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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/355

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MOY
1699

l’époque présumée de la naissance du Christ avec le début de l’ère d’Auguste. En fait, il n’y eut là qu’une adaptation au paganisme montrant que le personnage du Christ n’était qu’une nouvelle incarnation du mythe solaire auquel appartenaient déjà Osiris, Mithra, Jupiter, Bouddha, et une foule d’autres. Tous les noms des mois sont demeurés ceux du calendrier d’Auguste. Plusieurs célèbrent des dieux ou de grands personnages : Janvier (Janus), Mars (le dieu de ce nom), Mai (Maïa-nus-Jupiter), Juin (Junius-Junon), Août (particulièrement le mois d’Auguste). L’imitation servile fut continuée et poussée si loin que, contre toute logique, september, october, november et décember qui désignaient normalement les septième, huitième, neuvième et dixième mois dans le calendrier romain, ne furent pas changés et demeurèrent les noms des quatre derniers mois, bien que leur nombre fut porté à douze, dans le calendrier grégorien composé en 1582.

Bien avant qu’il prît un caractère de secte de plus en plus particulier, d’abord chez les juifs, puis en se dégageant d’eux pour faire une religion nouvelle, le christianisme avait eu une longue préparation dans l’antiquité, il était dans l’esprit de révolte universel avant que la mystique juive lui donnât la forme messianique et que l’imposture religieuse s’en servit pour en faire un nouveau moyen de domination. C’est parce que le christianisme promettait la justice sociale que les foules plébéiennes et esclaves vinrent à lui. Il les déçut encore plus que les autres religions. Le prêtre chrétien remplaça ceux du paganisme et rien ne fut changé. Lorsque, en 325, soixante-dix ans avant la date officielle de la chute de l’empire romain, le concile de Nicée se réunit et formula les principes politiques qui seraient ceux de l’Église catholique, le nouveau programme d’asservissement humain fut établi. Les dieux païens pouvaient disparaître, l’empire pouvait crouler dans le sanglant crépuscule de l’antiquité : tout se préparait pour maintenir les hommes dans la géhenne sociale et perpétuer leur exploitation au profit de nouveaux maîtres, sous de nouvelles formes d’autorité. Au nom d’un Christ venu « pour les sauver !… » ce serait l’Église, puissance à la fois spirituelle et temporelle, ce serait la Féodalité, ce serait la Royauté qui détermineraient ces formes, en attendant que les temps modernes apportassent celles fallacieusement appelées « démocratiques » dans lesquelles la blagologie des anciens esclaves devenus les maîtres est aussi malfaisante que l’imposture religieuse. « Les droits aux grands, les devoirs aux petits » (J, Andrieu), voilà la formule que prononça dans des termes moins nets, mais suffisamment démontrée par les faits, le concile de Nicée, comme l’avaient déclaré tous les autocrates et théocrates passés, comme le déclareraient tous les autocrates et théocrates futurs. Les démocrates changeraient la formule mais laisseraient subsister les actes.

Le christianisme, sur lequel il y a lieu d’insister, parce qu’il est considéré par les historiens comme la pierre d’angle de la nouvelle formation sociale succédant au paganisme et à l’empire romain, ne fut donc pas une création spontanée et n’eut pas, dans les premiers siècles, l’importance que lui ont attribuée des légendes aussi fausses que nombreuses. La chute de l’empire romain ne fut pas davantage un événement imprévu et subit. Au contraire. Lorsqu’elle fut enregistrée historiquement, il y avait déjà longtemps qu’elle était accomplie, et elle avait été l’œuvre de plusieurs siècles. Tous les événements qui caractérisent le moyen âge ne furent que le résultat de longues élaborations qui ne paraissent mystérieuses que parce qu’on ne les a pas suffisamment étudiées. Les historiens ont néglige généralement la recherche des causes profondes et lointaines des événements qu’ils ont racontés pour s’en tenir aux faits superficiels. Renfermés dans un esprit étroit de

