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faire travailler et de la payer suivant le régime du bon plaisir des administrateurs.

À côté de ces monopoles officiellement reconnus et légalisés, il y a les monopoles de fait, organisés par les trusts (voir ce mot), cartels ou consortiums capitalistes.

Quelques gros magnats d’une industrie, ou quelques financiers, réalisent une entente pour mettre la main sur toute cette industrie. Soit en absorbant les concurrents par libre accord ou en achetant leurs actions, soit en les tuant par la concurrence et le « dumping », ils parviennent, en fait, à devenir (nationalement ou internationalement) les maîtres de la dite industrie, pour la fabrication, les échanges et la vente. Dès le moment où ils ont ainsi réalisé un véritable monopole de fait, où la consommation doit obligatoirement passer sous leurs fourches caudines, ils se conduisent comme les dirigeants des sociétés à monopole légal. Les consommateurs, ne pouvant plus se défendre, sont rançonnés sans merci ; et les monopolistes, raréfiant à volonté les produits du marché, en fixent les prix à leur convenance, et réalisent, de ce fait, de formidables profits.

Sous quelque forme qu’il se présente, le monopole n’est qu’une entreprise de spéculation, un pacte de famine, une escroquerie. Le monopole n’a qu’un objectif : mettre en coupe réglée la consommation, tondre le consommateur.

Les économistes qui défendent la société bourgeoise prétendent que l’équilibre économique s’y établit tout naturellement par le jeu du marché libre, de la concurrence. Il peut y avoir, disent-ils, des périodes troublées où la concurrence ne joue plus, mais cela ne peut être que provisoire, temporaire. La loi de l’offre et de la demande rétablit automatiquement un équilibre normal des prix. Une marchandise vendue chère attire les producteurs qui se dépêchent d’en fabriquer, et cette affluence de la production fait baisser les prix.

Tout cela, c’est de la théorie bourgeoise, mais la réalité est toute autre. On peut affirmer, sans crainte de démenti, que la libre concurrence n’existe pas dans la majorité des cas. Les monopoles des États, les monopoles des services d’intérêt public, les monopoles de fait créés dans les industries essentielles, les monopoles établis par des mesures douanières, ont, dans la pratique, à peu près supprimé la concurrence. La consommation est à la merci des industries et des trafics privilégiés, des compagnies concessionnaires.

Cette théorie de l’équilibre par la concurrence est une pure hypocrisie. Si l’on recherchait l’origine de toutes les grandes fortunes, on trouverait, neuf fois sur dix, à la source, un monopole quelconque, officiel ou non.

En fait, grâce à la pratique du monopole, les États d’une part, les organismes capitalistes d’autre part, ont pratiqué l’accaparement des produits et permis ainsi la réalisation de profits plus qu’abusifs, au détriment de la grande masse du public.

Il ne peut en être autrement dans une société basée sur le principe de l’autorité. Les maîtres s’entendent pour spolier les esclaves. L’expropriation des compagnies à monopole et la remise de leurs biens aux libres associations des usagers et du personnel, ne sera qu’une mesure de stricte justice une restitution d’un bien malhonnêtement acquis.

Ce n’est, en effet, logiquement, ni à l’État ni aux pouvoirs publics, ni aux groupements capitalistes, qu’il appartient de diriger les services publics et les indus tries, mais aux consommateurs intéressés, aux usagers organisés pour tirer de ces services la plus grande utilité, le plus de bienfaits possibles et aux meilleures conditions. – Georges Bastien.

MONOPOLE. On a vu plus haut que le « monopole » est le privilège exclusif de fabriquer ou de vendre cer-

taines utilités, d’exploiter certains services, d’occuper certaines charges publiques. Il y a ainsi des monopoles légaux et des monopoles de fait.

Il y a monopole légal lorsque l’État se réserve, par des lois, des décrets, des ordonnances, l’échange, l’émission, la fabrication, la vente de certaines productions – frappe de la monnaie, fabrication de la poudre, émission de billets de banque ; exploitation des postes, téléphones ; des moyens de transport et de charroi, du gaz, de l’électricité (on dit alors que ces monopoles sont exercés dans un but d’ordre et de sécurité publique) – tabac, allumettes, alcool, etc. (on dit alors que c’est dans un but fiscal) – réserve à des inventeurs, des industriels, des commerçants, des producteurs intellectuels d’un monopole temporaire leur garantissant l’exploitation exclusive de leurs découvertes ou initiatives productrices (on dit alors que c’est dans un but d’encouragement à la science, à la production intellectuelle, à l’industrie, etc.).

Les monopoles de fait sont ceux qui suppriment ou limitent la concurrence professionnelle, commerciale ou industrielle en favorisant un individu ou une catégorie au détriment d’autres individus ou catégories (agents de change, médecins, pharmaciens, notaires, avoués, tenanciers de maisons de tolérance, etc.)

La lutte contre les monopoles tient une trop grande place dans le mouvement individualiste anarchiste rattaché à l’école Warren-Tucker pour que nous n’examinions pas les raisons de cette attitude et les conclusions qu’ils en tirent. Cette école – qui se réclame également de Proudhon – dénonce quatre grands monopoles :

Le monopole monétaire, c’est-à-dire la confiscation par l’État – à son profit – de l’émission des billets de banque et de la frappe de la monnaie. Du fait de ce monopole, les détenteurs de monnaie perçoivent un intérêt pour son usage journalier, si bien qu’un très grande nombre de personnes sont empêchées de produire ou de faire du commerce pour leur compte à cause des taux élevés qu’il leur faut payer pour obtenir du crédit. Journellement, des millions et des millions de consommateurs paient des milliards de dollars, marks, lires, francs, pesos, pesetas, etc., etc., à titre d’intérêt supplémentaire sur les produits qu’ils se procurent.

Le monopole foncier, c’est-à-dire la faculté légale que possède le propriétaire de sol de laisser ses terrains improductifs ou de ne pas les occuper lui-même. Le résultat de ce monopole, c’est le loyer, la rente de la terre, qui affecte tout le monde.

Le monopole des douanes, qui maintient à des prix élevés les utilités fabriquées, confectionnées, façonnées ou finies à l’intérieur, d’où perte pour le consommateur, qui ne peut bénéficier de la concurrence extérieure.

Le monopole des brevets, marques de fabrique, droits d’auteur, etc., qui empêche ou limite la concurrence et l’initiative en matière d’inventions, de spécialités industrielles, etc…

Cette école ne dit pas que la disparition de ces quatre monopoles abolirait absolument l’inégalité, mais elle produirait l’abondance et, de ce fait, l’inégalité tendrait toujours plus à disparaître.

Clarence L. Swartz, l’un des disciples immédiats de Tucker, a cherché à étayer cette thèse, dans What is mutualism ? en se basant sur les statistiques officielles relatives à la richesse et au revenu aux États-Unis, statistiques datées 1926. Voici, d’après elles, pour la période quinquennale 1918–1923, la répartition moyenne des revenus totaux des États-Unis :

Gages et salaires · · · · · · · · · · 50 %

Bénéfices commerciaux et industriels · · · · · · · · · · 20 %

Profits du capital, vente de terrains, garanties et nantissements, ventes d’actif divers, etc. · · · · · · · · · · 4 %

Loyers, redevances, intérêts et dividendes · · · · · · · · · · 26 %