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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/328

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MOR
1672

Mormons… Tant que le gouvernement fédéral ne les eût pas dépossédés de l’administration de l’Utah, il n’y avait chez eux ni prostitution, ni bars, ni lieux de débauche. Aujourd’hui, alors que des éléments qui leur sont tout à fait étrangers ont introduit ces pratiques à leurs côtés, ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour en restreindre les effets.

En se plaçant à un autre point de vue, sans leurs nombreuses familles, les Mormons ne seraient jamais parvenus à faire, en si peu de temps, de la région désertique qui entoure le Grand-Lac-Salé, le pays prospère et producteur qu’est l’Utah d’aujourd’hui ; il est à noter d’ailleurs que le gouvernement fédéral n’est intervenu sérieusement pour abolir la polygamie que lorsque le territoire fut à peu près défriché… On prétend que c’est seulement extérieurement que les Mormons ont renoncé à la polygamie. Ils la pratiqueraient clandestinement et, chez les plus riches d’entre eux, ce sont les soi-disant servantes qui joueraient le rôle de « concubines ».

De 1910 à 1912, il y eut une violente campagne anti-mormone où se distinguèrent le « Mac Clure Magazine » et l’ « Everybody’s Magazine ». On donna le nom de cinq apôtres ayant célébré des unions polygames. En février 1911, la « Salt Lake City Tribune » publia une liste de 274 mariages polygamiques célébrés depuis le manifeste Woodruff : l’église mormone ne protesta pas et il y eut à peine un ou deux démentis individuels. Le 12 janvier 1912, à un grand meeting anti-mormon, à New-York, le sénateur Cannon déclara que les apôtres mormons ont chacun 5 ou 6 femmes. Quand expira le président Joseph Fielding Smith, dont il a été plus haut question, l’agence Radio annonça que, décédé à 80 ans, il avait épousé 6 femmes, laissé 5 veuves ; 30 de ses 53 enfants étaient encore vivants… Quand il s’est agi d’apaiser le gouvernement fédéral et les clameurs puritaines de l’est de l’Union américaine, les docteurs mormons ont publiquement substitué à la polygamie réelle, le mariage mystique des fidèles soit avec les âmes des mortes, soit le mariage pour l’éternité avec des femmes déjà en possession de mari sur cette terre. Mais était-ce autre chose qu’une feinte ? Il existerait un paragraphe ou verset secret – dans la section 132 du livre Doctrine and Covenants – dans la Révélation faite à Joseph Smith, lequel déclare que le Saint qui pratique la pluralité des épouses, ne peut plus commettre de péché, sauf en cas de meurtre (c’est ce privilège qui fait de lui… un dieu). Il s’ensuit qu’un Mormon pouvait se parjurer devant les tribunaux des « Gentils », mentir aux non-Mormons, pratiquer la polygamie et déclarer ou prêcher le contraire sans commettre de péché.

Nous touchons ici à un point obscur de la vie intérieure du mormonisme. À côté de sa doctrine exotérique, possède-t-il une doctrine ésotérique, réservée à certains initiés ? On pourrait le déduire de certaine, expressions des Révélations prétendument faites à Joseph Smith, d’où il semble qu’il existe des clauses secrètes, dont la connaissance est réservée uniquement aux plus dignes. Un théologien mormon, Jedediah Grant, a formulé, par exemple, la théorie du blood atonement, c’est-à-dire de l’expiation par le sang, selon laquelle l’assassinat, dans certains cas, cessait d’être un crime pour devenir un instrument de salut pour ceux qui en étaient victimes. (Certains docteurs catholiques ont défendu des thèses qui s’apparentent à cette doctrine). Un ex-Mormon, le révérend Hyde, a raconté, vers 1360, qu’il y avait une initiation mormone à des mystères religieux entre autres ceux de la création et de la chute ; de plus, le nouvel initié promettait l’obéissance passive, « perinde ac cadaver », aux ordres de l’Église, à laquelle il consacrait sa vie pour qu’elle devint maîtresse du monde. Cette initiation comportait un serment vouant à la haine divine et terrestre et « les gentils » en général et

