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dépourvu dé talent, réussira des opérations qu’Ambroise Paré n’eut pas osé faire. Dira-t-on de l’élève et du chirurgien moderne qu’ils sont supérieurs aux génies que je viens de nommer ? On reconnaîtra sans peine que les seconds furent des géants capables, par leurs découvertes d’enrichir la science humaine, alors que les premiers sont des nains, aptes seulement à utiliser ce que d’autres inventèrent. L’évolution ne place pas tous les êtres d’une époque sur un plan identique ; entre certains, elle maintient un abîme. De même qu’un paysan du xe siècle l’emporterait sur un gorille du xxe siècle, de même un Descartes, un Kant resteraient supérieurs de cent coudées à l’immense majorité des modernes qui s’occupent de philosophie. Ne soyons donc pas de ces rétrogrades incorrigibles, des ces antiquaires de l’esprit qui collectionnent pieusement de vieilles idées, comme d’autres collectionnent de vieux vases. Aimons les choses nouvelles, mais soyons reconnaissant aux anciens qui, au prix d’un labeur méritoire, nous ont permis d’être ce que nous sommes, de savoir ce que nous savons. Et, délaissant toute forfanterie, admettons de bon cœur que parmi ceux qui nous précédèrent, que parmi ceux qui portent des cheveux blancs il en est qui nous sont très supérieurs.

Il suffit, d’ailleurs, et nous abordons ici le côté historique du présent travail, de jeter les yeux sur le monde actuel pour apprendre, hélas ! que moderne n’est pas toujours synonyme d’esprit nouveau, et que jeunesse est loin d’être l’équivalent fatal de supériorité. Constatation, pour moi, d’autant plus pénible que j’ai pour les générations qui montent une profonde affection. Trop de jeunes, aujourd’hui, ont un cerveau pétrifié ; religion, militarisme, réaction sous toutes ses formes, recrutent parmi eux leurs propagandistes et leurs adhérents. Après l’effort scientifique du xixe siècle, il semble qu’une vague de mysticisme se soit abattue sur ceux qui grandirent avant 1914, et qu’une vague d’arrivisme l’ait remplacée depuis 1918. Leurs aînés eurent parfois une autre allure ; et nous n’oublions pas le rôle joué par la jeunesse dans certaines révolutions. Ne désespérons pas de ceux qui vont suivre ; aidons autant qu’il est en notre pouvoir l’éclosion des tendances libératrices dans les cerveaux encore tendres qui s’ouvrent à la lumière. Si, passant des individus aux collectivités, nous considérons les peuples qualifiés modernes, les États-Unis, par exemple, le spectacle s’avère non moins affligeant. Dans ce pays, cité comme modèle, l’amour de la liberté ne va pas jusqu’à permettre de critiquer la Bible ou d’enseigner le darwinisme ; la royauté du dollar s’impose sans discussion et, comme de juste, la superstition règne en maîtresse. Nul doute que le sol soit plus fertile, que les villes soient mieux construites, que le confort soit plus développé qu’en Europe, mais les âmes y sont aussi serves. Et les spécimens d’art américain, vulgarisés par le phonographe et le cinéma, achèvent de démontrer que l’extrême richesse matérielle peut s’allier aisément à une pauvreté cérébrale peu ordinaire. Pourtant beaucoup s’y laissent prendre parce qu’on prétend bien modernes des sottises et des horreurs qui, hélas ! sont de tous les temps. Il est vrai que pour tromper les électeurs simplistes, les dirigeants d’Europe, comme d’Amérique, qualifient nouvelles les plus vieilles ritournelles religieuses ou politiques. Si ce terme était employé dans un sens très précis, non d’après l’usage courant, seuls mériteraient l’épithète de, modernes les individus et les groupements dont la supériorité mentale se traduit par un complet mépris des préjugés régnants. À bon droit, certains jeunes seraient alors rangés parmi les représentants d’une faune antique, alors que des vieux compteraient parmi les spécimens de l’espèce la plus évoluée. Ce que l’histoire démontre, c’est que les hommes se sont toujours séparés en partisans de l’esprit ancien et en partisans de

