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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/336

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MOR
1680

composées de sujets plus jeunes et plus vigoureux, plus aptes à vivre. D’où utilité bienfaisante de la mort. La vieille erreur finaliste de « l’Espèce », entité vivante, persiste encore. Elle oppose l’espèce à l’individu, celui-ci devant être sacrifié à celle-là. Comme il n’y a, en réalité, que des individus, le sacrifice à l’espèce devient un sacrifice de l’individu à l’individu. Ce qui est proprement absurde. Chaque être se sacrifiant à un autre être, c’est l’espèce tout entière qui se sacrifie au néant, puisque le dernier être est voué, tout comme le premier, à la mort. C’est l’apologie grandiose du suicide.

De nombreux philosophes ont également défendu ce concept contradictoire en chantant les louanges de l’anéantissement. Les forces aveugles de la nature ne leur demandant point leur avis leur approbation est de trop. Ce qui est se justifie de lui-même, puisqu’il est ainsi et non autrement. Pourtant il est de toute évidence que si l’immortalité des êtres supérieurs était un fait il ne pourrait y avoir sénilité, qui est un commencement de mort. La vieillesse n’existant point, nul ne pourrait célébrer la joie des éternels recommencements. Le monde serait autre, tout simplement, en vertu de ce fait bien compréhensible que pour qu’un être immortel fut viable et put durer, il faudrait absolument qu’il y eût, préalablement, les conditions nécessaires à sa réalisation. Nous retombons toujours dans cet axiome évident que, ce qui est étant le résultat du fonctionnement de l’univers, il est tout naturel de trouver réunies les conditions nécessaires pour que cela soit tel que c’est et pas autrement. La mort des êtres supérieurs est le produit du monde tel que nous le connaissons et il faut reconnaître qu’il n’est pas extraordinaire. L’immortalité ne serait possible que dans d’autres conditions, avec d’autres équilibres biologiques.

L’immortalité est-elle possible, est-elle désirable et quelles en seraient les conséquences pour l’individu et la collectivité ?

D’après ce qui précède, le mécanisme même du fonctionnement cellulaire nous échappe, car aucun des expérimentateurs n’a pu trouver la cause intracellulaire des phénomènes auxquels il a attribué la sénilité et la mort. Nous n’avons qu’une certitude : la mort biologique, c’est-à-dire la lutte entre systèmes conquérants, n’est point inévitable et l’homme pourrait créer une certaine harmonie entre systèmes affinitaires et détruire définitivement les autres.

La mort physico-chimique paraît plus rebelle. Pourtant il est un fait qui démontre que la vie est bien une transformation de l’énergie ambiante ; c’est le pouvoir minime d’énergie initiale nécessaire à une seule cellule pour en engendrer des milliards d’autres. Une telle énergie totale ne peut être empruntée qu’au milieu physico-chimique et non à la cellule mère ; celle-ci ne pouvant que jouer le rôle de transformateur, de catalyseur et de coordonnateur des forces substantielles du milieu. L’organisation seule paraît responsable de la mort par stabilisation, « arrêt de développement », accumulation de déchets, difficulté de renouvellement du milieu intérieur. D’autre part, il est impossible de songer à détruire cette organisation, source de l’intelligence et de la conscience humaine. La solution future est peut-être dans la connaissance exacte du mode d’accaparement et de transformation de l’énergie ambiante par la cellule et dans la découverte des moyens propres à son utilisation pour le renouvellement indéfini de l’organisme et l’élimination des toxines mortelles.

La vie future réaliserait ainsi une nouvelle forme d’équilibre dans l’univers ; équilibre formé : 1° de la conservation des éléments utiles au double fonctionnement physiologique et psychologique ; 2° de l’élimination des éléments nuisibles au corps (toxines) et à l’intelligence (erreurs) ; 3° de l’évolution, c’est-à-dire trans-

formation progressive du corps et du psychisme sans solution de continuité.

Ainsi se trouveraient conciliés les deux facteurs contraires de l’univers : l’évolution et la durée, ou, si l’on préfère : le mouvement et la stabilité. Rien n’est écrit d’avance. Toutes les possibilités sont dans la substance en mouvement et l’intérêt de l’homme est d’en connaître les lois pour les utiliser à son profit…



L’immortalité n’est pas impossible a priori. Est-elle désirable ?

Pour répondre à cette question, il est nécessaire de rechercher sur quelle base on peut établir la légitimité d’un désir, d’une raison d’agir, d’une volonté. Autrement dit : y a-t-il une démonstration logique et rigoureuse de l’utilité ou de l’inutilité de l’existence des êtres ? Peut-on établir la nécessité de la continuation de la vie ou celle de sa disparition ?

Remarquons que la vie et la mort font partie des choses naturelles, et qu’un choix de pure raison, entre ces deux solutions, ne change rien au fonctionnement universel. Mais qu’est-ce qu’une pure raison ? Le fait même que cette question ne se pose que parce qu’on est vivant et que l’on porte un intérêt à sa résolution prouve que toute question humaine est déterminée par quelque chose de vital, d’animal, de physiologique, antérieur à la raison et la déterminant. Notre fonctionnement nous détermine à l’optimisme ou au pessimisme. C’est une question d’humeur, de compositions chimiques et de combinaisons colloïdales. Ainsi, celui qui vit et aime la vie agit par suite de son fonctionnement biologique qui le détermine à continuer de vivre. Celui qui se suicide fonctionne de telle manière qu’il accomplit un geste qui met un terme à son fonctionnement. À dire vrai, si paradoxal que cela soit, le suicidé ne se tue pas : il supprime une cause de souffrance. Il ne se rue pas consciemment contre son moi pour le détruire ; il lutte contre des représentations mentales désagréables qu’il supprime à la manière de l’ours écrasant la mouche du dormeur.

La question de préférer le néant à l’existence, ou vice-versa, n’a donc aucun sens puisque ce qui vit ne peut se placer dans la condition de la non-existence ; et que la non-existence n’étant rien, ne peut se comparer à l’existence qui est quelque chose. Nous comparons tout simplement deux de nos états mentaux. Dans l’un, nous nous représentons (ou croyons nous représenter) l’absence de l’inharmonie universelle par la disparition de la conscience humaine seule capable de la juger et d’en souffrir. Et dans l’autre, nous nous représentons cette souffrance comme étant un effet de notre volonté qui pouvait ne pas l’engendrer car, créer de la vie, c’est engendrer un futur mort. Tout se ramène en fin de compte à une sorte de balancement entre le plaisir que l’on a de vivre et la peine qu’on en éprouve.

Ainsi tout être sentimental peut désirer la fin de l’humanité comme conclusion d’un phénomène malfaisant et douloureux pour la conscience humaine ; mais sentimentalement, il est tout aussi possible de s’enthousiasmer pour ses dons merveilleux et de vouloir sa conservation et sa durée. D’ailleurs, le fait seul que l’on critique l’état des choses et qu’on lutte pour son amélioration indique que l’on s’intéresse à sa continuation et qu’on est partisan de créer de la vie.



Une des raisons de désirer la mort peut provenir du mauvais fonctionnement vital : pathologie, sénilité, usure, affaiblissement, etc., déterminant dans la conscience humaine l’amertume, le dégoût, la lassitude, le désintéressement de l’effort, l’amour du repos, l’atti-