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d’un réflexe biologique important, mais cette décharge d’énergie peut être supérieure à celle nécessitée par le réflexe même et l’excédent, se diffusant dans de multiples directions, crée la sensation de plaisir. On voit que l’habitude, constituant un mécanisme déjà construit, canalise rapidement l’influx nerveux vers des mécanismes moteurs, ce qui en évite la diffusion et la sensation de plaisir. Ainsi ni la volonté, ni le plaisir ne sont des éléments d’action, comme se l’imaginent la plupart des humains. Ce ne sont que des effets du fonctionnement biologique. Ce qui trompe l’analyse introspective, c’est la durée des phénomènes subjectifs. Le sujet ignore totalement les états biologiques de son cerveau, antérieurs à l’apparition d’une volonté. Il ignore également les cheminements de l’influx nerveux donnant l’illusion du libre-arbitre, du choix. De même qu’il ignore totalement toutes les constructions ou images cérébrales situées hors de l’état conscient, mais entre l’instant où le réflexe biologique crée l’état volontaire ou agréable, et celui où se réalisent ses conséquences motrices, ou actions objectives, la conscience saisit la sensation diffuse du plaisir, ou la sensation continue de l’attention, et accorde à ces états subjectifs, seuls connus par elle, le pouvoir de déclencher l’action. Autrement dit, la conscience créée par les influx nerveux, ne peut en aucune façon les créer. La douleur peut être liée à un fonctionnement déficitaire de l’organisme, inversion de rythme ou de courant, entraînant des inhibitions motrices diverses.

Les notions de durée, de temps, de passé, de présent, correspondent à des localisations spéciales liées à tout un enchevêtrement d’images situées non dans le temps immatériel, comme le voudrait Bergson, mais dans l’espace. Se remémorer le passé, c’est assister, actuellement à l’écoulement de l’influx nerveux, par des voies extrêmement compliquées, créées lors des événements antérieurs et plus ou moins déformés et isolés par d’autres événements, ou le non fonctionnement (oubli). Nous pensons donc toujours dans le présent et nous ne vivons aucunement dans le passé. Il n’y a pas de passé, puisque rien n’est immuable. Il n’y a que conservations de liaisons successives qui apparaissent absolument différentes des liaisons actuelles. Un événement vécu dix ans plus tôt, ne se situe dans cet éloignement que par la quantité des événements écoulés la disparition de nombreux éléments contemporains les liaisons successives que parcourt l’influx nerveux pour renouer, plus ou moins facilement, la chaîne des faits. La fraîcheur des souvenirs d’enfance ne détruit en rien cette théorie. Notre substance cérébrale plus jeune, plus plastique, conserve plus facilement et plus profondément les empreintes objectives liées entre elles très solidement, et l’influx nerveux les parcourt plus aisément que les empreintes ultérieures, aussi sont elles très vives et très durables. Leur situation réelle dans le passé, par rapport au présent, dépend des changements objectifs effectués successivement et conservés plus ou moins nettement, subjectivement comme documents spéciaux de comparaison et d’éloignement. L’avenir n’est également concevable que réalisé subjectivement dans le présent. C est-a-dire qu’une construction intellectuelle : projet, but, etc., s’est établie sous l’influence d’une importante fonction biologique – manger, boire, dormir, travailler, jouer, aimer, etc. – et cette construction, déjà réalisée spécialement en nous, coordonne nos influx nerveux vers des actes moteurs tendant à conformer nos gestes a nos pensées.

L’être ne vit donc absolument que dans le présent. Le temps – ou événements successifs – ne se traduit et ne se conserve en nous que sous forme d’espace et si les souvenirs ne peuvent s’évoquer en désordre (cela arrive partout très souvent, avec la confusion erronée

des choses) ou simultanément, comme un immense panorama, c’est qu’il est impossible à l’influx nerveux de parcourir tous les mécanismes à la fois et d’un seul coup et qu’il est obligé de s’écouler, dans le temps et la durée, à travers les voies du prodigieux réseau construit précisément dans les mêmes conditions d’espace et de durée. Celle-ci est donc la perception minima et maxima des sensations isolées ou simultanées que notre attention saisit entre deux sensations différentes et successives. La durée est donc proportionnelle à l’attention et à la variation objective.

L’espace et l’étendue sont déterminés subjectivement par les mouvements réalisés par l’individu depuis sa naissance. L’enfant n’évalue immédiatement aucune distance et l’aveugle guéri, dont parle Romanès, croyait que tous les objets, proches ou éloignés, touchaient ses yeux et se trouvaient au même plan. C’est donc l’expérience, l’habitude, la perception simultanée, donc spatiale, des impressions ; en un mot le mouvement, qui créent la notion d’espace et d’étendue. Cette notion ne peut également s’acquérir qu’avec des déplacements successifs dans le temps, et nous voyons ainsi que les concepts d’espace et de temps se conditionnent expérimentalement l’un-l’autre et qu’ils sont engendrés tous deux par le mouvement.

Si donc toute notre connaissance n’est que sensations ; si celles-ci ne sont que des mouvements, des synthèses de vibrations ou de rythmes, pourquoi, dira-t-on, en jaillit-il une impression d’unité, d’inétendu opposée à toutes les images successives du souvenir ?

La raison en paraît être, nous venons de le voir dans l’impossibilité pour l’influx nerveux de se diffuser instantanément et avec la même intensité dans tout le mécanisme cérébral. Une telle opération détruirait d’ailleurs toute liaison des choses et ressemblerait à la tentative de représentation visuelle et simultanée de tous les points de l’horizon. Cependant certains cas pathologiques créent des dissociations de la personnalité, morcèlent le Moi en plusieurs moi ; et, au début de certains assoupissements, il est possible d’observer, en soi-même, et simultanément, des constructions mentales diverses.

Il en résulte que, à l’état de veille, seule une faible partie des souvenirs, constituant le présent, est éveillée par l’influx nerveux. Mais tout le fonctionnement biologique est intimement lié aux multiples perceptions objectives qui assaillent l’individu de toutes parts, et ces influx incessants, indéfiniment renouvelés sans aucune solution de continuité excitent continuellement ce fonctionnement, créant cette sensation d’existence de permanence du moi, d’inétendu et d’unité. Ainsi le moi, avec toutes ses variations dans l’espace et dans le temps, est la synthèse de ces rythmes innombrables mais imprécis et confus, que le monde extérieur détermine d’une façon continue dans notre sensibilité spéciale, joint à notre cénesthésie ou sensibilité générale, que notre fonctionnement biologique détermine également d’une façon continue et que l’attention oppose (opposition du moi et des images) aux mécanismes plus précis déclenchés par un réflexe important. Mais les fortes émotions et les profondes pensées absorbent totalement le moi et le font disparaître connue il est facile de l’observer.

Il n’y a donc, aucune raison de supposer un esprit immatériel, et immortel, agissant d’une manière absolument incompréhensible sur notre corps matériel. Nous avons observé toutes les conditions d’apparition, de disparition, de fonctionnement de la conscience et nous l’avons toujours trouvée intimement mêlée aux phénomènes objectifs et postérieure à leur apparition. Les expériences de Pierre Janet, et de nombreux autres psychiatres, sur certains psychopathes, démontrent d’ailleurs que l’on peut, en cer-