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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/350

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MOU
1694

purement paternel, l’autre de type purement maternel. » Par une simple application des lois de la probabilité mathématique, qui commandent les combinaisons possibles, on pourra donc, en partant d’un couple primaire, déterminer la distribution des caractères de variation dans la lignée. Des expériences faites dans le règne végétal, croisement de pavots pourvus d’une tache noire, à la base des pétales, et de pavots pourvus d’une tache blanche par exemple, et aussi dans le règne animal, croisement de souris noires et blanches, etc. ont pleinement vérifié les résultats prévus grâce au calcul des probabilités. Le sexe n’échappe pas à la loi mendélienne. Dès aujourd’hui la technique qu’elle inspire permet d’aboutir à des résultats remarquables dans le monde des végétaux et des animaux ; cette technique jouera un rôle de premier plan, quand les hommes, gagnés par les incontestables avantages de l’eugénisme rationnel, (voir naissance) se décideront à l’appliquer à eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, là encore, le merveilleux cède la place à une explication d’ordre mécanique. Dès que ses recherches deviennent assez profondes, la biologie permet de rattacher les phénomènes vitaux les plus compliqués à de simples processus physico-chimiques. Que les théories d’aujourd’hui cèdent la place à d’autres dans un avenir prochain, qu’importe ! Si nous ne possédons pas la vérité totale, du moins nous progressons vers une lumière sans cesse accrue. Et déjà il appert que les fables théologiques, que les explications brumeuses des métaphysiciens ne conviennent plus à l’humanité sortie de ses langes. Pour le penseur moderne, l’univers n’est qu’un vaste théorème où de nombreuses inconnues subsistent mais où tout se réduit en définitive à l’énergie, au rayonnement.

La vie mentale n’échappe point à cette loi générale, puisque la conscience psychologique requiert le mouvement pour naître et qu’elle disparaît toujours avec lui. Nulle activité psychique ne se manifeste hors des organismes vivants ; et c’est de la richesse du système nerveux que dépend la richesse de la pensée. L’on peut poser en principe que la mentalité d’un être sera d’autant plus obtuse que ses mouvements seront moins nombreux, moins variés. Assurément il n’existe pas de rapport simple entre le degré d’intelligence et la quantité de matière cérébrale ; les spiritualistes crurent à tort que le triomphe de leur doctrine était définitif parce que l’intelligence d’un homme n’est pas toujours proportionnelle au poids de son encéphale ou parce que les moutons, espèce assez sotte, possèdent un cerveau très riche en circonvolutions. Ils oubliaient que le perfectionnement des cellules, la qualité de la substance grise, sa composition chimique, etc, sont plus importants encore et qu’ils suffisent à expliquer toutes les anomalies apparentes. Conditionnée par les innombrables vibrations et oscillations des cellules nerveuses, la vie mentale de l’homme est nettement supérieure parce que les six cent millions de cellules et, les milliards de tentacules qui constituent son système nerveux central assurent à ses mouvements cérébraux une étendue et une puissance que l’on ne rencontre dans aucune autre espèce animale. Mais, pour une raison identique, il y a plus de différence entre le psychisme du chat et celui d’un ver qu’entre le psychisme des singes anthropoïdes et celui des sauvages d’Australie. Lorsqu’on a ainsi contemplé les mécanismes secrets, dont dépendent les scènes qui, sans fin se jouent sur le théâtre de l’univers, les conceptions d’un Bergson font sourire, malgré les comparaisons poétiques et le feu d’artifice des jolies phrases, qui dérobent au lecteur le vide obscur de leur contenu. – L. Barbedette.


MOUVEMENT SOCIAL — La définition exacte de cette locution : « Mouvement social » est assez délicate et imprécise. Dans son sens complet, elle signifie tout ce

qui comporte un changement, une transformation, une évolution ou une révolution dans la constitution de la société, ainsi que l’activité des classes ouvrières… Il embrasse donc toute la vie sociale dans ses multiples formes, ses nombreux organismes, et ses perpétuelles transformations.

Le déterminisme est aussi vrai sur le terrain social que dans tous les autres domaines des connaissances humaines. Une découverte scientifique mise en pratique industriellement, une machine inventée, une nouvelle méthode de travail, ont des répercussions (plus ou moins étendues et profondes suivant leur importance) sur la vie économique, et par contre-coup sur les modalités et la constitution des organismes sociaux et sur les conditions d’existence des populations.

La découverte ou la mise en exploitation de nouveaux territoires ou de nouvelles richesses minières, provoquant la naissance, en certains pays, d’une agriculture, d’une industrie, d’un commerce, entraîne des modifications dans les positions économiques, commerciales, financières et autres des peuples. Elle pose de nouveaux problèmes sociaux et transforme les anciens.

La formations de groupements financiers : trusts, cartels consortiums, organisations capitalistes, aussi bien que la création de groupements ouvriers (syndicaux, coopératifs ou autres), ont pour résultat de déterminer dans la société de nouveaux courants, et de créer une nouvelle situation sociale.

Les systèmes de gouvernement et d’administration publique, la forme des gouvernements, la constitution et la transformation des patries, etc., tout ce qui, dans un régime, ébranle des mouvements regardés comme proprement politiques, ont aussi avec le social, des rapports plus ou moins étroits. Ils peuvent le faire dévier, le pousser dans telle ou telle autre voie, le réfréner ou l’accentuer.

Les croyances religieuses, politiques, philosophiques et autres ont également une portée considérable sur la vie sociale. Sous l’emprise d’une religion, un peuple ne se comportera pas comme une population en grande partie libre-penseuse, même si les conditions économiques sont les mêmes. Parmi les fondements des sociétés, les bases psychologiques (croyances, préjugés, traditions, etc.) tiennent une place de premier plan. Et cela explique les fortes dépenses consenties par les castes régnantes et exploitantes pour maintenir les castes pauvres dans un état d’esprit propre à conserver leur règne. Les grandes secousses sociales ont toujours été précédées d’une lutte idéologique acharnée. Voltaire, J, -J. Rousseau, les Encyclopédistes ont préparé la révolution française de 1789.

C’est une erreur profonde des purs marxistes de croire que comptent seules les formes économiques, malgré leur importance, peut-être primordiale. Méconnaître les conditions psychologiques est une grande faute qui peut aboutir à de graves mécomptes. L’évolution des méthodes de production a été formidable durant ces cinquante dernières années ; le rendement du travail a été intensifié dans des proportions colossales, mais la constitution de la société n’a point accompagné cette transformation, parce qu’il a manqué une évolution morale correspondante, parce que les populations ouvrières demeurent imbues des vieux préjugés de hiérarchie, de soumission, d’infériorité.

L’exemple de la Russie nous a montré qu’il ne suffit point, à la faveur d’événement favorables, de se rendre maître de l’organisation politique et de commander aux rouages économiques d’un pays. Tant qu’une mentalité nouvelle ne s’y est pas développée, il est impossible d’y instaurer – profondément et durablement – un régime social nouveau. Les ambitions de ceux d’en-haut, la résignation séculaire de ceux d’en-bas, tendent à ramener rapidement, après la secousse,