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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/349

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MOU
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même signe. Dans les processus vitaux essentiels : absorption, assimilation, immunisation, etc., l’adhésion moléculaire qui fixe un sel ou un colloïde sur un autre colloïde, comme l’adhésion physique retient les gaz à la surface des solides, joue un rôle essentiel. Ainsi la vie s’avère la résultante des processus physico-chimiques dont les complexes colloïdaux sont le siège et non une propriété ou un ensemble de propriétés irréductibles à des éléments connus. Si nous examinons un organisme compliqué, les manifestations vitales donnent, de prime abord, l’impression d’appartenir à un ordre de phénomènes particuliers, n’ayant qu’un lointain rapport avec ceux qu’étudient les sciences de la matière inanimée. Mais si on les analyse avec précision, on doit convenir que, malgré leur complexité extrême, ces processus ne dissimulent aucun élément étranger soit à la physique, soit à la chimie.

La fécondation elle-même, l’une des plus mystérieuses manifestations de la vie, se ramène à des procédés strictement physico-chimiques. C’est à un accroissement d’oxydation probablement que la cellule primitive doit de se multiplier rapidement pour constituer l’embryon ; et, dans certaines espèces, le rôle de l’agent qui féconde se borne à dissoudre la couche corticale de l’œuf, afin de permettre cette oxydation accrue. En fait, des œufs d’oursins, d’étoiles de mer, de grenouilles ont pu être fécondés sans aucune intervention du mâle par des procédés purement chimiques ou physiques. Ils se sont développés jusqu’à un stade avancé et même jusqu’à complète maturité. Ayant laissé quelque temps des œufs d’oursins dans de l’eau de mer additionnée de sel, puis les ayant replacés dans de l’eau de mer ordinaire, Loeb vit éclore des larves chétives, qui mouraient avant leur évolution définitive, d’une façon générale. Il se persuada que la membrane vitelline, qui se forme autour de l’œuf normalement fécondé, possède un rôle chimique ; par le moyen d’un acide gras, il provoqua la formation d’une membrane artificielle. Et dès lors les larves obtenues avec des œufs vierges furent aussi viables et aussi bien constituées que celles qui résultent des œufs fécondés par un mâle. Bataillon se borne à percer la couche corticale des œufs de grenouilles avec une aiguille, pour en provoquer le développement. C’est encore à des procédés d’ordre physico-chimique : oxydation, osmose, diosmose, etc., que se ramène le processus de croissance de l’embryon. Et c’est eux, pareillement, qui expliquent la multiplicité des espèces tant animales que végétales. Pour des raisons qui n’ont généralement rien à voir avec la science, le transformisme fut attaqué de divers côtés, ces derniers temps. Bien en vain ; Rabaud, un biologiste officiel pourtant, n’hésite pas à le déclarer. « Malgré les oppositions qu’il suscite périodiquement et qui sont presque toujours guidées par des considérations extra-scientifiques le transformisme (voir ce mot) est et reste la seule théorie utile et féconde, à la fois parce qu’il rend compte des faits sans les déformer ni les mutiler, et parce qu’il anime la recherche. Sans doute la théorie, telle qu’elle est sortie des travaux de Lamarck, de Darwin et de leurs successeurs immédiats doit subir des retouches ; mais l’idée centrale et le fait fondamental demeurent, que tout contraint d’accepter. La recherche rigoureuse, indépendante de toute idée préconçue, conduit à un enchaînement de faits, qui montre les êtres vivants se dégageant les uns des autres, de toutes les manières et dans de multiples directions, sous l’influence des actions directes qui s’exercent sur eux. » Lamark expliquait l’évolution par une adaptation du vivant au milieu, Darwin, par la lutte pour la vie et la sélection naturelle. C’était le début des explications mécanistes ; aujourd’hui, grâce surtout à de Vries, l’interprétation physico-chimique du transformisme a fait d’immenses progrès. Ses recherches ont montré que des changements s’opèrent non par une lente évolution, mais par