l’esprit nouveau. « Monarchie constitutionnelle, puis république symbolisèrent, en leur temps, des tendances extrémistes ; mais les précurseurs ont poussé plus loin, pendant que les monarchistes d’hier se muaient en républicains. Toujours, parmi les hommes, s’en trouvent qui retardent, tandis que d’autres avancent ; des uns comme des autres, les formules varient selon l’époque et le milieu. » (À la Recherche du Bonheur). D’où il résulte que les luttes qui mettent aux prises jeunes et vieux, doivent disparaître dans les groupements qui ne comportent ni gouvernants, ni gouvernés, ni pontifes, ni fidèles, mais seulement des frères pour qui les différences d’âge sont chose secondaire. Ces luttes n’ont de raison d’être que dans les partis, les églises ou les associations qui disposent de prébendes capables d’exciter l’envie. Nés plus tôt, nés plus tard, qu’importe, ils peuvent tous s’aimer ceux qui sont de la race des éternels persécutés, des éternels porte-lumière.

Fréquemment, mais d’une façon superficielle en général, les écrivains ont traité des querelles, renaissante presque à chaque époque, concernant les modernes et les anciens. Déjà Horace, un partisan des modernes, demandait ironiquement à ses contradicteurs combien d’années au juste étaient requises pour l’ancienneté. En France, Desmarets de Saint-Sorlin, qui se croyait appelé à défendre la religion en littérature ; Boileau, etc., se firent, au xiie siècle, les défenseurs des anciens contre, Charles Perrault, l’auteur des Contes de Fées, qui déclarait catégoriquement et avec beaucoup de bon sens :

La belle antiquité fut toujours vénérable,
Mais je ne crus jamais qu’elle fut adorable…
Platon, qui fut divin du temps de nos aïeux,
Commence à devenir quelquefois ennuyeux…

Puis la dispute reprit, un peu plus tard, entre Mme Dacier, une admiratrice d’Homère, et Houdard de la Motte qui faillit la faire mourir de dépit. Les deux adversaires se réconcilièrent par la suite, à la table de M. de Valincourt. On sait que, dans la république des lettres actuelles, les moins-de-trente-ans, et même les moins-de-quarante-ans poussent de furieux jurons à l’adresse des vieilles barbes qui peuplent les académies et détiennent les bonnes places. Ces enfantillages me feraient rire, si je ne songeais que, demain, nantis d’honneurs et d’argent, ces révolutionnaires à l’eau de rose seront, à leur tour, les fermes soutiens de la tradition. Ceux-là, seuls, m’intéressent, quel que soit leur âge, dont le cerveau reste jeune constamment. – L. Barbedette.


MODERNISME n. m. Le modernisme fut une tentative pour mettre d’accord science et foi, pour adapter les manifestations de la vie religieuse à l’esprit du jour. C’est dans les derniers lustres du xixe siècle et au début du xxe sièclee que ce mouvement se développa parmi les catholiques instruits ; le protestantisme libéral lui avait facilité la tâche et montré la voie. À partir de 1850 un certain nombre de pasteurs, dont le principal porte-parole fut T. Colani, de Strasbourg, s’efforcèrent d’accréditer une théologie rationnelle où le Christ devenait tout humain, où la Bible perdait son caractère infaillible. Schérer, Réville, Pécaut, militèrent en faveur de cette doctrine qui suscita révolte et scandale chez les protestants orthodoxes. Au synode de 1872, présidé par Guizot, la fraction libérale fut condamnée ; ses principaux champions furent exclus des chaires pastorales ; Athanase Coquerel fils, qui exerçait à l’Oratoire de Paris, fut destitué. Néanmoins, quelques années plus tard, lorsqu’on ouvrit une faculté de théologie à Paris pour remplacer celle de Strasbourg, deux professeurs de tendance libérale y purent enseigner. En 1879, E. Ménégoz déclarait,