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expériences, et pendant 13 ans put éviter la conjugaison et le vieillissement et obtenir 8.400 générations par simple division. Métalnikov est parvenu aux mêmes conclusions après dix ans d’expérimentation et cela était facile à prévoir puisque d’innombrables protozoaires se reproduisent ainsi naturellement sans signe de vieillissement. La seule condition a observer consiste en un renouvellement permanent du milieu où baigne l’animal. On sait, d’autre part, que Carrel est parvenu à conserver vivant, pendant plus de dix ans, et à faire proliférer divers tissus d animaux, sous conditions de renouvellement incessant du milieu ; ce qui démontre bien l’immortalité de la cellule. Ainsi, ces animaux ne connaîtraient point la mort biologique. Pourquoi alors les animaux supérieurs, que l’on peut considérer comme des colonies de cellules, meurent-ils après un vieillissement plus ou moins tardif ?

Pour Hertwigt la cause serait dans l’agglutination des cellules, obligeant celle-ci à un accroissement de dimensions au lieu de permettre la multiplication indéfinie qui est leur fonction propre. En fait, les observations embryogéniques montrent l’activité extraordinaire des premières multiplications cellulaires se ralentissant progressivement jusqu’à la formation complète du fœtus. Ce ralentissement se continue jusqu’à la naissance où le nombre des cellules paraît définitivement limité. Celles-ci augmentent alors de volume jusqu’à la fin de la croissance, puis vient, lentement, la dégénérescence et la mort. Un autre biologiste, Mainot, paraît de cet avis et pense que la différenciation cellulaire, la spécialisation, née de l’agglutination, est la cause de la sénilité et de la mort. Delage a également émis une théorie de la mort basée sur la différenciation cellulaire, dans laquelle seuls les éléments indifférenciés telles les cellules sexuelles, ne meurent point. Retterer, qui a combattu ce point de vue, a objecté que les cellules sexuelles sont hautement indifférenciées, ce qui ne leur enlève point leur caractère d’immortalité. Ceci est plus ou moins exact et Le Dantec pensait que les éléments sexuels sont, au contraire, des éléments morts réduits à un seul pôle, c’est-à-dire incapables, désormais d’assimiler et de se reproduire isolément. Il supposait que chaque cellule vitale est le siège d’un phénomène bipolaire (bisexuel) indispensable à l’assimilation et que celle-ci, jamais parfaitement réalisée entraîne une certaine modification de l’être qu’il appelait assimilation fonctionnelle. Cette fonction vitale nécessite le renouvellement constant du milieu et l’élimination des substances de désassimilation sous peine d’intoxication, de maladie, de sénilité et de mort. Cette désassimilation produit également la substance squelettique agglutinant les milliards de cellules et cette accumulation entraîne la vieillesse et la mort. La théorie de Loeb admet également l’immortalité des cellules libres et l’intoxication réciproque des cellules organisées. C’est à peu près la théorie de Delage et Retterer, aurait dû admettre que, par différenciation cellulaire, il fallait entendre une destruction graduelle de certaines propriétés vitales chez les éléments des organismes supérieurs, conservées, au contraire, par d’autres cellules et que retrouvent les cellules sexuelles en se conjuguant.

A. Lumière émet une théorie tout aussi pessimiste. La matière vivante est de nature colloïdale (et par conséquent instable), c’est-à-dire composée de micelles, ou granules formées d’un noyau et d’un revêtement mince, en suspension dans un liquide. Ces noyaux et leurs revêtements sont de structures différentes et chargés d’électricité contraire. La disparition du revêtement entraîne un précipité des granules, la floculation et la mort. D’autres biologistes, tels que Hodge et Conklin, pensent que la vieillesse provient d’une altération des cellules, lesquelles diminuent de volume, perdent pro-

gressivement leur noyau, tandis que la pigmentation les envahit lentement et détruit leur fonctionnement.

La mort se présenterait donc ainsi, comme un phénomène physico-chimique inévitable.

Metchnikoff n’est pas de cet avis. Selon lui, le vieillissement provient bien d’une intoxication, mais celle-ci n’est que la conséquence du pullulement des microbes malfaisants dans le gros intestin. Il en résulterait une sorte de dégénérescence des cellules nobles ou spécialisées : musculaires, nerveuses, viscérales, etc., plus sensibles aux poisons que les autres cellules : phagocytes et tissus conjonctifs, lesquels, plus mobiles, plus indépendants conservent leur faculté de défense beaucoup plus longtemps. En temps normal ces cellules luttent contre les microbes, réparent les plaies, reforment les, tissus, mais, dans un organisme vieilli, elles s’attaquent aux cellules nobles, les détruisent, ruinent la coordination générale et déterminent la mort. Cette guerre civile expliquerait certaines affections telles que les tumeurs, cancer, sarcome, etc., qui constituent une sorte de révolte cellulaire effectuée par des cellules extrêmement vigoureuses, soustraites aux lois coordinatrices de l’organisme. Enfin, après les travaux de Brown-Séquard, sur les sécrétions internes de certaines glandes, de nouvelles recherches ont démontré leur influence dans tout l’organisme sur la croissance, l’accélération de la maturité, l’équilibre général, le vieillissement, l’intelligente, etc. Les travaux de Steinach et de Voronoff sur la greffe des glandes sexuelles ont démontré des possibilités évidentes de rajeunissement, tandis que Jaworski, par des transfusions de sang jeune, est également parvenu, en ce sens, à des résultats intéressants.

De tous ces faits il est possible de dégager les quatre remarquables suivantes : 1° le fonctionnement de la cellule vivante est immortel en milieu renouvelé ; 2° l’agglutination des cellules limite le renouvellement du milieu, gêne le fonctionnement vital, crée l’accumulation des déchets, tandis que la spécialisation rend progressivement chaque cellule impropre à l’activité totale de la vie et au maintien du rythme initial ; 3° l’unité cellulaire ignore les longues durées par suite de ses fréquentes divisions. Il n’y a donc pas immortalité proprement dite de la cellule puisqu’il n’y a pas individualité permanente, mais incessants recommencements. L’acquisition expérimentale est donc limitée par le temps et les dimensions mêmes de la cellule et se trouve toujours réduite à elle-même sans grande possibilité d’enrichissement ; 4° l’agglomération cellulaire arrête la multiplication, stabilise l’activité, prolonge la durée réelle de chaque cellule et favorise son accroissement expérimental. La spécialisation permet à certaines d’entre-elles d’accumuler des modifications, se coordonnant dans le temps et constituant la connaissance, le savoir.

Ici encore nous pouvons constater l’absence de finalité des choses, car, tandis que l’indépendance préserve la cellule de la mort et lui conserve une grande vitalité, elle ne lui permet aucun perfectionnement expérimental par insuffisance de durée et impossibilité de connaître d’autres expériences que la sienne. Par contre les êtres pluricellulaires acquièrent une grande connaissance par suite de leur durée et de leurs spécialisations, mais il ne peuvent profiter de cet avantage, puisqu’ils meurent et perdent cet acquis…



Certains savants encore empêtrés dans les explications finalistes et cherchant un but à cet état de choses ont pensé que la mort était avantageuse pour l’espèce. Weisman a défendu ce point de vue absurde : les espèces immortelles mais séniles auraient été éliminées dans la lutte pour la vie par les espèces mortelles, mais