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compte personnellement ; tout est disposé pour agir avec force sur l’imagination, et l’on amène des milliers de malades afin que, dans le nombre, quelques-uns soient prédisposés par leur constitution nerveuse à recevoir le choc efficace ! Tant pis si le chiffre des morts est de beaucoup supérieur à celui des guéris, pendant les pèlerinages ; les prêtres n’en ont cure, pourvu qu’ils fassent des dupes et récoltent de l’argent. Lorsqu’il s’agit de tromper l’électeur rétif, nos politiciens savent, eux aussi, manier la suggestion : affiches, journaux, réunions, leur permettent de lancer des formules qui engendrent l’espoir ou la peur. On se souvient de l’effet produit, en 1919, par la crainte de l’homme au couteau entre les dents et du résultat obtenu, en 1924, par les promesses du cartel. Chaque fois le peuple s’y laisse prendre, malgré des déconvenues successives lui faisant dire, aux heures de colère, qu’il a fini de croire aux boniments des candidats. Inutile d’ajouter que, dans les assemblées législatives, corruption et chantage s’exercent plus facilement que si l’on doit atteindre l’ensemble du pays. D’où les continuelles trahisons des élus à l’égard de leurs électeurs, et l’infecte cuisine tripotée, dans les couloirs des Chambres, par les grands manieurs d’argent.

Même si tous les élus étaient d’une probité rigide et tous les électeurs pleinement éclairés sur les conséquences de leur choix, le règne de la majorité deviendrait-il, pour autant, légitime ? Non, car aucun homme ne doit obéissance au voisin. Ni la fortune, ni l’hérédité, ni l’intelligence, ni les suffrages de ses concitoyens, rien ne donne, à quiconque le pouvoir moral de commander celui qui veut rester autonome. On répond, il est vrai, par l’hypothèse d’un contrat ou d’un quasi-contrat, né, sinon de la volonté directe des hommes du moins de nécessités matérielles qui conduisent à l’accepter. L’état naturel serait le règne de la violence, la lutte de tous contre tous ; mais comme la paix s’affirmait préférable à la guerre, les hommes s’engagèrent de bonne heure à respecter réciproquement leur vie, leurs biens, etc. Pour veiller à l’observation du pacte, ils instituèrent une autorité supérieure, l’État. Et voilà pourquoi tous doivent obéissance à l’autorité, qu’elle se transmette héréditairement, comme au Japon, ou qu’elle sorte de l’urne électorale, comme dans les républiques. D’après ce pacte toujours, les citoyens ayant déclaré se soumettre aux lois édictées par le plus grand nombre, il en résulte que la minorité a le devoir d’obéir dans les pays démocratiques.

L’étude des sociétés primitives infirme absolument cette manière de voir ; c’est la force ou la ruse, non l’intérêt collectif, qui donna naissance à l’autorité. Tous les sophismes propagés sur ce sujet viennent d’une confusion malheureuse entre l’association et l’autorité, la société et le gouvernement. Que l’association soit favorable au développement des individus, c’est vrai en général ; que la société, requise par la division du travail, soit condition du progrès, au moins matériel et scientifique, la chose est indéniable. Mais qu’un homme ou qu’un groupe s’érige en maître des corps et des esprits, voilà qui cesse d’être naturel et acceptable. Pour rester juste l’association doit combiner l’entraide et l’indépendance ; la société dégénère en tyrannie dès qu’elle prétend contraindre les individus. Celui qui s’agrège à une entente, à une organisation est tenu de participer aux charges qui rendent ces groupements possibles, encore faut-il, en bonne justice qu’il soit libre d’y entrer et libre d’en sortir. Est-ce le cas dans nos sociétés ? Il faudrait une mauvaise foi insigne pour l’affirmer. Le fait de naître de tels parents ou dans telle région suffit pour que le bambin soit embrigadé dans un État déterminé pour qu’il devienne sujet d’un gouvernement. Et pas une parcelle de terrain habitable ne subsiste, sur le

globe, pour l’homme désireux de se soustraire aux volontés arbitraires des monarques ou des majorités ; pas un pouce de terrain pour l’indépendant qui, renonçant aux avantages de la société, vent en secouer les chaînes !

Si l’on admet que la disparition de toute autorité est un idéal encore lointain, irréalisable affirment plusieurs, du moins devrait-on reconnaître que le renforcement de l’étatisme marque une régression, son affaiblissement un progrès, dans l’ordre associatif. Il semble que Lénine, plus clairvoyant que bien d’autres, ait soupçonné, mais pour un avenir imprévisible selon lui, le triomphe des tendances libertaires, préambule obligatoire d’une ère de vraie fraternité. Ajoutons que, dès aujourd’hui, des organisations particulières, îlots perdus au sein de l’Océan, peuvent s’inspirer de cet idéal nouveau. Une sélection rigoureuse des membres rend inutile autorité et règlements ; j’en ai acquis la preuve par l’existence depuis le début de 1921, de la « Fraternité Universitaire ». Mais je sais combien différentes les formes possibles de l’association, combien malaisée, à notre époque, la vie de pareils groupements ; et je crois que de nombreuses expériences seront nécessaires avant de mettre parfaitement au point les formules associatives qui garantissent les avantages de la vie en commun, sans porter atteinte à la liberté des personnes.

Au point de vue individuel, la « majorité » désigne l’âge où quelqu’un devient capable de tous les actes de la vie civile. « La majorité est fixée à vingt-et-un ans accomplis », dit l’article 488 du Code français. On distinguait à Athènes une double majorité. La première ou majorité civile s’accordait à dix-huit ans ; après des épreuves physiques et militaires, on remettait officiellement une lance et un bouclier au candidat qui prêtait un serment à la fois patriotique et religieux. On n’arrivait qu’à trente ans à la seconde majorité ou majorité politique ; c’est alors seulement qu’on était admissible aux fonctions publiques. Inutile d’insister sur la discordance fréquemment observable entre la capacité naturelle et la capacité légale ; sur les caprices du législateur qui, sans motif valable, donne à l’un ce qu’il refuse à l’autre ; sur l’éternelle minorité de la femme dans les pays latins. Ajoutons qu’il faudrait habituer de bonne heure les enfants à l’exercice de la liberté ; j’approuve les Russes d’avoir amoindri l’autorité des maîtres, en laissant une place à l’initiative des élèves. Dans La Cité Fraternelle, j’ai raconté comment l’Université de Dôle fut administrée par les étudiants eux-mêmes, pendant plusieurs siècles ; et jamais l’école ne fut aussi prospère qu’à ce moment-là. Malheureusement qu’il s’agisse de cette question ou de toute autre, l’État moderne fait fi du bonheur des faibles et sauvegarde seulement les injustes privilèges des forts. ‒ L. Barbedette.

MAJORITÉ. Plus grand nombre. S’emploie par opposition à Minorité qui signifie plus petit nombre.

Lorsqu’une proposition recueille dans une assemblée quelconque la moitié des suffrages exprimés plus un, elle obtient la majorité. Lorsqu’un candidat, dans une élection, obtient la moitié des suffrages exprimés plus un, il est élu à la majorité absolue. S’il obtient au deuxième tour de scrutin, un plus grand nombre de voix que ses concurrents, sans réunir la moitié des suffrages exprimés plus un, il est élu, à la majorité relative.

De l’application de ce principe est découlé une loi qu’on a appelée à juste titre, loi de la majorité ou loi du nombre.

Principe et loi ont été fort critiqués dans les milieux anarchistes et la discussion à leur sujet est loin d’être close. Il se peut même que cette discussion dure aussi longtemps que le monde.