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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/246

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MIR
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d’autres où Dieu opère en personne. Fatigué sans doute de ces travaux d’Hercule, il délégua ensuite le pouvoir de faire des miracles à certains de ses prophètes. C’est alors Jonas, avalé par une baleine (au gosier distendu pour la circonstance), qui sort vivant le troisième jour ; c’est Josué arrêtant le soleil ( !) pour lui permettre d’achever l’extermination de ses ennemis ; c’est Samson tuant mille Philistins avec une mâchoire d’âne (on ne dit pas si c’est la sienne ou celle de l’auteur du récit) et faisant écrouler un temple en en renversant les piliers ; ce sont les eaux de la Mer Rouge se soulevant pour laisser passer les Juifs poursuivis par les Égyptiens et se refermant ensuite sur ces derniers ; ce sont les murs de Jéricho qui, au siège de cette ville par les Juifs, s’effondrent au bruit des trompettes, etc., etc. On croirait lire les contes des Mille et une Nuits avec, en faveur de ceux-ci, cette différence qu’ils ne nous éblouissent que pour nous charmer, tandis qu’ailleurs on y poursuit, sans rire, des prétentions grotesques à la véracité.

Puis ce sont les miracles de Dieu le Fils : Jésus-Christ guérit les incurables, multiplie les pains, ressuscite le mort Lazare et se ressuscite lui-même trois jours après sa mort ; puis il monte enfin au ciel où il trône depuis ce temps à côté du Père et du Saint-Esprit, ne faisant qu’un Dieu à eux trois, entouré des anges et des saints.

De nos jours, la fabrique aux miracles, essoufflée sans doute par l’effort de tant d’œuvres d’art, ne sort plus de produits aussi sensationnels que ceux qu’a consignés la Bible. Nous sommes trop près pour les voir dans tout leur enjolivement. Nous n’avons pas le recul favorable au mirage. Les miracles, pour nous, n’ont pas eu le temps de s’embellir et de s’enfler comme toutes les légendes à mesure qu’elles s’enfoncent dans le passé, au point de nous méduser par leur importance.

L’Église moderne refrène habilement l’extravagance compromettante. Elle se contente de miracles plus modestes. Elle opère le plus souvent dans cette partie où la science est encore la plus imprécise : la médecine, où les cas, mal connus, apparaissent encore tellement variables avec les individus qu’on ne peut guère, jusqu’ici, formuler de règles générales. La plus grande officine de miracles est sans contredit celle de Lourdes, où les malades guérissent en se baignant dans la piscine aux microbes.

En psychologue avisé, c’est toujours aux êtres faibles que s’attaque surtout l’Église pour assurer sa domination et c’est sur ce terrain qu’elle arrive à circonvenir également les forts, car tout être est faible à un moment donné de sa vie. C’est sur les enfants, les femmes, les pauvres, qu’elle se jette pour inculquer ses principes ; aux vieillards, aux moribonds, qu’elle arrache les acquiescements de la terreur, en un mot c’est sur tous ceux qui ont besoin d’aide et ne peuvent guère lui résister qu’elle étend son dévolu. Il en cuit souvent à quiconque est faible et ne veut pas se plier aux exigences de l’Église. D’ailleurs la débilité mentale accompagne souvent la faiblesse physique et prévient même toute possibilité de résistance. Obstinez-vous au contraire à repousser les avances cléricales et ce peut être pour vous la perte du travail, le congédiement du maigre logis si vous êtes pauvre, et l’abandon, même par votre famille, si vous êtes malade et ne voulez pas vous prêter à la comédie de Lourdes ou autres pèlerinages et épreuves semblables. Car il n’y a pas que les croyants qui vont à l’Église et ont recours aux offices de la religion dans certaines circonstances de leur vie Les vrais croyants sont d’ailleurs très rares, presque aussi rares que les vrais athées dans un monde soumis à des milliers d’années de pression religieuse. Mais entre ces deux extrêmes il existe une multitude d’in-

dividus amorphes, sans opinion arrêtée ou indifférents, ou attentifs seulement aux avantages, ou sous l’empire de craintes vagues et persistantes. Ceux-là suivent la mode ou cherchent à se ménager les influences favorables : ils se rangent toujours du côté où les pousse leur intérêt ou leur lâcheté. Ils marchent dans la vie selon l’habitude ou la peur mais jamais par conviction. Ils restent fidèles aux religions sans y croire parce qu’ils savent que l’Église, force insinuante et bien organisée, peut leur nuire dans une foule de circonstances alors que les athées, les incroyants ne se vengeront pas sur eux, ni ne chercheront à leur nuire à cause de leurs pratiques religieuses. C’est là aussi une des raisons pour lesquelles les idées d’affranchissement et de liberté avancent si lentement. Mais revenons à Lourdes et à ses miracles.

Parmi ceux qui vont chercher la guérison en la cité pyrénéenne, il en est qui sont véritablement, organiquement malades et incurables. Ceux-là en reviennent exactement dans l’état où ils étaient à leur départ, quelquefois avec une déception de plus, s’ils avaient quelque vague espoir, ou une aggravation due aux imprudences du voyage, des séances de piété et des immersions. L’eau de la piscine est sans pouvoir sur eux. Cependant la faillite du miracle ne laisse pas la religion au dépourvu : c’est parce que le malade n’était pas assez croyant, n’avait pas une foi assez profonde, n’était pas assez pur que la guérison ne s’est pas produite ou bien encore parce que Dieu veut prolonger encore l’épreuve du fidèle, s’il est vraiment croyant, afin de lui faire mieux mériter le paradis. Et ces explications trouvent toujours crédit…

Il en est, par contre, qui guérissent, et radicalement. Ceux-là sont montés en épingle et cités en exemple. Les feuilles catholiques publient leurs noms et leurs adresses et cela produit toujours son effet auprès de ceux qui les lisent sans en connaître les héros ou les héroïnes. Par contre, il est bien rare que ceux qui ont connu les miraculés avant leur guérison accordent crédit au miracle. Souvent ils ont remarqué quelque chose de louche dans la maladie et les allures du malade. Sa moralité, sa, ruse habituelle laissent supposer quelque chose d’anormal. Pas de doute, c’est un simulateur.

Certains simulent complètement une maladie : paralysie, rhumatisme, sciatique, etc. ; d’autres entretiennent et aggravent même intentionnellement des maux ou plaies qui, bien entendu, ne peuvent guérir que du jour où ils cessent de les alimenter. D’autres encore ont des maladies ou des maux qu’ils font soigner par un médecin mais dont on ne proclame la guérison, obtenue par la science, qu’au retour de Lourdes. Quelques-uns sont des névropathes que galvanise la suggestion mystique, mais que guérirait, plus sûrement, la suggestion clinique. Approchez d’un peu près les « miraculés » de Lourdes et vous doutez de suite du miracle. Contrôlez-les sérieusement et vous découvrez la supercherie.

Dans un livre fort instructif et documenté : « Lourdes et ses mystères », le docteur Pierre Vachet examine quelques-unes des guérisons miraculeuses les plus importantes, celles dont l’Église fait état avec le plus d’insistance et il montre la simulation indiscutable des miraculés les plus notoires.

Il cite des cas où les miraculés étaient vraiment trop intéressés pour que leur guérison, ou leur maladie, puisse être prise au sérieux. Et il explique aussi comment il peut se faire que des guérisons soient réellement obtenues à Lourdes, comme elles pourraient l’être n’importe où, si les mêmes circonstances étaient réunies. C’est le cas pour les névrosés, les hystériques, les malades par suggestion. Il n’est pas surprenant que,