Aller au contenu

Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MOR
1670

Le leader mormon fut destitué de son poste de gouverneur, mais Brigham Young rendit la vie impossible à ses successeurs. Le gouverneur Cumming étant arrivé avec 2.500 hommes de troupe à Salt Lake City, Young proclama la loi martiale et il y eut un moment danger de conflit. Une détente se produisit cependant et le gouvernement fédéral retira ses troupes. Elles réoccupèrent la capitale de l’Utah lors de la guerre de Sécession, le gouvernement de Washington soupçonnant les Mormons de sympathies avec les Sudistes.

Le 2 juillet 1862, un décret spécial (ayant un effet rétroactif de trois ans) fut promulgué par le président des États-Unis, alors Abraham Lincoln, sans aucun avertissement ; il interdisait la pratique de la polygamie, sous peine d’une amende de 500 dollars et d’un emprisonnement de cinq ans. Comme les Mormons gardaient secrets les registres d’état-civil de leur église, ce décret resta inapplicable, car on ne put jamais prouver qu’une union polygamique avait été célébrée depuis moins de trois ans. La polygamie continua donc comme par le passé… En 1882, elle avait pris une telle extension que le gouvernement fédéral se résolut à sévir vigoureusement et avec une rigueur telle que la répression fut, par la suite, désignée sous le nom de « persécutions dioclétiennes ». Une loi spéciale fut votée le 22 mars 1882, punissant de six mois de prison, de la perte du droit de vote et de certains droits civils, celui qui cohabitait avec plus d’une femme. La chasse aux cohabs – cohabitants – devint une des occupations favorites des anti-Mormons et des fonctionnaires.

« L’Utah fut alors le théâtre de scènes affreuses : il y eut des assassinats de « cohabs », des condamnations de vieillards qui, brisés et malades, ne sortaient de prison que pour mourir, des emprisonnements de femmes qui, voulant sauver leur mari et rester fidèles à leur religion, observaient un mutisme absolu devant les tribunaux, ou se parjuraient sans hésitation. Telle jeune femme, son bébé dans les bras, affirmait ignorer le père de son enfant, quand celui-là, le plus souvent, était à quelques pas à peine sur le banc des accusés ; tel enfant déclarait ignorer son père ; telle vieille mère jurait ne pas connaître le père de l’enfant de sa fille, disant que cela regardait sa fille et non elle ; telle jeune femme, se sauvant dans la campagne pour éviter des poursuites à son mari, vit son bébé mourir dans ses bras et dut, creusant elle-même la terre en un lieu sauvage et solitaire, ensevelir dans son châle le corps de l’enfant. »

En 1890, le gouvernement fédéral, considérant l’église mormone comme une association illégale, prêchant la révolte contre les lois de l’État, confisqua ses biens. L’Église des Saints du dernier jour dût céder et en 1891 son président, Wilford Woodruff, abolit, par un manifeste, la pluralité des femmes. Son église rentra alors en possession de ses biens et le 4 janvier 1896, l’Utah était admis parmi les États de l’Union. Il fut toutefois introduit dans la constitution du nouvel état une clause irrévocable, interdisant la pluralité des femmes. De ce fait, le gouvernement fédéral perdit tout droit de juridiction sur toutes les questions relatives au mariage… Plus tard, le président Joseph Fielding Smith déclarait que le meurtre rituel, les sacrifices humains, la théorie identifiant Salt-Lake-City avec Jérusalem étaient des doctrines inspirées du diable.

La théologie mormone est très curieuse et rappelle les doctrines gnostiques (cela donne à réfléchir quand on nous présente Joseph Smith et son entourage comme un ramassis d’illettrés). Cette théologie enseigne qu’il y a dans « le ciel » une infinité de divinités mâles et femelles, dirigée par un Dieu en chef, qui possède, comme l’homme, un corps de chair, mais incorruptible. Il est immortel et le Christ-Jéhovah est né du mariage réel du chef des Dieux avec une déesse. Au-dessous des Dieux viennent les anges, puis les hommes.

