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attaques qui leur venaient de toute part, parfois désavoués par Rome qui sentait la domination lui échapper, les moines furent soumis à une règle extérieure un peu plus sévère. Beaucoup émigrèrent aux pays nouveaux, où ils apportèrent leurs vices et y furent souvent d’une âpreté et d’une férocité inouïes. Ils furent dans les pays latins les inquisiteurs qui ont inscrit dans l’histoire les pages les plus sombres.

Incapables d’enrayer le vaste mouvement d’émancipation spirituelle, intellectuelle et politique qui, du protestantisme, allait au siècle des encyclopédistes, de la Révolution d’Angleterre à la Révolution française, ils durent s’adapter pour ne pas disparaître. Et il faut avouer qu’ils y ont réussi pleinement. L’aumône et la vente des indulgences nourrissant peu les moines, ils se firent marchands, commerçants, industriels. Ils se formèrent en congrégations (voir ce mot) et raflèrent de par le monde des fortunes considérables. Tous les moyens leur furent et leur sont bons : captations d’héritage, comme exploitation d’usines ou de commerces.

Sous sa forme originelle, le monachisme était une folie, sous sa forme actuelle, il est une ignominie, ce que Diderot, avec son grand talent, a ainsi exposé : « Les monastères sont-ils donc si essentiels à la constitution d’un État ? Jésus-Christ a-t-il institué des moines et des religieuses ? L’Église ne peut-elle absolument s’en passer ? Ne sentira-t-on jamais la nécessité de rétrécir l’ouverture de ces gouffres où les races futures vont se perdre ? Toutes les prières de routine qui se font là valent-elles une obole que la commisération donne au pauvre ? Dieu, qui a créé l’homme sociable, approuve-t-il qu’il se renferme ? Dieu, qui l’a créé si inconstant, si fragile, peut-il autoriser la témérité de ses vœux ? Toutes ces cérémonies lugubres qu’on observe à la prise d’habit et à la profession, quand on consacre un homme ou une femme à la vie monastique et au malheur, suspendent-elles les fonctions animales ? Au contraire, ne se réveillent-elles pas dans le silence, la contrainte et l’oisiveté, avec une violence inconnue aux gens du monde, qu’une foule de distractions emporte ? Où est-ce qu’on voit des têtes obsédées par des spectres impurs qui les suivent et qui les agitions emporte ? Où est ce qu’on voit des têtes obsédées pâleur, cette maigreur, tous ces symptômes de la nature qui languit et se consume ? Où les nuits sont-elles troublées par des gémissements, les jours trempés de larmes versées sans cause et précédées d’une mélancolie qu’on ne sait à quoi attribuer ? Où est-ce que la nature, révoltée d’une contrainte pour laquelle elle n’est point faite, brise les obstacles qu’on lui oppose, devient furieuse, jette l’économie animale dans un désordre auquel il n’y a plus de remède ? En quel endroit le chagrin et l’humeur ont-ils anéanti toutes les qualités sociales ? Où est-ce qu’il n’y a ni père, ni frère, ni sœur, ni parent, ni ami ? Où est le séjour de la haine, du dégoût, des vapeurs ? Où est le lieu de la servitude et du despotisme ? Où sont les haines qui ne s’éteignent point ? Où sont les passions couvées dans le silence ? Où est le séjour de la cruauté et de la curiosité ?… Faire vœu de pauvreté, c’est s’engager par serment à être paresseux et voleur ; faire vœu de chasteté, c’est promettre à Dieu l’infraction constante de la plus sage et de la plus importante de ses lois ; faire vœu d’obéissance, c’est renoncer à la prérogative inaliénable de l’homme, la liberté. Si l’on observe ces vœux, on est criminel ; si on ne les observe pas, on est parjure. La vie claustrale est d’un fanatique ou d’un hypocrite. »