classification chronologique, et n’ayant surtout que le désir de flatter les puissants du jour en célébrant ceux du passé, ils ont fait des deus ex machina de personnages qui n’étaient que des minus-habens soumis à toutes les contingences. Les notions historiques ont été ainsi complètement faussées et l’histoire est devenue du plutarquisme. (Voir ce mot). Elle a été réduite aux faits et gestes des rois et de leurs satellites. Pour M. Maurras, par exemple, l’histoire des « quarante rois qui ont fait la France » est toute celle du pays. En raison du même principe, l’histoire a particulièrement négligé les quatre premiers siècles de l’ère chrétienne et l’enchevêtrement si complexe de leurs évènements, pour ne mettre en évidence que quelques dates et quelques faits favorables surtout à l’Église. Elle ne s’est presque pas occupée entre-autres de la lutte engagée entre Rome et les barbares dès le temps d’Auguste. Ces barbares furent, bien autrement que le christianisme, les instruments de la fin de l’empire. Le christianisme n’arriva que pour parachever leur œuvre en tuant l’esprit là où ils n’avaient que bouleversé les institutions.

Nous ne pouvons écrire ici une histoire de cette période de quinze siècles, si particulièrement agitée, qu’on appelle le moyen âge. Elle a, dans la formation du monde occidental européen, la même importance que les bouleversements géologiques dans celle des continents. Nous indiquerons seulement ses faits principaux pour donner une idée de son caractère général.

L’événement principal du moyen âge fut dans les invasions des Barbares, nom qu’on donna aux nombreux peuples étrangers qui se répandirent dans l’empire romain et multiplièrent leurs incursions pendant près de dix siècles. Ces invasions furent le facteur principal de la chute de l’empire. On leur doit le développement du christianisme qui, très probablement, n’aurait jamais existé si l’empire était demeuré puissant. De l’état social nouveau qu’elles amenèrent sortirent la Féodalité et la Royauté comme puissances dominantes, les Communes comme centres de résistance de l’esprit de liberté.

La décadence et l’agonie de l’empire furent longues ; elles durèrent plus de cinq cents ans, paraissant parfois arrêter leur marche dans des périodes si brillantes qu’elles furent celles de la plus grande puissance romaine. Mais le colosse tremblait sur des pieds d’argile, le ver était dans le cœur de l’arbre. Le cœur de l’arbre était la liberté. Le ver était le despotisme avec tous ses abus d’autant plus dangereux qu’ils affectaient des formes démocratiques. Lorsque le ver eut complètement rongé le cœur, l’arbre s’écroula. La victoire des Barbares, puis de l’Église dont ils se firent les dociles instruments, fut alors facile.

La véritable force de Rome, celle d’où elle tira tout ce qu’elle eut de réellement grand fut dans l’organisation de la République et la liberté de ses citoyens. Cette force lui avait permis de résister à toute l’Italie, puis de vaincre Carthage et de se soumettre à la Grèce. Elle commença à se désagréger dans les conséquences des guerres qui aggravèrent la différence des situations entre nobles et prolétaires. Des luttes intérieures favorisèrent de plus en plus les entreprises dictatoriales des consuls et Octave accomplit sous le nom d’Auguste ce que le poignard de Brutus n’avait pas laissé le temps à Jules César de réaliser : l’établissement de l’empire. Dès ce moment, la liberté romaine qui agonisait depuis César, fut morte. Le Sénat fut soumis à l’empereur. Le citoyen, qui n’avait été soldat qu’aux moments de la défense de la patrie pour reprendre ensuite la charrue ou le marteau, fut remplacé par l’armée permanente des légions de mercenaires qui mirent l’empire à l’encan pour augmenter leur solde (donativum) et furent prêtes à servir toutes les entreprises des prétoriens pour ou contre Rome. Le citoyen, laboureur et ouvrier, de-