des transformations brusques, des mutations. Comme il existe des séries chimiques qui diffèrent d’un seul coup, grâce à un groupe d’atomes, il existerait des séries biologiques différentes entre elles, grâce soit à un groupe de colloïdes, soit à la position dans le complexus vivant de ce groupe de colloïdes. De Vries rencontra des Œnanthères ou Onagres, aux formes absolument anormales, dans un champ abandonné depuis dix ans. Il utilisa ces plantes monstrueuses et obtint des espèces nouvelles à caractères fixes. On put dès lors classer parmi les mutations brusques, certains faits, connus jusque là sous le nom de jeux de la nature et dont plusieurs étaient célèbres : par exemple le fraisier à feuilles simples de Duchesne, le mouton loutre né dans le Massachusetts en 1791 et qui fit souche d’une espèce nouvelle, l’homme porc-épic né en, en Angleterre, dont les enfants et petits-enfants furent dotés, comme lui, d’une carapace hérissée de piquants. Depuis de Vriès de nombreuses variations de même genre ont été découvertes dans le règne végétal, et quelques-unes dans la série animale. L’observation démontre que l’action du milieu, les traumatismes, les infections, tout ce qui modifie le chimisme intérieur de l’être en général, favorisent l’apparition de ces changements transmissibles par hérédité. Et dès lors l’expérimentation devient possible, dans ce domaine qui parut si longtemps fermé à l’interprétation physico-chimique.

Les mœurs mêmes des animaux, leurs réflexes, leurs instincts, ce qu’on dénomme aujourd’hui leur comportement, auraient pour origine une excitation physique ou chimique, d’après la théorie des tropismes. Directement ou indirectement leurs mouvements seraient liés, en dernier ressort, à des influences extérieures. C’est d’une action photo-chimique que résulterait la tendance de certains animaux comme de certaines plantes à se diriger vers la lumière. Lorsqu’on observe, non plus en poète comme Fabre, mais en savant, les merveilles de l’instinct, on remarque combien énorme le rôle des tropismes, combien illusoire la prescience que les spiritualistes y découvrent si volontiers. « Si l’on place côte à côte, écrit Loeb, un morceau de viande et un morceau de graisse du même animal, la mouche (commune) déposera ses œufs sur la viande sur laquelle les larves peuvent vivre, et non sur la graisse où elles périraient de faim. Nous avons affaire ici à l’action d’une substance azotée volatile, qui détermine par réflexe les mouvements de ponte des œufs chez la mouche femelle ». Les piqûres paralysantes de certains insectes, qui semblent impliquer des connaissances anatomiques invraisemblables, résultent seulement d’une luminosité invisible pour nous, ou d’une sensation olfactive dénotant la présence du liquide rachidien dans telle et telle partie du corps de la victime. Pour se documenter sur le réflexe instinctif nous renvoyons le lecteur au bel article de Stephen Mac Say sur l’Instinct.

Dans le mendélisme, il faut voir de même un effort heureux pour introduire le probabilisme mécanique et le jeu des lois physico-chimiques, en matière d’hérédité. Un moine tchécoslovaque, dont les contemporains n’apprécièrent pas le mérite, Johann Gregor Mendel, fut le premier auteur de cette doctrine qui arracha au caprice divin un domaine où il régnait, jusque là, sans conteste. De Vries, Correns, Tschermard, qui redécouvrirent séparément, vers 1900, la théorie mendélienne, restée inconnue ou presque du monde savant, lui ont fait attribuer la place qu’elle mérite. Son principe essentiel peut se formuler de la sorte : « Si nous croisons deux formes qui ne diffèrent que par un seul caractère, tout hybride issu de cette union forme en nombre égal deux espèces de cellules sexuelles, deux espèces d’œufs si c’est une femelle, d’agents fécondants si c’est un mâle. L’une des espèces est de type