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MOR
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deux pas de ce crématoire où leur dépouille évaporée prendra son vol vers l’infini.

Les spectacles de la nature, vue dans son ensemble, et de très haut, grâce au privilège de notre imagination, restent grandioses et magnifiques quand même l’homme se voudrait réduire au niveau de l’atome. Quoi de plus beau, de plus génial, de plus esthétique, que ce tableau de l’évolution cosmique à laquelle l’homme le plus humble peut être fier de participer. Pour les orgueilleux, la pensée peut être satisfaite de savoir qu’ils sont une partie infime du Grand Tout et que le retour au sein du cosmos, après son éphémère vie, a pour l’imagination quelque chose de prodigieusement captivant. Les créations les plus luxuriantes sont sorties de ce rêve splendide. La pensée d’être un atome constructif du grand édifice mondial ; la pensée que, demain, tout ou partie de ma substance peut constituer les éléments de la rose ou du jasmin m’ouvre des perspectives dont je jouis à volonté présentement, grâce aux ressources de la folle du logis, plus près cependant de la réalité que les billevesées des croyants. Ces vues dépasseront à coup sûr en intérêt la vision où j’aperçois mon âme en contemplation perpétuelle de Dieu, ou rôtissant in œternum dans le grill-room de Satan.

La morale conventionnelle a-t-elle perdu ses droits en l’occurrence ? Le matérialiste prétendra le contraire et sa morale est juchée en des régions singulièrement plus élevées que celles où l’on voit l’idée du Devoir simplement adéquate à l’idée de sanction pénale ou de récompense. Le devoir basé sur l’intimidation ou l’intérêt manque de grandeur. Avoir peur est démoralisant. Accomplir son devoir fièrement, pour l’amour du devoir, conduit l’homme en un lieu éthéré, dont les morales de convention lui interdisent l’accès.

Or l’homme n’est qu’un chaînon dans la chaîne des êtres. Il est un moment dans l’évolution. Comme tel il est l’héritier de millions d’ascendants dont il subit fatalement l’influence. Il en souffre à certains points de vue, parce que l’évolution mal conduite, fille de l’erreur, de la vanité ou de l’égoïsme a fait de lui un pauvre esclave. L’humanité est fille de ses œuvres. Mais il en tire avantage à d’autres points de vue et c’est encore de son histoire qu’il tire tout ce qui dans sa vie présente peut être qualifié : joie, bonheur, satisfaction physique ou morale.

D’où dérive pour lui cette formidable notion de la solidarité raciale, qui cheville en lui cette autre notion que nous devons à autrui la part de mal et de bien que nous avons en partage, que, par suite, la fraction de mal et de bien qui est notre œuvre propre prépare pour nos descendants la vie future. L’humanité de demain sera notre œuvre. Or, qui est-elle cette humanité si ce n’est l’être qui sort de nous-mêmes, ainsi que ses descendants. Qui est-elle si ce n’est nous-mêmes sous d’autres apparences ?

Le mal que je m’inflige volontairement ou par insouciance, ou par méconnaissance de mes obligations de solidarité, c’est le mal de mes fils. Comme le mal que j’ai subi, c’est le mal de mes ancêtres. Mais aussi le bien que je triture de mes mains, par mon effort combiné et raisonné, c’est le bien que je rêve pour mes successeurs et dont je jouis par avance, dans une anticipation d’un au-delà qui est mon œuvre. C’est ma part de paradis réalisée sur terre.

Quel admirable aiguillon pour le bien est une semblable conception, qui montre l’atome humain véhicule éternel des propriétés qui feront la vie et la mort de la race, de ses jouissances comme de ses misères. Et quelle supériorité caractérise l’intelligence de l’homme qui, dès la jeunesse, prend conscience d’un pareil devoir !

À la peur, aiguillon des morales artificielles se substitue l’amour, fécondant un altruisme issu, d’ailleurs,

d’un égoïsme rationnel et bien compris. Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas recevoir toi-même, est un prétexte, religieux dans son origine, mais d’essence très humaine dans sa réalité. Et ce précepte n’est-il pas adéquat à l’idée de justice réparatrice ?

Mais pour concevoir la mort, comme je l’ai dépeinte, pour la confondre avec la vie et par suite pour la nier, Il ne faut pas être hypnotisé par le médiocre microbe que nous sommes, il faut envisager l’humanité elle-même, dans l’histoire successive des longues périodes qu’elle traverse, venant on ne sait d’où allant on ne sait où, mais pourtant digne dans la lutte pour l’existence, d’accéder à une somme de bien-être d’autant plus précieux que tous les vivants en auront été les artisans.

La mort n’est qu’une apparence. Car la mort est encore la vie. C’est une roue qui tourne indéfiniment. Et cette infinité est le symbole de l’éternité. – Docteur Legrain.

MORT. — Le problème de la mort, tout comme celui de la vie, est un de ceux qui ont reçu le plus d’explications et d’interprétations finalistes, non seulement de la part de tous les mystiques et métaphysiciens mais encore de la part d’innombrables philosophes et même de nombreux savants. Quelques-uns de ceux-ci n’arrivent point à se débarrasser de la notion d’utilité et de raison d’être de ce qui est. Pour eux, il faut absolument que l’univers ait un sens.

D’autre part, l’homme rapportant inévitablement tout objet de connaissance à son propre fonctionnement vital, et il est tout naturel que chaque humain, chaque croyant, ou athée, ou curieux ; chaque groupe, ou clan, ou peuple, ou race se fasse de la mort un concept conforme à sa constitution particulière à son sens propre de la vie. Mais cette manière toute subjective d’envisager la mort n’exclut nullement l’examen objectif de ce phénomène considéré comme un des effets du fonctionnement universel s’exerçant sur les hommes sur les races et les diverses civilisations.

Ce qui caractérise nettement l’univers, c’est le mouvement. Mouvement d’une substance inconnaissable dont les cycles évolutifs seuls nous sont connus en partie, et dont les transformations successives peuvent être considérées comme autant de naissances et autant de morts. Remarquons qu’à moins de contradiction avec le postulat de l’incréation ou de l’absence de miracle, nous ne pouvons admettre de création ou de disparition extraordinaire de substance ou de mouvement, mais seulement des changements d’état synthétiques, déterminés par les réactions réciproques des éléments entre eux. Ce dynamisme perpétuel est incompatible avec toute stabilité, avec toute durée ou conservation définitive des équilibres formés par les groupements plus ou moins compliqués de la substance en mouvement.

Cette éternelle instabilité nous indique également qu’il n’y a aucune finalité dans l’univers puisque aucun état n’est définitif et qu’il est impossible d’assigner une borne à l’espace et au mouvement générateur du temps humain. L’infinité du temps et de l’espace est la négation même de la notion d’âme et de la notion de divinité, car il est profondément absurde d’essayer d’imaginer la suppression ou la création, par qui ou quoi que ce soit de l’espace et du temps. Ce sont là des inepties. De même la notion d’éternité détruit toute existence possible d’une âme, car ou bien cette âme a eu un commencement (et dans ce cas elle subit toutes les vicissitudes des transformations de la substance, se confond avec elle, nait et meurt comme toute forme qui commence et qui finit), ou bien elle est éternelle (et alors il faut reconnaître que de toute éternité l’âme a été une fort triste chose, puisqu’elle ignore encore le secret des mondes et n’a pas su réaliser la fraternité et l’amour). Un si maigre résultat pour une éternité