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MOR
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dans le rêve et l’extase on les voit agir, on les entend causer. L’infirmité intellectuelle des âges précédents ne permettait pas aux hommes de soupçonner que les perceptions du rêve n’ont pas la même réalité que celles de la veille. Aussi, pour les primitifs, le dédoublement des êtres et des choses, l’existence d’un double attaché au corps à certaines heures et capable de liberté était un fait précis, indiscutable, dont la réalité ne laissait aucun doute. De cette croyance à l’existence d’une âme immortelle ou plutôt des âmes – car les peuples qui ont doté l’homme d’une seule âme sont en nombre restreint – découlent les rites funéraires aussi variés que baroques. L’âme est, parait-il, le moi conscient de l’individu qui recommence après la mort une nouvelle vie calquée sur l’ancienne. Elle n’a rien qui ne lui soit prêté par les vivants. Elle voit, elle entend, elle conserve toutes les facultés dont elle a perdu les conditions organiques. Elle n’est que le décalque du corps qu’elle a quitté ; elle a toutes les qualités de la matière, mais elle est immortelle.

L’homme a traversé plusieurs âges géologiques avant de s’intéresser aux morts. L’abandon a été le premier régime funéraire, mais il a dû insensiblement s’accommoder aux croyances animistes et revêtir un caractère liturgique. Déjà les hommes de l’époque moustérienne semblent avoir eu une vision de survie qui les a poussés à inhumer leurs morts selon un rite particulier. Mais ce n’est que plus tard, beaucoup plus tard, que les hommes ont pris un soin de plus en plus précieux des morts. Quand la croyance en l’immortalité des âmes fut devenue un fait précis et que la crainte qu’inspiraient les revenants de toute nature fut assez puissante pour imposer le respect des morts. Le premier hommage que les morts ont reçu est celui de la peur. De la peur qu’inspiraient les esprits libres, séparés de leur corps, qui étaient coutumiers de tours cruels. Une fois en liberté, les mânes effrayaient les vivants, les entraînaient hors du bon chemin, les tourmentaient de toutes façons, surtout quand il s’agissait d’esprits dont les corps, pour une raison ou pour une autre, avaient été privés de sépultures ou n’avaient point reçu les honneurs funèbres. De là proviennent toutes ces légendes de vampires, de larves, de lémures, de goules, toutes plus acharnées les unes que les autres à meurtrir les humains ; de là aussi sont issus tous les procédés magiques dont usent les sorciers pour capturer les âmes errantes et pour détourner leurs colères sur les ennemis de la peuplade. (Voir sorcellerie).

Anciennement, la crainte des esprits était si forte que les morts ont été jetés dans les gouffres naturels : cratères, chutes d’eau, fleuves, etc., ou abandonnés dans les cavernes, dans des abris artificiels, portés au sommet des arbres où ils pourrissaient sur les branches. Certains peuples donnaient les corps d’enfants et même d’adultes à manger aux chiens ou les abandonnaient aux vautours et aux poissons. Souvent, dans ces deux derniers cas, les ossements étaient soigneusement recueillis et pieusement conservés. Rappelons à ce sujet les coutumes des Parsis de l’Inde qui placent les corps des enfants, des hommes et des femmes dans trois étages concentriques de cases superposées. Lorsque les vautours ont convenablement nettoyé les corps exposés dans « la tour du silence », ils recueillent précieusement les ossements qui sont remis à la famille du mort. Nombre de peuples ont mangé les cadavres de leurs ennemis tués à la guerre et même les corps de leurs plus proches parents. Certains avaient même soin de les tuer avant qu’ils ne soient trop vieux ou débilités par la maladie. Cette anthropophagie d’un genre spécial n’avait, à leurs yeux, rien de criminel ; au contraire, les victimes, vieillards et malades, envisageaient avec plaisir le moment où ils seraient immolés. Cette coutume n’excluait aucunement la piété filiale, le respect des survivants ; si l’on mangeait les morts

c’était avant tout pour s’assimiler une part importante de leurs esprits et profiter ainsi de leur sagesse et de leurs qualités.