En France, les vœux ne sont pas reconnus par les lois, ils ont été supprimés par l’Assemblée Constituante le 13 février 1790 ; cependant le christianisme sait provoquer les vocations et quand l’expérience paraît mauvaise, bien peu osent s’affranchir. Dans une société où la vie est sans cesse diminuée, appauvrie, limitée à quelques manifestations strictement codifiées ; où tous

les généreux élans sont brisés, il est normal que des individus insatisfaits, par réaction, parce qu’ils n’ont pas le courage de vivre quand même, contre ou hors les lois, trouvent un goût étrange, agréable même, à cette mort partielle qui, pensent-ils, les délivrera des laideurs de la vie. Les réveils de la chair sont parfois terribles et les disciplines n’ont d’autre effet que de développer les passions anormales.

Les lois ne peuvent rien contre cet état déplorable ; seule une organisation sociale meilleure y apportera remède en redonnant tout son sens à la vie. – A. Lapeyre.


MOLÉCULE n. f. (du latin fictif molecula, diminutif de moles, masse). Signifie donc petite masse, petite particule de matière. Cette définition prête à confusion : on pourrait, en l’adoptant, être conduit à confondre atomes et molécules, qui seraient ainsi pris indifféremment les uns et les autres pour désigner les parties constituantes de la matière. Le véritable sens précis auquel s’est arrêté la chimie moderne est le suivant : La molécule est la limite de la divisibilité de la matière. Choisissons un exemple.

Prenons un morceau de cristal de roche (quartz) ; à l’aide d’un marteau divisons-le en fragments de plus en plus petits. Chacun des dits fragments continuera à présenter les propriétés physiques et chimiques du quartz : ses facettes feront entre elles des angles dièdres invariables qui se rencontreront dans le plus petit fragment. Quand il ne nous sera plus possible de pousser la division du cristal de roche envisagé, jusqu’à en obtenir une particule qui ne pourrait plus être décomposée en éléments quartz, nous aurons obtenu une molécule de quartz. La molécule est ainsi la plus petite quantité d’un corps qui puisse exister à l’état libre. C’est donc, ici, la plus petite quantité de quartz qui puisse exister. Si, au cours de modifications nouvelles, une molécule de quartz change, ce n’est plus une molécule de quartz. La substance formée est aussi dissemblable du quartz qu’elle peut l’être. La science moderne nous a révélé que les molécules sont elles-mêmes composées d’éléments plus petits encore appelés atomes (voir ce mot) lesquels seraient eux-mêmes divisibles en particules plus ténues encore : ions et électrons. Les atomes restent la plus petite quantité d’un élément qui puisse exister dans la molécule.

La matière de tous les corps, et par conséquent la matière universelle, est formée par l’agrégat des molécules, elles-mêmes constituées d’atomes. Lorsque tous les atomes d’une molécule sont les mêmes, nous nous trouvons en présence des corps « simples » ou éléments tels que le fer, l’oxygène, etc. Quand les atomes entrant dans la constitution des molécules sont différents, nous avons des corps « composés » : amidon, sulfate de cuivre, albumine, pyrite de fer, etc. Entre les molécules d’un corps existent des espaces intermoléculaires dont les dimensions sont plus grandes que celles des molécules, tout comme il y a, dans les molécules, des espaces inter-atomiques. Tous ces espaces sont occupés par l’éther. Dans la masse de la matière, les molécules et dans celle des molécules, les atomes sont animés d’un mouvement extrêmement rapide, échappant à nos sens et sans lequel la matière n’existerait pas. On a l’image de cet état de choses dans le Cosmos, où les astres sont – toutes proportions gardées – comme les molécules d’un corps et maintenus dans l’espace par leur mouvement perpétuel. L’agitation des molécules échappe à notre perception directe ; mais elles sont animées de mouvements très vifs et désordonnés. Ce mouvement incessant des molécules, particulier à toute la matière, auquel on a donné le nom de mouvement « Brownien » ne s’arrête jamais. Il est éternel et spontané.