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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/354

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MOY
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peuple Hébreu qu’elle raconte. Les découvertes de documents beaucoup plus anciens, dont la Bible a été tirée en grande partie, on démontré qu’avant les Hébreux d’autres peuples, autrement grands et puissants, s’étaient manifestés et avaient préparé cette civilisation dont ils avaient recueilli les fruits. Les connaissances actuelles font remonter, d’après de Morgan « la première œuvre historique à 10.000 ans environ ». On ne peut dire si les trouvailles incessantes de l’archéologie ne feront pas reculer encore cette origine à de nombreux siècles en arrière.

L’antiquité, première période de l’histoire, a vu la formation, l’apogée et l’effondrement, parallèles ou successifs, des grands empires des régions orientales d’où sont sortis, puisés aux sources iraniennes des temps mythiques, les éléments de notre civilisation. Celui des Elamites, considérable il y a quarante siècles, a été célébré par la légende de Gigalmès. Sa capitale était Suse et sa domination s’étendait jusqu’aux bords méditerranéens. Les Assyriens lui disputèrent pendant quinze siècles la souveraineté sur les pays de la Mésopotamie. Suse fut pillée par Assurbanipal 650 ans avant J.-C. En face de l’empire assyrien et de sa plus célèbre capitale, Ninive, était le royaume de Babylone, dont les documents archéologiques constatent l’existence 4.000 ans avant J.-C. et les empires des Mèdes et des Perses. Pendant cinquante siècles, les races se combattirent et se mélèrent dans les pays d’Iranie, avant qu’elles fussent en rapport avec l’Occident et que, de celle communication, l’antiquité produisit, en Grèce, la plus admirable floraison de pensée et d’art que l’humanité eût connue. Il y avait eu des contacts divers par des expéditions guerrières et les déplacements de tribus nomades, mais la rencontre historique, celle qui détermina le courant des relations et des influences ininterrompues depuis, se fit lorsque Alexandre le Grand, entreprenant la conquête de l’Asie, alla jusqu’à l’Indus après avoir dépassé les pays de l’Iranie orientale, la Bactriane et l’Arachosie. D’autres expéditions d’Alexandre mirent l’Occident en contact avec l’Égypte qui était depuis longtemps en relation avec la Chaldée.

L’unité de la pensée humaine, transmise par les vieilles civilisations orientales à l’Occident, est manifeste (voir Littérature). Elle a été une fois de plus démontrée dans les ouvrages de M. Victor Bérard resumés dans sa Résurrection d’Homère, récemment publiée. Aussi, est-ce dans la rencontre, et dans la compénétration qui s’ensuivit, des civilisations orientale s avec l’Occident qu’on devait voir les commencements du moyen âge occidental, plutôt que dans ma victoire – qui n’en est qu’une conséquence bien secondaire quoique des plus néfastes pour ceux qui l’ont subie et la subissent encore – des imposteurs du christianisme sur le vieux monde païen. Le christianisme n’a tant d’importance pour nous que parce qu’il se manifeste encore dans la période très relative du temps où nous vivons. Combien de religions, différentes dans les apparences, mais semblables dans le fond, avaient avant lui installé leurs frelons dans la ruche humaine sans réussir à arrêter le véritable travail de la pensée et de la connaissance ! Dans quelques centaines d’années, la religion judéo-grecque, qui porte le nom du Christ comme celles qu’elle a remplacées portaient ceux de Mithra, de Jupiter etc., sera aussi oubliée qu’elles, et les charlatans qui courbent encore de nos jours des millions de têtes sous leur signe de la croix ne compteront pas plus, dans la mémoire des hommes, que leurs ancêtres, les prêtres de Cybèle qui dansaient dans les rues de Rome en l’honneur de cette déesse, ou que les sorciers du centre africain qui vantent la puissance mystérieuse de leurs gri-gris. Le véritable moyen âge devrait être considéré avec une portée plus haute l’étendant à une humanité plus vaste que celle parcel-

