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MOR
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morts. Il est également utile d’immoler sur la tombe le plus grand nombre possible d’animaux comestibles puisque les âmes ont de quoi les faire cuire. Mais il ne suffit pas seulement d’assurer les morts contre la faim et la soif. Il faut aussi leur éviter le froid et la chaleur. Il faut donc les vêtir et les chausser. Les vêtements, les étoffes, les chaussures ne sont pas oubliées. Ni les peuples de l’Amérique, de la Polynésie, de la Chine, de l’Égypte, de la Grèce et de l’Europe n’ont garde de manquer à ces graves devoirs. Partant de ce principe que la vie d’outre-tombe n’est que la continuation de la vie d’ici-bas, les hommes ont de tout temps assuré aux morts le moyen de tenir leur rang dans l’autre monde. Les outils, les armes, les bijoux, les ornements d’or et d’argent et parfois des messages destinés à d’autres défunts, voisinant avec les amulettes chargées de préserver l’âme du mort, accompagnent le cadavre dans la tombe ou sont jetés sur le bûcher. Comme la propriété mobilière, individuelle, ne consistait pas seulement dans les choses inanimées, les animaux favoris, les troupeaux, les esclaves, les épouses appartenant aux morts étaient immolés sur la tombe ou brûlés sur le bûcher et leurs âmes faisaient une suite honorable à celle du défunt, s’en allant au royaume des ombres. Sur la terre entière, pendant des siècles, les funérailles ont été l’occasion de véritables hécatombes. Les « sutties » de l’Inde sont assez connues pour que nous citions d’autres exemples. Heureusement que de tels usages n’étaient pas à la portée du vulgaire, car le globe eût été dépeuplé en l’honneur des morts. Ces rites compliqués et cruels, ce luxe de cérémonies sanglantes, d’hécatombes animales et humaines étaient le seul privilège des puissants et des riches. Jadis, comme aujourd’hui, l’inégalité régnait après la mort comme pendant la vie. Les petites gens ont toujours été privées de ce qui était nécessaire aux morts de condition.

Nous venons de passer brièvement en revue les divers modes de funérailles en évoquant les cérémonies qui les ont accompagnés. Aujourd’hui le culte des morts est toujours aussi puissant que par le passé. Si les funérailles modernes se marquent par plus de simplicité ; si elles ne s’entourent plus, comme jadis, de rites majestueux, de cérémonies grandioses, les hommes n’en ont pas moins conservé tout le côté commémoratif et symbolique. Actuellement quand nous attachons au char funéraire l’uniforme, l’épée, les décorations du mort, nous imitons le primitif qui place près du cadavre les armes favorites du défunt. Nous ne sacrifions plus les femmes et les esclaves du mort, mais les pleureuses à gages les remplacent. Le pain et la boisson que les peuples antiques posaient sur les tombes sont devenus le viatique chrétien ; les provisions de voyage, jadis déposées dans le cercueil, sont avantageusement remplacées par le pain eucharistique que le prêtre administre aux mourants. Et le sacrifice de la messe, offert à l’âme du mort peut être considéré comme l’équivalent des sanglantes cérémonies que célébraient les sorciers cherchant à garantir aux âmes les faveurs des divinités d’outre-tombe ! Mais ce culte du cadavre qui persiste, tenace et inutile, nous a conduit au culte des erreurs. En adorant les morts nous nous ingénions à conserver, à perpétuer leurs croyances. Nous conservons d’eux les enseignements moraux, les préjugés antiques, nous en avons les tares et les qualités. Pour peu que l’un d’eux ait été illustre, ses enseignements nous sont soigneusement conservés, même s’ils sont en contradiction avec les faits les plus positifs. La mémoire des morts, leurs faits, leurs gestes obstruent le cerveau des survivants. L’histoire ne nous cause d’ailleurs que de ceux qui ne sont plus et qui, lorsqu’ils étaient, étaient la plaie de l’humanité ! Les morts de la dernière guerre préparent la tombe de ceux qui feront la prochaine. Et il en est ainsi dans

tous les domaines. Les morts nous conduisent, nous dominent. Par le legs, précieusement recueilli, de leur morale de leurs croyances, de leur foi ! Culte des antres, des morts et des vivants, des conquérants, des rois et des empereurs, des hommes et des femmes divinisés ; droit divin, théocratie, légende de conquêtes, principe d’autorité infaillibilité papale, autant d’anneaux d’une gigantesques chaîne qui rattache les hommes civilisés aux sauvages et aux primitifs. L’explication animiste du problème funéraire a été étendue par l’homme à tous les actes des êtres qui agissent et des choses qui n’agissent pas. C’est par la mort que l’homme a commencé l’étude de la vie et il s’est donné, en même temps que des dieux, des maîtres spirituels ! Il s’est incliné en tous temps et en tous lieux devant les enseignements des morts. Ce sont eux qui ont réglementé la vie, et qui, hélas ! la réglementent encore. Quand nous nous découvrons devant un enterrement nous ne saluons pas la mémoire d’un homme, non, nous perpétuons, par notre geste, la somme immense des mensonges et des erreurs que l’homme a soigneusement conservés depuis le jour où les premiers anthropoïdes humains se sont imaginés qu’ils étaient immortels. – Ch. Alexandre.

MORT (Culte des morts). — Les hommages rendus aux morts sont parmi les coutumes les plus enracinées, les préjugés les plus tenaces. L’esprit d’imitation, la superstition, le souci de l’opinion, l’hypocrisie, l’intérêt et maints autres mobiles assurent aux grimaces mortuaires une vitalité que le ridicule même n’a pu réduire. La presque totalité de nos contemporains continue à s’y plier avec une docilité qui ne fait guère honneur au courage et au jugement humains. Plus encore que « l’immoralité » qui préside aux accouplements bénis et légalisés, celle qui fait cortège au trépas s’avère d’une fidélité qui ne souffre que d’infimes dérogations. Si l’amour s’affranchit parfois des autorisations rituelles, il est peu de foyers où la mort ne s’entoure d’un appareil carnavalesque. On connaît, sur le mariage, la satire mordante et colorée de Chaughi. En quelques pages vigoureuses, claires et délivrées de toute réticence, Girault et Libertad ont montré à la fois le vide, le grotesque et l’odieux du cérémonial dressé autour de la dépouille humaine…

C’est chaque jour que de telles scènes se déroulent sous nos yeux et il n’est guère de personne auprès de qui nous n’ayons à dénoncer l’emprise de gestes aussi surannés qu’ils sont faux ou absurdes. Ne manquons pas d’opposer au conventionnel funéraire quelques arguments sans répliques, arguments de bon sens, de science et de raison. On ne balaiera jamais assez tôt les miasmes de toute nature qui salissent la simplicité de ce changement naturel qu’est la mort…



« Respect aux morts ! Telle est la formule universelle clamée à l’envi par les libres-penseurs, les socialistes, voire par certains anarchistes. Formule religieuse cependant, formule spiritualiste dont se servent indistinctement les plus rouges et les plus noirs quand ils s’écrient sur la tombe du défunt : « Repose en paix ! – Emporte en ta dernière demeure… – si tu nous entends… – Je t’envoie un dernier adieu… – Sois persuadé, ô regretté Tartempion… – Écoute une dernière fois… », etc., etc.

Qu’y a-t-il de plus ridicule et de plus grossier que cette mascarade à l’occasion de la désagrégation d’un être organisé, d’un individu quelconque ? Est-ce que vous promenez en grande pompe l’enfant qui vient d’apparaître à la vie ? Il y aurait là plus de logique, il me semble, car la mort est triste et laide, tandis que