Tous sont des esprits dans un tabernacle de chair et seul le Saint-Esprit, véritable moteur du monde, est immatériel. Le Mormonisme professe d’ailleurs le dogme de l’immortalité de la matière…

D’après la théologie mormone, l’homme est doué du libre-arbitre. (Dans le conseil des Dieux et des anges, Satan avait proposé que l’homme fût sauvé des dangers et des péchés de l’état de mortalité par force et non par le mérite de la lutte et de l’effort, tandis que Christ-Jéhovah était d’avis de garantir à l’homme la libre disposition de ses actions : il s’offrait d’ailleurs comme rançon des péchés que pourrait alors commettre le genre humain. Son plan fut adopté et celui de Satan repoussé.) L’Église des Saints du dernier jour admet la chute ; la résurrection du Christ ; trois état la glorification pour le fidèle : le céleste, le terrestre, le téleste ; la possibilité pour l’homme de devenir Dieu, le baptême pour les morts. Jarnes-E. Talmage, qui fut délégué des Mormons pour exposer la philosophie de sa religion au Congrès des Philosophies religieuses, décrit « Dieu lui-même, Elohim, comme un être progressif, avançant éternellement d’une perfection à une autre, parce que possédant cet attribut caractéristique, qui sera le don de tous ceux qui atteignent l’exaltation céleste – le pouvoir de s’accroître éternellement. »

Selon la théologie mormone, c’est littéralement que l’homme et la femme sont les images de Dieu.

Venons-en maintenant au dogme de la pluralité des femmes ou plutôt des épouses – plurality of wives – qui fut la cause de toutes les persécutions que subirent les Mormons, la pierre d’achoppement de leur église. La section 132 de « Doctrine and Covenants » expose qu’à Nauvoo, le 12 juillet 1843, Joseph Smith reçut une révélation concernant une nouvelle et éternelle alliance comportant l’éternité du mariage contracté selon la loi de Dieu et la pluralité des épouses. Les versets 19 et suivants promettent à l’homme qui obéit à la loi de Dieu, concernant le mariage éternel, qu’il deviendra un dieu. Plus loin, on trouve que Moïse, Abraham, Jacob, Salomon reçurent des femmes et des concubines, que cela leur fut « imputé à justice », parce que dans toutes ces choses, ils accomplirent ce qui leur avait été commandé. Le verset 61 dit : « Si un homme épouse une vierge et désire en épouser une autre, et que la première donne son consentement, et s’il épouse la seconde et qu’elle soit vierge, ne s’étant promise à aucun autre homme, cet homme-là est justifié. Il ne peut commettre d’adultère avec ce qui lui appartient, à lui, et à personne d’autre. » Et le verset 62 : « Et si dix vierges lui sont données, de par ladite loi, il ne peut pas commettre adultère, car elles lui appartiennent et lui sont données à lui. C’est pourquoi il est justifié. »

Cette révélation ne faisait que justifier un état de fait, car Joseph Smith et plusieurs des principaux d’entre les Mormons pratiquaient la polygamie à Nauvoo. Brigham Young, lorsqu’il proclama solennellement la révélation de Joseph Smith, le 2 août 1852, le reconnut lui-même. Il ajouta que « sans la doctrine contenue dans cette révélation, il est impossible à personne ici-bas de s’élever jusqu’à devenir un dieu ». Voyons les amplifications que l’église mormone donnait à cette doctrine :

« D’après la religion mormone – qui, on l’a vu ci-dessus, est polythéiste – la polygamie est nécessaire au salut : Jésus-Christ, né de la polygamie, fut polygame lui-même : les Noces de Cana étaient ses noces. Marie et Marthe étaient ses femmes et il put ainsi satisfaire à la loi imposée aux hommes et se créer une descendance avant d’être crucifié. (Des Mormons prétendent que J.-C. avait trois femmes). »

« Quant au sacrement du mariage, la religion mormone, qui admet le divorce (mais ne l’octroie que rarement), célèbre trois sortes d’union : l’union pour la vie