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le témoin est victime d’une illusion. D’ailleurs, pour constater qu’il y a miracle et tenir pour tel le fait signalé, il faudrait connaître, dans sa totalité, le jeu des lois naturelles, ce dont personne ne peut se vanter, et, ensuite, avoir pénétré dans leurs moindres détails, toutes les circonstances qui ont déterminé le miracle. Qu’il demeure la plus petite cause obscure et le miracle est contestable.

Croire à un miracle parce que vous en avez eu le spectacle, spontané ou provoqué ? Mais, alors, pourquoi ne pas authentiquer le merveilleux que fera défiler sous vos yeux le premier prestidigitateur venu ? Pourquoi ne pas accorder sans réserve votre foi aux tours d’adresse et de subtilité, que la surprise et la rapidité d’exécution ne vous permettront pas de comprendre, et qui paraîtront apporter des résultats incroyables ? Et cependant, vous demeurerez sceptiques devant les tours de passe-passe prodigués pour votre amusement, alors que vous croiriez au miracle proclamé, enseigné par le religieux ? Pourquoi ? Parce que le prestidigitateur, tout en provoquant des faits, des enchaînements de faits aussi extraordinaires que le second ne fera pas intervenir au cours de ses présentations ingénieuses, un être imaginaire et ne vous inspirera pas de la crainte. Sauf le cas où il est, lui aussi, l’instrument de quelque théurgie, il ne cherche qu’à vous laisser l’impression qu’il est un homme extrêmement habile et doué de capacités qui vous manquent, à un tel degré du moins. Il ne s’entourera pas, pour frapper votre esprit de l’appareil rituélique des religions…

Mais qu’il introduise un peu plus de sérieux dans ses tours de physique, qu’il revête ses opérations d’un cérémonial approprié, qu’il vous dise que c’est l’esprit de Louis XIV ou de Voltaire qui fait tourner la table ou qui frappe des coups à la porte et voilà déjà que vous ne prenez plus la chose « à la rigolade », vous ne riez plus, car vous redoutez de paraître sot ou d’être irrévérencieux, ou de déplaire à l’esprit qui pourrait vous clouer sur place ou vous emporter avec lui dans le fond de la terre ou l’immensité de l’espace. Vous sentez que votre doute a quitté le persiflage et s’oriente vers l’acceptation. Vous ne parlez de ce que vous avez « vu » qu’avec précaution et respect. Vous ne savez pas encore si vous devez faire crédit au surnaturel, mais vous n’osez nier…

Les enfants, et aussi les peuples (qui sont, en grand, l’image de l’enfance dans la société), ont toujours aimé les réalisations merveilleuses, les événements qui s’accompagnent de quelque féerie. Ne pouvant arriver assez vite, à leur gré, à commander aux éléments par leurs découvertes et leur travail, ils aiment doter des êtres imaginaires d’un pouvoir qu’ils voudraient posséder eux-mêmes, et leur faire accomplir les choses les plus extraordinaires conçues par leur imagination. Aussi, les contes, les fables, les récits (voir fable, légende, mythologie, etc…) qui narraient ces actions saisissantes, ces faits enchanteurs furent toujours goûtés des foules, et ils se les transmirent, avec plus d’embellissement encore que de fidélité, de génération en génération. Le fantasmagorique, l’irréel ont toujours bercé les peuples, endormi leurs misères ou flatté leur orgueil. Si puissante est la séduction exercée par le merveilleux que, même présenté sous forme de conte, on arrive sans peine à l’identifier au réel. On commence par désirer que les choses se soient passées ainsi ; puis, à force d’animer ce désir, on se range tout entier sous le charme et on finit par croire que c’est vrai. Ne voyons-nous pas des enfants, et même des grandes personnes, après la lecture d’un beau roman qui les a passionnés, arriver à dire : « Cela, a dû être vécu, ce doit être arrivé, les personnages de ce livre ont bel et bien existé ». Il en est de même pour le cinéma qui laisse de telles

empreintes sur le cerveau des enfants qu’ils croient non seulement à l’exactitude, à la véracité (rien, ni personne d’ailleurs, ne fait, en général, pour leurs esprits neufs, la démarcation) des spectacles les plus fantaisistes qu’on leur fait admirer, mais en viennent, plus d’une fois, a tenter de les réaliser eux-mêmes.

