homme d’État qui doit manœu-

vrer, non des mannequins, mais des gens qui pensent, qui du moins ont la prétention de penser.

On ne peut pas faire la révolution contre l’armée. La Russie, le Portugal, dans leurs révolutions, avaient l’armée avec eux. Au régiment et à l’atelier sont les mêmes hommes ; mais jusqu’ici on n’a jamais pu décider le prolétariat à former une armée révolutionnaire. Dans les émeutes, l’armée a toujours devant elle la foule sans armes. Plutôt que d’aller le soir dans une cave faire des mouvements d’ensemble devant un camarade, l’ouvrier préférerait renoncer à la révolution. Il n’y a que les prolétaires réactionnaires qui consentent à ce sacrifice. Au moment où j’écris, cent mille casques d’acier viennent de défiler au pas de l’oie dans les rues de Coblentz en acclamant la revanche.

Rendre l’armée sympathique à la révolution est très difficile. Les soldats sont jeunes. Sortis de chez leurs parents, ils n’ont pas encore vécus de la vie indépendante ; ils comprennent très peu les idées. En outre, la plupart sont des paysans et ils sont jaloux des ouvriers des villes, qu’ils considèrent comme des fainéants passant leur vie dans les plaisirs.

« Divide ut imperes », Thiers s’est servi de l’antagonisme des paysans et des citadins pour écraser la Commune de 1871. Un adjudant Flic, plus féroce encore que nature aurait dit alors à un malheureux condamné : « Tu le vois, ton frère, il va te fusiller ! » Il faisait allusion au vieux cliché de propagande : « Soldat, ne tirez pas sur vos frères ! »

Les guesdistes d’avant la guerre conseillaient à leurs jeunes adhérents d’aller à la caserne et d’y conquérir des galons afin de pouvoir d’autant mieux, le cas échéant, servir la révolution. Pure illusion, les soldats militants ne seront jamais qu’une minorité infime.

La révolution portugaise et aussi la grande révolution française avaient l’armée avec elles. Mais ils ne faut pas oublier que c’étaient des révolutions bourgeoises ; les chefs étaient acquis et les soldats suivaient les chefs. La révolution russe a eu avec elle une partie de l’armée, mais alors l’armée était désorganisée par une très longue guerre et elle avait rassemblé non seulement les jeunes, mais des hommes faits.

Tout homme d’opinion avancée ne peut pas ne pas détester le militarisme.

Le militarisme, c’est la guerre. L’adage « Si vis pacem para bellum » n’est pas vrai. « Les canons, les munitions », lorsqu’ils sont en trop grand nombre, doivent servir. Les officiers veulent pouvoir monter en grade à la faveur des vides que fera la mort. Et la guerre à son tour renforce le militarisme. L’armée passe au premier plan ; les grands chefs deviennent des idoles exposées à l’adoration des foules.

Les hommes meurent par millions, la vie économique est arrêtée, la pensée est jugulée. Les villes sont lugubres, le peuple foulé. On meurt au front, vous avez la chance d’être à l’arrière : souffrez !

La vie du soldat ne compte plus. On en fait massacrer des milliers dans une offensive inutile, uniquement pour mettre quelque chose dans le « communiqué » distribué à la presse. Sous Louis XIV, un général faisait tirer l’artillerie sur ses propres troupes pour leur apprendre ce que c’est que la guerre. Peu de changement.

Le militarisme, c’est la guerre et c’est aussi la réaction. « Le sabre et le goupillon », comme on disait pendant l’affaire Dreyfus ; le soldat et le prêtre : deux hommes du passé qui veulent dominer par l’abêtissement et la force. – Doctoresse Pelletier.



MILLIARDAIRE n. m. Personne qui possède un ou plusieurs milliards. Ce terme est devenu l’appellation, dans la langue courante, d’une personne immensément riche, d’une sorte de nabab de l’argent et des affaires.

S’il y a quelque chose qui démontre l’iniquité du