le président des États-Unis en particulier. On conférait alors au nouveau Mormon la prêtrise de Melchisédek. Il va sans dire que les plus cruels supplices, puis la mort, étaient réservés aux traîtres dévoilant les mystères de leur initiation… Des assassinats de voyageurs traversant l’Utah, chercheurs d’or ou autres, ont paru confirmer cette idée d’une doctrine ésotérique très dangereuse pour la sécurité sociale. Il est évident que vers 1860 et les années qui ont suivi, les Américains et leur gouvernement ont tenu en grande suspicion les doctrines et des actions des Saints du dernier jour.

À l’heure actuelle, les Mormons se montrent fort respectueux des lois de l’Union américaine. Certains d’entre eux sont de hauts fonctionnaires et jouent même un rôle politique, comme sénateurs et représentants au Congrès. L’Utah compte, aujourd’hui, 450 000 habitants dont 300 000 Mormons, parmi ceux-ci, un certain nombre de Scandinaves. Le pays est bien cultivé et l’irrigation, poursuivie méthodiquement, a donné de merveilleux résultats. La culture des arbres fruitiers a également été vigoureusement poussée. L’instruction est très développée et l’église mormone fait de grands sacrifices dans ce sens. 80 p. 100 des impôts de l’État sont consacrés aux écoles, si bien que le nombre des illettrés est infime… On compte qu’il existe 50.000 Mormons dans le monde entier, dont une importante colonie au Mexique. Ils assurent qu’ils ont 2000 missionnaires à l’œuvre au Canada, en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, en France, en Suisse, dans les pays scandinaves, aux Antilles, dans l’Afrique du Sud, au Japon, en Polynésie, dans l’Amérique du Sud, en Turquie, en Palestine enfin.

Au point de vue ecclésiastique, l’église des Saints du dernier jour est compliquée et théocratique ; à la base se trouve le ward ou paroisse (il en existe 700 dans toute l’église), ayant à leur tête un évêque et deux conseillers.

Au point de vue social, les Mormons ont fondé leur société sur trois grandes bases : la coopération qui permet à chaque individu de se développer autant que ses facultés le lui permettent ; la dîme, qui prescrit à chaque Mormon de verser 10% de ses revenus à un fonds commun, dont le but est, en venant en aide aux membres les plus pauvres de leur société, d’en éliminer la misère ; l’arbitrage, qui supprime le recours aux tribunaux séculiers et réduit les litiges à leur plus simple expression en les soumettant à de hauts conseils quels qu’ils soient, et sans aucune dépense.

Les Mormons ont un sens aigu de la solidarité qui doit unir les membres d’une même association. Ils ont été jusqu’à prévoir des excursions pour les vieillards et c’est ainsi que se met en route, plusieurs fois par an, vers les sites pittoresques de l’Utah, une caravane d’excursionnistes de plus de 70 ans.

Faut-il croire M. Léon Abensour, lorsqu’il dit : « Les résultats obtenus par les Mormons dans l’Utah montrent ce qu’auraient pu faire les Saint-Simoniens si, au lieu de vouloir rénover la société européenne, ils avaient pu trouver un coin du vieux monde, où seuls occupants, ils eussent pu, en toute tranquillité, appliquer leurs idées » ? C’est que justement on n’a pas laissé les Mormons appliquer leurs idées en toute tranquillité, et nous craignons fort qu’ils se soient laissés américaniser comme le reste du pays. Quoi qu’il en soit, et sans prendre à la lettre les récits de voyageurs auxquels on ne laisse voir que ce que l’on veut, les Mormons ont donné au monde un inégalable exemple de courage, d’énergie, de ténacité, de volonté de réussite. C’est avec des moyens de locomotion primitifs qu’ils ont traversé l’Amérique de l’est à l’ouest, c’est avec des outils rudimentaires qu’ils ont creusé leurs premiers canaux, bâti leurs premières écoles, construit leurs premières salles de réunions, c’est avec de maigres ressources qu’ils ont transformé un désert en une