Cette disposition des peuples à croire tout ce qui force leur admiration a grandement facilité les entreprises religieuses. Elles ont su s’implanter à leur faveur et, grâce à elles, se maintiennent encore ou à peu près. Elles ont dû faire accomplir à leurs dieux, des actions surnaturelles, des miracles pour donner à la croyance populaire un aliment. Un Dieu qui ne pourrait faire de miracles ne serait pas un Dieu. Il ne tarderait pas à être détrôné, « disqualifié ».

Si nous faisons une incursion dans la religion catholique, qui est davantage à notre portée, pour y examiner le « miracle » religieux, nous nous heurtons, dès l’abord, a la coexistence des lois naturelles et d’un Dieu à la fois créateur et omnipotent.

S’il est animateur de toutes choses, Dieu est également le créateur des rapports des choses entre elles, c’est-à-dire des lois naturelles. S’il a créé et s’il régit ces lois, il est maître, en effet, d’y faire des dérogations c’est-a-dire de faire des miracles. Mais on se demande quel besoin a un Dieu omnipotent, omniscient et omniprésent, de cette norme régulatrice que sont les lois naturelles. Puisqu’il peut tout, sait tout, voit tout et est partout, c’est là pour lui combinaison superfétatoire. Il lui suffit de dire : « Dans chaque circonstance de l’Univers, il arrivera ce que je voudrai qu’il arrive. Nul autre que moi n’a le droit de prévoir ni de savoir ce que je me réserve de faire, car je veux conserver ma toute-puissance. » L’établissement de « lois naturelles » est une abdication de sa puissance ; si d’autres que lui peuvent traiter la matière et savoir ce qu’ils en obtiendront dans des circonstances données, il n’est plus le maître absolu, il n’est plus le Dieu qui s’agite pour nous dans l’imprévisible. La constatation de l’existence de lois naturelles est ainsi une preuve de l’inexistence de Dieu. Mais, d’autre part, si les lois naturelles n’existaient pas, elles ne pourraient subir de dérogations ; il n’y aurait donc pas de place pour le miracle ou, ce qui revient au même, tout serait miracle. Cela montre que, pareil à tant d’inventions destinées à abuser les naïfs, le miracle se désagrège à l’analyse et qu’il n’a point de consistance pour l’homme qui pense.

Aussi la religion le sait-elle qui ne fait état de ses miracles qu’auprès de ceux que leur simplicité dispose à les accueillir quand, devançant la stratégie religieuse, ils ne vont pas eux-mêmes jusqu’à les inventer. Auprès des personnes réfléchies, les marchands de miracles sont plutôt embarrassés et ils se délesteraient volontiers des plus grossiers qui illustrent la Bible s’ils pouvaient les jeter par-dessus bord. De même que le Dieu exalté par l’Église, lorsqu’elle discute avec des incrédules, n’a pas grand chose de commun avec celui qui donna à Moïse les tables de la loi divine. Elle ne soutient pas les mêmes miracles avec les gens de libre examen qu’avec ceux qu’elle sait disposée à tout accepter sans contrôle. Mais aussi comme elle sait bien que la grande majorité des êtres humains ne réfléchit guère au pourquoi ni au comment des choses et qu’il lui faut du merveilleux, elle continue de lui servir périodiquement des « miracles » qu’exaltent, auprès de la clientèle religieuse, ou à masque de religion, les bulletins paroissiaux, les Croix, et autres feuilles sacrées.

La Bible est farcie de « miracles » tellement stupides que l’Église n’en fait plus guère état aujourd’hui tellement ils sont en contradiction avec les faits. C’est d’abord celui de la création en sept jours, puis celui du déluge, de la confusion des langues, et une foule