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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/346

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MOU
1690

l’indépendance des effets des forces, entrevu par Galilée, il devient possible de construire tout l’édifice de la mécanique traditionnelle. Mais cette dernière repose sur la notion euclidienne d’un espace absolu, homogène et isotrope, dont tous les points, dans toutes les directions, possèdent des propriétés identiques, immuables et indépendantes des corps voisins. Or ces propriétés de l’espace n’apparaissent plus certaines aux yeux des savants actuels : « la mécanique classique, remarque Einstein, est incompatible avec les lois de l’électromagnétisme » ; ses formules ne valent que pour les phénomènes de l’expérience ordinaire. Soit a la vitesse dont l’observateur A est animé et b la vitesse dont le véhicule B, qui le transporte, est animé dans la même direction. La somme a + b représentera la résultante de ces deux mouvements d’après la mécanique traditionnelle ; et ceci est vrai pour les faibles vitesses dont nous disposons dans la vie courante, même celle de l’avion le plus rapide. Mais s’il s’agit des vitesses atteintes par les corpuscules cathodiques ou les rayons B (bêta) du radium, la formule applicable est la suivante (v représentant la vitesse et c la vitesse de la lumière) :


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En donnant une valeur de 150.000 kilomètres par seconde à a et b respectivement, nous obtenons 300.000 kilomètres d’après la première formule et 240.000 d’après la seconde.

Comme l’espace, le temps devient relatif, aux yeux d’Einstein ; il dépend de l’observateur et se voit dilaté par la vitesse. Que deux observateurs immobiles M, N possèdent un bâtonnet inflammable, dont la durée de combustion est normalement d’une minute, soit m et n, et que N prenne place dans un véhicule qui tourne, à une vitesse de 260.000 kilomètres par seconde, autour de M resté au centre, ce dernier remarquera que la combustion de n dure deux minutes, celle de m une seule. « L’espace et le temps dépendent de l’observateur en chaque point de l’univers sensible, de sorte qu’aucun événement physique ne peut s’exprimer indépendamment du temps. » Aux trois coordonnées habituelles permettant de définir un point, il est indispensable d’ajouter le temps écoulé depuis un « événement » origine. L’écart entre la vitesse de la lumière, qui parcourt 300.000 kilomètres à la seconde, et l’immobilité, soit partielle soit absolue, d’un objet quelconque, voilà ce qui nous donne la mesure du temps scientifique. Espace en soi, temps en soi doivent être remplacés par l’harmonieuse union des deux, associés dans un rythme commun, l’espace-temps, qui englobe la totalité des événements. Quant à l’espace, ou ensemble des événements simultanés, c’est à tort qu’on le considère comme infini ; Einstein nous le montre pareil à une sphère monstrueuse de plus d’un milliard de millions de kilomètres. Pour se produire, la simultanéité exige un même système de référence : « deux événements simultanés pour un observateur donné, ne sont pas simultanés pour un autre observateur en mouvement par rapport au premier ».

Au lieu d’être une action à distance presque instantanée, comme le pensait Newton, la gravitation se propage avec la vitesse de la lumière. Énergie et masse s’identifient ; et les vieux principes se trouvent profondément modifiés. Le relativisme, en montrant la faible portée de la mécanique classique, ouvre à nos esprits des horizons insoupçonnés. La thermodynamique avait déjà accompli un premier pas dans cette direction ; la méthode énergétique continua mais en restant purement descriptive ; elles cèdent aujourd’hui le pas au cinétisme électromagnétique. Joule avait mis en lumière

les relations invariables et mathématiquement évaluables qui existent entre le travail mécanique et la chaleur. Ce qui se perd d’un côté se retrouve de l’autre bien qu’il s’agisse de qualités différentes. D’où la grande loi de l’Équivalence, étendue par la suite à l’ensemble des phénomènes dynamiques et qui aboutit au principe de la Conservation de l’Énergie. Mouvement mécanique, chaleur, électricité, lumière, etc., ne sont plus que les modalités d’une même réalité constitutive de l’univers, l’Énergie. Mais s’il est vrai que, dans un système fermé, cette dernière ne peut que prendre des formes différentes, en quantité équivalente, sans être créée ni disparaître, les travaux de Carnot complétés par Clausius ont conduit par ailleurs à admettre le principe de sa dégradation. Dans un système physiquement isolé, l’énergie utilisable devient finalement nulle, alors que l’énergie totale reste constante. Car une énergie de forme quelconque tend à se transformer en chaleur ; et la chaleur constitue de l’énergie dégradée en ce sens que, dans un cycle réversible et continu, elle ne peut restituer sa capacité originelle de travail. Les conséquences tirées du principe de Carnot conduisirent les physiciens à concevoir l’univers sur le type d’une machine à feu et non comme le résultat de mouvements exclusivement mécaniques ; jointes aux découvertes opérées dans le domaine électromagnétique, elles devaient aboutir à la théorie électromagnétique de la matière, qui dans ses grandes lignes s’accorde avec la doctrine de relativité.

Mais avant de pousser plus loin, il importe de relever les sophismes débités par les écrivains religieux concernant la dégradation de l’énergie. Quittant le domaine expérimental pour s’égarer dans celui des fantaisies métaphysiques, ils prétendent en effet que ce principe requiert impérieusement la croyance en un dieu créateur. Voici ce que déclare l’abbé Moreux, astronome à l’eau de rose dont la partialité insigne fait la joie des dévotes et des sacristains, sa clientèle préférée ; depuis qu’elle s’est convertie au catholicisme la grande presse fait passer ce charlatan grotesque pour un savant digne d’être écouté : « On a prétendu, affirme cet esprit superficiel, que le mouvement a existé de toute éternité. Mais nous savons d’autre part, à n’en pas douter, que l’énergie mécanique utilisable diminue sans cesse, et c’est précisément la raison pour laquelle l’Univers tend vers un état final où toute l’énergie sera dégradée, comme on dit en Mécanique ; c’est-à-dire qu’il arrivera un moment où toute cette énergie utilisable sera employée ; si donc cette énergie durait depuis une infinité de temps, le monde serait déjà arrivé à cet état final, ce qui n’est pas, évidemment… Le mouvement constaté dans le monde actuel a nécessairement commencé. La matière, à un moment donné, à l’origine des temps, a reçu le mouvement d’un être extérieur à elle et qui le lui a donné : nier cette proposition, c’est, bon gré mal gré, vouloir se mettre en désaccord avec les principes les mieux établis de la Science moderne. Car encore une fois, rien ne se fait sans cause, et, en résumé, si nous constatons du mouvement, comme ce mouvement a forcément commencé, il faut nécessairement une cause qui l’ait fait naître. » Il est heureux, pour l’écrivassier en jupon, que ses lecteurs habituels soient des esprits bornés, qu’on éblouit facilement ; affirmations saugrenues, mensonges intentionnels pullulent dans un pareil morceau ; et la saine logique ne permet pas d’admettre que tout ayant une cause il existe pourtant un être qui n’en a pas (le dieu non-causé des croyants). Un devenir sans fin, telle est la seule conclusion légitime qui découle du principe d’universelle causalité. Mais, délaissant tout le reste, plaçons-nous sur le terrain de la science exclusivement. Le principe de la dégradation de l’énergie vaut seulement pour un système isolé. Est-ce le cas du globe terrestre ? Non, puisqu’il reçoit constamment de l’énergie venue des astres,