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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/267

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MOI
1611

– Taines : Œuvres. – Tacite : Mœurs des Germains. – Voltaire : Essais sur les mœurs et l’esprit des nations. – É. Reclus : L’Homme et la terre ; La Géographie universelle. – H.-M. Williams : Aperçu de l’état des mœurs et des opinions en France à la fin du xviiie siècle. – Etc., etc. Voir aussi bibliographie de : droit, habitude, individualisme, morale, peuple, progrès, races, religions, société, etc., ainsi que les études correspondantes. Voir également les mots : culte, famille, mariage, milieu, mode, naturisme, nudisme, préjugés, sexe et morale sexuelle, etc.


MOI n. m. (du latin : me). Un des problèmes les plus angoissants que les hommes se sont posé depuis les temps les plus reculés, c’est celui de leur existence, celui de la réalité de leur moi. Être ou n’être pas ! Comme le fait d’être ne se manifeste qu’au moment même où se précise le moi, le problème se présente immédiatement dans toute son étendue, sans aucun degré de compréhension intermédiaire.

Que sommes-nous ? Pourquoi vivons-nous ? Que faire ?

Les nombreux philosophes qui ont essayé d’approfondir le Moi, ont tous employé la méthode introspective, seule capable, à leurs yeux, de découvrir l’essence véritable de l’être en son apparente unité. Or cette méthode, employée par des hommes déjà très évolués psychiquement, ne peut que constater l’existence du Moi, son indissoluble unité et l’impossibilité de l’expliquer par tout ce qui constitue le non-moi. Elle en fait une chose absolument à part, différente de tout ce qui est connu, comme substance et comme mouvement, et qu’elle appelle âme, esprit, pensée, conscience. Dans cette voie, le Moi paraît irréductible au monde phénoménal, et inconnaissable dans son essence.

Pour savoir si la conscience est connaissable en elle-même, il est nécessaire d’étudier ses manifestations caractéristiques, de les analyser. Remarquons immédiatement que, si la conscience paraît être un élément indispensable de toute connaissance objective et subjective, elle, apparaît comme absolument inanalysable en elle-même. Ce fait presque insignifiant est d’une importance extrême. Deux hypothèses en découlent ; ou la conscience est une chose existant par elle-même, réfractaire par sa nature à toute analyse ; ou la conscience est le résultat d’un fonctionnement, lequel disparaît par l’analyse, ce qui rend, évidemment, celle-ci impossible. Autrement dit, la conscience étant l’élément primordial de la connaissance, la conscience ne peut s’analyser sans se détruire elle-même et sans détruire du même coup la connaissance, (V. Conscience).

Dans les deux cas, la conscience paraît rester inconnue, mais tandis que dans le premier on ne sait absolument rien de sa nature (qu’est-ce qu’une conscience sans objet ?) ; dans le deuxième elle peut être assimilée à d’autres synthèses objectives connues et rentre dans le domaine du compréhensible. N’oublions pas que la connaissance humaine est essentiellement sensorielle, et que connaître quelque chose c’est le situer, dans ses rapports avec les autres choses, dans l’espace et dans le temps ; lesquels ne sont perceptibles et concevables que par le mouvement. Si donc nous pouvons analyser les manifestations de la conscience et en trouver une sorte de correspondance objective parallèle, nous pourrons décider de sa liaison aux phénomènes objectifs et conclure qu’elle n’échappe point aux processus connus du déterminisme universel.

Examinons tout d’abord la sensation. On sait que les sensations paraissent irréductibles les unes aux autres et que l’on ne peut comparer une couleur il une odeur, ni une forme à un son. Comme, d’autre part, des expé-

riences anatomiques nous révèlent que le même excitant peut créer, dans des fibres nerveuses différentes, des impressions différentes ; et que des excitants différents créent dans la même fibre la même impression, on en conclut que la sensation ne correspond point à la réalité objective. Ici la connaissance intuitive ne fait pas avancer la question d’un pas. Elle crée des barrières insurmontables entre les sensations d’abord ; entre le subjectif et l’objectif ensuite ; et c’est tout. Une plus profonde étude des excitants et du système nerveux nous montre, que tous les excitants se ramènent à une certaine unité de comparaison qui est le mouvement ; ensuite que les influx nerveux, assimilables expérimentalement à des courants électriques, ne sont autre chose que du mouvement transmis par les fibres nerveuses. Ce qui explique que des excitants différents contenant tous du mouvement donnent une même sensation dans la même fibre ; tandis qu’un même excitant agissant sur des fibres nerveuses différentes, mais aboutissant à des centres sensoriels différents, engendre des sensations différentes. Cet excitant éveillant des sensations différentes ne les crée pas en réalité, et en fait, la sensation ainsi obtenue n’est point une image précise mais une sensation confuse. D’autre part il ne crée aucune image mais éveille des sensations antérieures. Il est à supposer qu’un excitant, agissant ainsi sur des cellules nerveuses, vierge d’impressions sensorielles, ne créerait absolument rien de comparable à une image fournie par l’organe sensoriel extérieur. On peut aller plus loin dans cette voie. Non seulement la sensation paraît ainsi liée au mouvement, mais il faut encore admettre une origine et une formation de la sensation dans l’espace et dans le temps.

Déjà l’observation nous indique que ce qui nous paraît, intuitivement, inétendu et qualitatif est en réalité corrélatif à des phénomènes physiques et chimiques créés dans notre système nerveux, déterminant une modification de notre substance cérébrale. Toute perception s’effectue dans l’espace, par de nombreuses voies nerveuses amenant successivement les influx nerveux déterminés par les phénomènes objectifs ; ce qui prend une certaine durée. Toute sensation est donc le produit d’une quantité prodigieuse de mouvements rythmiques dans l’espace et dans le temps. Mais si chaque sensation nous paraît nette et précise, c’est parce qu’en réalité elle est incluse dans tout un réseau d’autres sensations liées à notre fonctionnement organique. Prise isolément elle ne signifierait plus rien. Il suffit, pour nous en rendre compte, de regarder une phrase écrite en une langue inconnue pour voir que cela n’éveille rien en nous, sinon que ce simple degré de connaissance : c’est une langue étrangère. Si nous n’avions jamais connu d’écriture, la connaissance se rétrécirait encore ; nous penserions, peut-être : c’est du dessin. Et si nous ne connaissions pas le dessin, cela n’éveillerait, probablement, aucune relation en nous. On pourra penser que cela n’empêcherait point la sensation consciente de voir cette phrase écrite. Il ne faut pas séparer voir de comprendre, car il est probable que l’on ne voit que ce que l’on comprend. Autrement dit la sensation visuelle ne prend un sens précis et conscient qu’au moment où l’image se relie à d’autres sensations, lesquelles ont déjà un sens par rapport au fonctionnement biologique de l’individu. Ainsi les mots étrangers seront vu, même par un illettré, parce que depuis très longtemps les lignes formant les lettres sont classées comme éléments vus et connus dans le monde objectif. Mais on sait que des aveugles-nés, ayant recouvré la vue, n’ont absolument rien compris à ce qu’ils voyaient. Le jeune garçon, cité par Romanès, confondait tout, ne distinguait aucun objet d’un autre, ne