D’autres peuples au contraire s’ingéniaient à conserver le corps tout entier en évitant, autant que possible, la putréfaction. Le mort était le plus souvent desséché à l’air libre, les intestins ayant été préalablement enlevés. Lorsque la dessiccation était complète, la momie était installée, couchée ou assise, dans une enceinte sacrée ou dans une caverne funéraire. Ces usages se pratiquent chez un grand nombre de peuples. Les habitants de l’antique Égypte avaient poussé plus loin que les autres peuples l’art de l’embaumement et l’architecture du logis funéraire : pyramides, hypogées, mastabas. Qui ne connait les préparations raffinées, les pratiques minutieuses, les travaux méticuleux qui avaient pour but d’assurer la conservation et la parure intégrale du mort : homme ou animal sacré. Ces peuples divers de la Polynésie, de l’Amérique, de l’Égypte qui s’ingéniaient à conserver si précieusement les dépouilles mortelles des leurs, s’étaient arrêtés plus longuement que les autres peuples à l’idée d’une résurrection corporelle. Ils s’attachaient à garder aux âmes absentes les formes et les organes qu’elles avaient connus et de cette croyance antique procède toute la conception de la vie future. Les soins plus ou moins efficaces données à la conservation des corps ont nécessité partout l’emploi de demeures funéraires, la construction des caveaux très variés qui presque toujours ont été ornés de sculptures, de bas-reliefs, de peintures somptueuses. Pyramides d’Égypte ; hypogées de la vallée du Nil, tertres artificiels de l’Amérique, tumulus recouvrant les dolmens et les chambres sépulcrales de l’âge mégalithique, tombeaux magnifiques des rois et des puissants chez les peuples ayant connu un certain degré de civilisation, autant d’indices que l’homme s’est partout préoccupé de la vie future. Autant de preuves qu’il s’est imaginé un au-delà mystérieux, image embellie de la vie terrestre, suprême refuge où l’on jouit des biens que l’on a pas connu ici-bas. Et qu’il s’est cramponné à ce songe avec d’autant plus d’énergie que c’est, au milieu des soucis et des revers quotidiens, un réconfort puissant, un opium intellectuel qui console en engourdissant. Plus tard, quand le sens moral fut né, que de nouveaux besoins de justice se créèrent, la vie future devint sanction de la morale ; chacun étant traité après sa mort selon ses œuvres. Hélas ! en rêvant aux délices de l’au-delà, les malheureux prennent patience et se laissent mieux tromper, plus facilement spolier ! Il est inutile d’ajouter que l’inhumation proprement dite, à même la terre, se retrouve dans tous les temps et dans tous les milieux. La crémation a été aussi largement répandue. Anciennement le culte du feu a dû en faire un acte religieux d’une importance spéciale, car l’incinération généralement réservée aux chefs, aux rois, aux puissants a coexisté avec d’autres modes funéraires.

Il nous reste à parler des pratiques et des cérémonies qui accompagnent tous les modes de funérailles quels qu’ils soient. L’homme est pour lui-même la mesure de toutes choses. C’est pourquoi la vie imaginaire d’outre-tombe est considérée comme la continuation de la vie réelle. Cette conception impose aux vivants le devoir de pourvoir aux besoins du mort. La vie ne se soutient que par la nourriture, il importe donc de nourrir les âmes. Aucun peuple ne manque à ce devoir ; tous sont convaincus que les mânes mangent les aliments déposés sur la tombe ou jetés dans le bûcher. Le plus grand nombre renouvellent même régulièrement le repas des morts. À la nourriture sont souvent joints des ustensiles de cuisines ; ustensiles que l’on brise pour que leurs âmes accompagnent celle des