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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/315

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MOR
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de conduite, terminent ainsi leurs conseils : « Dans tous ces cas, faites de votre mieux pour comprendre l’enfant et gagner sa confiance absolue. Vous pourrez alors, en suivant les principes que nous avons donnés, entreprendre de réformer ses mauvaises habitudes. Mais, si vous ne réussissez pas ou ne savez pas comment vous y prendre, ne vous obstinez pas, par fausse honte, à garder votre souci pour vous seuls. Consultez quelqu’un qui puisse vous aider ! »

Ainsi dans leurs « conclusions », les auteurs de cette brochure ne manquent pas d’insister sur la nécessité de « comprendre l’enfant », c’est-à-dire de rechercher quelles sont les tendances qui provoquent sa manière d’agir — et de « gagner sa confiance absolue », — ce qui est tout à la fois un moyen de le mieux connaître et un moyen de l’améliorer moralement sans entrer en lutte avec sa propre volonté.

« On n’éprouvera pas de bien grandes difficultés », dit Baumann, à corriger l’enfant de ses petits défauts, « si on a pris le soin préalable de développer l’attachement pour la mère et le milieu familial. Ce penchant va de pair avec cette inclination égoïste qu’on nomme la vanité et qui nous fait rechercher l’approbation de ceux dont la société nous agrée. Un enfant sérieusement attaché à ses parents tiendra beaucoup à leur approbation. Il suffira parfois de froncer les sourcils pour le faire changer d’attitude ; comme il suffira de l’inviter à « faire plaisir » pour qu’il obéisse… Mais il faut bien se mettre ceci en tête : tous ces moyens et tous les moyens similaires n’aboutiront que dans la mesure où on aura donné au besoin d’attachement une intensité faute de laquelle les plus habiles resteraient sans prise sur les jeunes natures. »

« L’acquisition de bonnes habitudes constitue, dit Claparède, la part peut-être la plus importante de l’éducation morale. » mais, ajoute le psychologue, elle pose un problème délicat : « Ne risque-t-on pas, en pliant l’enfant à certaines habitudes, de porter atteinte à l’indépendance et à l’originalité de son caractère ? « La seule habitude qu’on doit laisser prendre à l’enfant, disait Rousseau, est de n’en contracter aucune. » L’auteur d’Émile voulait que l’enfant restât toujours « maître de lui-même » et qu’on ne portât pas atteinte à ses dispositions naturelles en leur substituant cette « seconde nature » qu’est l’habitude. Le problème revient donc à ceci : les habitudes doivent être pour nous des auxiliaires, non une chaîne. Elles doivent s’harmoniser avec le caractère, non en entraver la libre expression. Elles doivent faciliter le jeu de la volonté et non le détruire. Elles doivent rendre plus aisée l’adaptation aux événements habituels, sans empêcher l’adaptation aux circonstances nouvelles et se transformer en routine. »

Concluons. L’un des buts de l’éducation, le plus important jusque vers sept ou huit ans, est la formation de bonnes habitudes. Cette formation doit être réalisée en tenant compte des tendances de chaque individu. Il s’agit, tout en respectant la personnalité de chacun, de préparer les individus a des comportements variés, mais cependant tous compatibles avec une vie aussi harmonieuse que possible.

XI. Facteurs du comportement. État physiologique. Facteur affectif : besoins, tendances. — Les conclusions qui précèdent nous amènent à nous demander quels sont les facteurs du comportement d’un individu adulte. Remarquons que le comportement n’est autre chose que la réaction de l’individu à des excitations externes ou internes. Ces excitations peuvent être physiques, sociales et personnelles.

Les instituteurs peuvent constater que leurs élèves sont plus irritables, plus turbulents lorsqu’il fait grand vent ou quand le temps est orageux ; qu’ils sont plus nonchalants lorsque la température est chaude et lour-

de. « Une névralgie, un rhumatisme, un trouble intestinal transforment la gaieté en mélancolie, la bonté en méchanceté, la volonté en nonchalance. » La joie ou la tristesse peuvent résulter du plus ou moins d’activité sanguine, la colère d’un certain état nerveux, la peur d’un état de débilité fonctionnelle, etc. L’air que nous respirons, nos aliments agissent aussi sur notre comportement.

L’influence du milieu social : « Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es », est également indéniable. Enfin, comme nous l’avons montré au mot « liberté », l’individu adulte est capable de se déterminer lui-même en une certaine mesure.

Mais le comportement de l’enfant est déterminé par l’hérédité et le milieu. Dans notre pensée nous ne devons donc pas considérer l’enfant comme responsable de ce comportement. Cependant, dans nos rapports avec lui il en va tout autrement, car il importe de cultiver en lui le sentiment de la responsabilité qui est, lui aussi, une cause déterminante de la conduite. Traitons les enfants comme des êtres responsables de leurs actes, puisque c’est utile à leur formation morale, mais faisons-le avec mesure et indulgence en nous disant bien, s’il nous faut réprimander ou punir, que les réprimandes et les punitions ne doivent pas être des châtiments, mais des moyens de perfectionnement moral.

Le comportement de l’enfant dépendant dans une large mesure de son état physiologique (état musculaire, nerveux, fonctions organiques, système endocrino-sympathique, etc.), rappelons-nous aussi la vieille maxime : Mens sana in corpore sano (une âme saine dans un corps sain) Pour corriger ce que nous appelons les défauts de nos enfants, pour leur faire acquérir de bonnes habitudes il est toujours utile et souvent indispensable d’agir sur leur corps. On moralise par l’hygiène et aussi par la médecine.

« Chez la plupart des humains, écrit le docteur Decroly, le moteur par excellence de tout l’appareil nerveux supérieur est le facteur affectif, la sensibilité comme on dit encore, c’est-à-dire l’ensemble des inclinations, tendances, appétits, besoins, sentiments, dont l’action est variable d’individu à individu et chez le même individu d’un moment à l’autre. Lorsque M. Coué, de Nancy (dont la méthode dite de suggestion par auto-suggestion consciente fait en ce moment le tour de l’Europe occidentale), dit que la volonté n’est pas le moteur de nos actes, mais attribue ce rôle à l’imagination, il entend par imagination ce que le vulgaire exprime le plus souvent par là, c’est-à-dire l’activité mentale inconsciente ; or, cette activité inconsciente est orientée, gouvernée par les désirs, les aspirations, la foi, l’idéal, c’est-à-dire par le côté affectif de l’être. »

Ajoutons, avec Vermeylen, — et ceci nous ramène à ce que nous avons dit du comportement et de l’état physiologique — que : « La vie affective élémentaire plonge ses racines dans la vie organique dont elle n’est au début qu’une sorte de transcription psychique. » « A chaque fonction organique correspond une tendance particulière : à la nutrition la faim, à la vision le besoin de voir, à la locomotion le besoin d’exercice et chacune de ces tendances se manifeste lorsque la fonction ne s’exerce pas régulièrement ou lorsqu’elle s’exerce insuffisamment… » (Traité de Psychologie, de Dumas, p. 431.)

Lorsque les tendances répondent à des fonctions organiques qui demandent à être satisfaites d’une façon pressante on leur donne le nom de besoins : besoin de chaleur, besoin de nourriture, besoin d’oxygène, besoin de repos, besoin de mouvement, etc. Si les tendances répondent à des fonctions psychiques complexes, elles admettent généralement un assez long retard dans leur satisfaction ou peuvent même être abandonnées et on leur donne le nom d’inclinations.