laire de l’Europe, et à un temps moins conventionnellement délimité, car on devrait enfin tenir compte que l’Europe n’est pas le monde entier malgré sa mégalomanie impérialiste, et que les trois quarts des hommes se sont toujours passés du christianisme malgré tout ce qu’on a fait pour le leur imposer par le feu et par le sang. Pour nous, qui ne voulons tenir compte que des grands courants humains, le moyen âge a commencé aux temps homérides qui ont vu la première manifestation en Occident, des idées dont il ferait sa civilisation et qui l’uniraient spirituellement avec l’Orient. Nous le voyons se prolonger dans notre temps, et plus loin dans l’avenir tant que la raison humaine ne se sera pas libérée de toutes les superstitions qui perpétuent l’esclavage de l’homme et retardent l’avènement des temps nouveaux.

Lorsqu’on limite le moyen âge entre ces deux dates, ou d’autres qui n’ont pas plus de raisons d’être choisies : 395, partage de l’empire romain – 1453, chute de l’empire d’Orient, on le renferme entre deux murs, on l’isole comme s’il n’avait pas eu de communication avec les temps qui l’ont précédé et suivi, comme s’il avait été le produit d’une génération spontanée que rien ne faisait prévoir, et comme s’il avait été arrêté brusquement pour s’évanouir dans le passé en ne laissant aucune trace. De telles précisions de dates historiques sont incompatibles avec les faits sociaux qui ont eu, au contraire, entre-eux, de très étroites et très complexes relations, ayant été à la fois, dans leur succession, des effets de causes précédentes et des causes d’effets’subséquents. Tel événement qui parait avoir été subit, auquel personne ne semblait s’attendre, a eu parfois des siècles de préparation. La relation entre les événements sociaux est aussi étroite qu’entre les phénomènes naturels.

Il y a plus d’apparence d’exactitude chez ceux qui font coïncider le commencement du moyen âge avec celui de l’ère chrétienne. Mais ils ne tiennent pas compte que le début de ce qu’on appelle « l’ère chrétienne » a été tout aussi arbitrairement fixé, pour des raisons politiques étrangères à l’évolution sociale dont le christianisme n’a été que le résultat, et qui l’ont fait attribuer à la révélation d’un homme et d’une vérité qu’on ne soupçonnait pas.

Si, comme on le prétend aujourd’hui, le christianisme a eu une telle importance que son avènement a changé la face du monde et a inauguré une autre époque de l’histoire de l’humanité, pourquoi n’a-t-on pas fait commencer l’ère chrétienne, et avec elle le moyen âge, au moment où le christianisme est devenu religion officielle à la place du paganisme ? C’est que l’événement ne présentait pas alors l’importance et n’avait pas surtout cette netteté qu’on lui a donnée depuis en en faisant une cause alors qu’il n’était qu’un effet. Le christianisme n’était pas du tout une révélation nouvelle apportée par un homme-dieu venu sur la terre à un moment donné ; il était l’écho de multitudes de voix venues de tous les côtés depuis des siècles, il était la nouvelle forme de l’aspiration fraternitaire des hommes que le paganisme avait déçus, il était né de ce paganisme dont il avait reçu la substance foncière, substance qu’il dénaturerait lui aussi par ses dogmes pour tromper à son tour l’humanité. Ce ne fut qu’en composant longtemps avec la vieille religion que le christianisme put lui être substitué, et il ne put se maintenir sans continuer à s’en assimiler les moyens, c’est-à-dire en se faisant païen quand le paganisme refusait de se faire chrétien. Il en fut tellement ainsi que, malgré toutes les victoires du christianisme, lorsqu’il s’agit de fixer le commencement de l’ère chrétienne, ce fut celle païenne d’Auguste qui fut proposée à plusieurs reprises et définitivement adoptée en l’an 800 par Charlemagne. On a voulu justifier ce choix en faisant coïncider