L’argument massue de ceux qui n’acceptent pas la loi du nombre (voir ce mot) est le suivant : en principe, ce sont toujours les minorités qui ont raison, qui représentent le progrès et se rapprochent le plus de la vérité. S’il n’est pas sans valeur, il est cependant exagéré de dire que les minorités ne peuvent se tromper, tout comme les majorités. L’argument n’est donc pas irrésistible. Il n’a point une valeur absolue.
Et puis, il y a presque toujours au sein d’une collectivité quelconque, dans un groupement, dans une assemblée, deux sortes de minorités : l’une d’avant-garde et l’autre d’arrière-garde. La première va résolument vers l’avenir. La seconde reste encore attachée au passé, qu’elle ne juge pas entièrement révolu.
Ces deux minorités encadrent le plus souvent un centre qui cherche sa voie et regarde tantôt en avant, tantôt en arrière. Pendant que la première cherche à entraîner la masse centrale, la seconde fait office de frein modérateur.
C’est cette double action en sens contraire qui donne au centre, au groupement une certaine stabilité. Selon que l’une ou l’autre est prépondérante le groupement avance, piétine, ou même recule. Leur action alternée assure en quelque sorte, l’équilibre et la majorité exprime une opinion qu’on peut qualifier de moyenne, qui tend à accepter l’avis de la minorité d’avant-garde tout en tenant compte des craintes ou des arguments de la minorité d’arrière-garde.
Il n’est pas douteux, cependant, que si la minorité d’avant-garde persévère dans son action, le centre se déplacera vers l’avant et que la minorité d’arrière-garde devra suivre bon gré mal gré, la marche vers l’avant, vers le progrès. Il importe donc que le moteur soit plus actif que le frein.
S’il en est ainsi, la minorité d’avant-garde deviendra à son tour majorité. Elle donnera naissance, un jour, à une nouvelle minorité qui agira comme elle ‒ c’est la loi inflexible de l’évolution ‒ jusqu’au moment où tous les individus seront suffisamment évolués pour décider de tout par consentement général et mutuel. Ce stade ne sera sans doute atteint que dans des temps très éloignés.
La loi du nombre me semble, pour longtemps, très difficile à remplacer. Si tout le monde, dans un groupement quelconque, est d’accord, tant mieux ; mais, si un seul participant ou associé s’oppose à l’avis de tous, on sera dans l’obligation de faire appel à la loi de la majorité. Et cette majorité aura, alors, pour devoir impérieux de passer outre, d’accomplir la tâche qu’elle reconnaîtra indispensable ou même simplement nécessaire. Si elle ne le faisait pas, elle manquerait à tous ses devoirs.
Il n’y a qu’un seul cas dans lequel il ne peut être question de majorité ou de minorité : c’est lorsque la majorité prétend violer un contrat accepté par tous, passer outre à des principes qui constituent la base d’un statut dressé en commun. Dans ce cas, la minorité est gardienne du contrat, du statut, et la loi de la majorité ne saurait s’exercer. Pour qu’elle puisse jouer à nouveau librement, normalement, il faut : ou que la majorité revienne au respect du contrat et accepte de délibérer dans le cadre des principes qui en forment la base ou que les associés aient, au préalable, modifié de plein gré et unanimement le contrat.
Il se peut encore qu’une majorité réellement clairvoyante et bien inspirée, soucieuse d’équilibre et mesurant nettement la portée de ses actes, ait affaire à une minorité désireuse d’aller toujours en avant sans se rendre compte des difficultés à surmonter. Dans ce cas la majorité doit s’efforcer de convaincre la minorité sans la brimer, de lui démontrer que le développement intellectuel des associés et la capacité de réalisation de leurs organismes économiques ne permettent pas
À moins que la minorité ne soit composée d’ignorants, de démagogues ou de fous, elle se rendra compte que la marche en avant, dans de telles conditions, se traduirait en réalité, et finalement, par un recul certain. Elle acceptera donc le point de vue de la majorité et joindra ses efforts aux siens. Cette éventualité est probable en période révolutionnaire. ‒ Pierre Besnard.
MAL. n. ou adj. masc. (du latin : malum). Le Mal représente l’ensemble de ce qui est nuisible, désavantageux, douloureux, pénible, préjudiciable, difforme, ou incomplet, dans un domaine quelconque. C’est l’opposé du Bien (voir ce mot), qui représente le bonheur, la perfection, l’équilibre, l’harmonie, la joie, le plaisir, la satisfaction. Le Mal existe-t-il dans l’univers indépendamment de la volonté des hommes ? Évidemment oui, puisque l’on y observe, d’une façon permanente, la souffrance, non seulement inutile, mais encore imméritée, pour un nombre incalculable d’êtres doués de sensibilité, dont rien ne justifie la triste situation, si ce n’est l’injustice profonde d’un aveugle destin ! Quoi qu’en disent les théologiens, la permanence de la souffrance dans le monde demeurera toujours, à l’égard des probabilités d’existence de leur Dieu « infiniment bon, juste et aimable », l’argument majeur, contre lequel se révèlent impuissants les plus habiles sophismes. Alors que des humains, qui sont loin d’être parfaits moralement, et n’ont aucune prétention à la sainteté, se précipitent spontanément au secours de personnes en détresse, non seulement sans espoir de récompense, mais encore parfois au péril de leur vie, comment supposer qu’un Être Suprême, pouvant tout, sans risque, ni effort, puisse demeurer indifférent au spectacle des tortures qui résultent de l’insuffisance de sa propre création ?
Les théologiens affirment que le Mal provient du péché originel, c’est-à-dire de la faute commise par Adam et Ève, lorsqu’ils désobéirent à Dieu dans le Paradis terrestre. Mais, en admettant que cette faute eût été digne d’un châtiment sévère, comment peut-on concilier, avec une élémentaire équité, la décision divine de faire supporter, à un nombre indéfini d’innocents les conséquences des erreurs commises par leurs premiers parents, alors que ces innocents n’avaient même point encore fait leur apparition dans le monde ?
Les théologiens affirment aussi que Dieu respecte la liberté des hommes, même lorsqu’ils font le mal, et que les maux dont souffrent ces derniers proviennent de leurs méfaits. Mais c’est ne vouloir considérer que la liberté des méchants, qui sèment autour d’eux le deuil et la douleur, sans prendre en considération celle de leurs victimes. Car, lorsqu’il y a meurtre, par exemple, si l’on peut arguer de la liberté du meurtrier d’accomplir, ou de ne pas accomplir, son forfait, peut-on prétendre que de mourir, à ce moment, de mort violente soit, pour la victime, le résultat de son libre choix ? Aucun croyant n’oserait, dans aucun tribunal d’aucun pays civilisé, s’il y était juré, lorsque se trouve condamné par contumace un criminel en fuite réclamer que soit, à la place de ce criminel, livré au bourreau son enfant en bas-âge. Aucun croyant n’oserait pour essayer, de justifier sa lâcheté, prétendre qu’il laissa, malgré ses plaintes et ses appels au secours violenter une fillette par une brute, sous prétexte de respect de la liberté de cette brute de satisfaire ses instincts. D’où vient donc qu’il n’est aucun croyant qui ne se prosterne devant l’autel élevé à la glorification de l’Être auquel se trouve attribué, par les fidèles eux-mêmes, une moralité, ou plutôt une absence de moralité, dont tous ils auraient honte, s’il leur en était fait un grief personnel.
Il est des milieux spiritualistes dans lesquels on tient un autre langage : Concevant toute l’absurdité qu’il