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des types de tel ou tel vice, qui représentent ce vice dans sa généralité. » (Encycl.). On dit encore : la moralité d’une fable, d’une pièce de théâtre, d’un livre. Dans la fable (voir ce mot), la moralité vient en conclusion du récit pour éclairer, conseiller, faire toucher du doigt la réalité de la vie. Dans l’œuvre d’art (roman, théâtre, poésie), la moralité est le but apparent ou caché que l’auteur a poursuivi. Il est arrivé que des pudibonds — ou des hypocrites — se sont effarouchés de « l’immoralité » de certains écrits. C’est au nom de la « moralité outragée » qu’on a condamné de purs chefs-d’œuvre. C’est également au nom de la moralité du jour qu’on inculque aux jeunes générations, à l’église ou à l’école, cette masse effarante de préjugés qui entravent d’un poids si lourd l’évolution de l’humanité.

Rejetons donc ce vocable périmé et sachons nous rendre maîtres de nos destinées en nous affranchissant de toute tyrannie. — Ch. B.


MORALITÉISME ANARCHISTE (le). — Lorsqu’en 1900 j’entrai en contact avec les anarchistes, je venais d’un milieu chrétien. Maintes fois, depuis cette époque, j’ai été stupéfié en comparant les déclamations matérialistes de certains théoriciens anarchistes avec les jugements qu’ils prononçaient sur la conduite de compagnons qui avaient pris au sérieux les formules comme : « ni dieu ni maître », « sans foi ni loi », lesquelles concrétisent sous une forme brève et limitée la conception anarchiste individuelle de la vie. Je ne pouvais comprendre comment, après avoir combattu la loi et les prophètes, religieux et laïques, on pouvait porter, sur certaines manières de se comporter individuellement, des condamnations qui n’auraient pas déparé, les attendus de certaines sentences de juges correctionnels. Par la suite je me suis convaincu que ces jugements reflétaient simplement l’éducation bourgeoise (primaire ou secondaire) reçue par ces théoriciens, de l’influence de laquelle ils n’avaient pu ou voulu se débarrasser. Un peu plus tard, heureusement, j’ai rencontré d’autres anarchistes, libérés et affranchis de l’éducation des écoles, qui évitaient, en général, de porter jugement sur les gestes de leurs camarades. Lorsqu’ils se hasardaient, par hasard, à émettre une opinion sur la façon de se conduire de celui-ci ou celui-là, cette opinion ne se basait jamais sur un étalon quelconque de moralité adopté par les souteneurs de la moralité bourgeoise.

Les individualistes anarchistes à notre façon pensent que tout véritable anarchiste devrait tenir pour offensif et blessant qu’un agent quelconque de l’exécutif gouvernemental ait une bonne opinion de lui, qu’électeurs et élus aient de la considération pour lui, que le « bon citoyen », le prêtre, et le professeur de civisme le tiennent pour honorable et respectable. Non point que, forcé par les circonstances, l’individualiste anarchiste ne se déguise, mais à la façon du brigand calabrais, qui se camouflait en carabinier pour détrousser les diligences. Toute concession faite par lui au milieu social, toute concession qu’il a l’air de faire à l’État, il la rachète en minant chez autrui la notion du « pouvoir nécessaire », en démontrant à tous ceux qu’il peut approcher qu’il n’est nul besoin de moralistes, de chefs, de magistrats — imposés, obligatoires — pour remplir les fonctions organiques individuelles et pour s’entendre entre humains.

Certains de ceux qui font aujourd’hui du moralitéisme anarchiste oublient par trop « les compagnons, âmes ardentes » des Briseurs d’Images dont le rythme salua, pour plusieurs camarades de ma génération, leur prise de contact avec le milieu anarchiste. « Tout : statues, emblèmes, mirages » tombaient sous leurs bâtons. Qu’étaient pour eux : « Patrie et Famille : des mots — Qu’ont inventé les égoïstes ? Que nous ont dorés les sophistes — Et dont se sont épris les sots. » Ils mépri-

saient « tous préjugés », vivant « libres dans le monde — où partout le vil et l’immonde — Jusqu’au pinacle sont juchés ». Et si la honte couvrait leurs visages, ce n’était point « pour le maître et l’enrichi — mais pour l’ouvrier avachi ! »

Nous sommes un certain nombre à avoir conservé la mémoire de tout cela. Nous ne pouvons rien au fait que « notre » anarchisme puisse blesser, heurter, froisser constamment ce qui est social, moral, légal au sens où l’entendent les « honnêtes gens » et leurs représentants les plus en vue : procureurs généraux, directeurs de conscience de toutes les religions, académiciens, parlementaires et autres seigneurs. Sans nous immiscer dans les affaires privées de quelque anarchiste que ce soit, nous nous réservons cependant, au nom de la « liberté de choix », de répudier « l’esprit moralitéiste » et de dire à tous en général et à chacun en particulier : « Si votre mental ou votre moral privé vibre à l’unisson du mental ou du moral public d’un préfet de police ou d’un lauréat de prix Monthyon, votre place est chez les jésuites ou dans la brigade des mœurs, non parmi des anarchistes… » Et cette opinion en vaut bien une autre, après tout. — E. Armand.


MORMONISME, MORMONS n. m. Au Congrès des Religions Philosophiques, qui fut tenu à San-Francisco, en 1915, du 29 au 31 juillet, on consacra le premier jour aux religions chrétiennes, le second jour aux religions hindoues, le troisième jour aux religions orientales. Le programme consacré aux religions chrétiennes ne retint que trois systèmes religieux : le catholicisme, le protestantisme et le mormonisme. C’est que ce que l’on appelle le Mormonisme, bien qu’il prétende se rattacher au christianisme, diffère de l’orthodoxie catholique et protestante sur de nombreux points. À vrai dire, le mormonisme apparaît, après examen, comme constituant une religion à part, américaine, influencée peut-être au début par le saint-simonisme, dont sa fondation est contemporaine, et mêlant, dans une mesure équilibrée, le mysticisme ou l’idéalisme à une conception très pratique de la vie.

Le fondateur de cette religion fut un garçon de ferme du nom de Joseph Smith, né en 1805, dans l’État de Vermont, aux États-Unis. La tradition se plaît à le considérer comme inculte, un semi-illettré. Ce paysan était un grand lecteur de la Bible, comme les Américains de souche anglo-saxonne en général ; il était, de plus, beau parleur et la nature l’avait doué d’une haute taille, deux mètres environ, ce qui lui conférait une prestance qui n’était pas sans influence sur les foules. Peut-être Smith entendit-il parler, par les journaux de son pays, d’Owen, de Saint-Simon ? Quoi qu’il en soit, tout comme le fait s’était produit pour les patriarches de l’Ancien Testament, pour Saint Paul, Saint Pierre et certains chrétiens de l’église primitive, pour François d’Assises et autres saints et saintes de l’église catholique, une nuit « un ange » lui apparut. Le fait même que Smith n’était ni très instruit ni très recommandable, – au point de vue bourgeois, s’entend, – ne préjuge rien contre cette apparition, à en croire la tradition chrétienne, et si l’on accepte les visions des patriarches, des prophètes, des saints et des camisards, on ne voit pas pourquoi on récuserait celle de Smith.

Le nom de cet ange était Moroni, tout à fait ignoré du panthéon orthodoxe. Joseph Smith ne fut pas étonné outre mesure de cette apparition. À l’âge de 15 ans, dans les champs – tout comme Jeanne d’Arc – il avait aperçu deux personnages dont l’un n’était autre que le Christ lui-même et l’un de ces êtres surnaturels lui avait enjoint de se tenir à l’écart de toutes les sectes existantes, les unes et les autres n’étant que des contrefaçons du véritable christianisme.

Or il avait maintenant 23 ans. « Moroni » lui raconta,