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MUF
1702

après, différents peuples Kymris (Edues, Arvernes, Bituriges, Aulerces, Carnutes, etc…) et autres tels que les Bolgs, ou Belges, venus d’Irlande, et des Helvètes. Or, il est tout à fail inexact que cette population était barbare et que les légions de Jules César – qui ne s’établirent d’ailleurs que sur une faible partie de leur territoire – lui apportèrent la civilisation. Elle avait fondé des villes qui étaient des cités libres et non des camps militaires à la romaine. La résistance opiniâtre que César rencontra devant Bourges et Alésia montra leur organisation puissante. La plus célèbre parmi celles qui demeurent encore, Paris, fut établie par les Bolgs de la tribu des Parisii qui lui donnèrent leur nom. Les Celtes étaient les Grecs du Nord par le génie de leur langue demeurée dans le français, et par leur culture intellectuelle. Le druidisme apporté par les Kymris était grec par son rite. Au ve siècle, lorsque le breton Pelasge, dans ses controverses avec l’africain Augustin, défendait le libre arbitre contre la tyrannie de la grâce et raillait le dogme du péché originel, il soutenait sans le savoir les mêmes « hérésies » que les Pères grecs avaient opposées aux fondateurs de l’Église romaine. Tout ce qui constitue le véritable caractère français lui est venu de ces peuples qui furent les Gaulois et dont les qualités l’ont fait plus proche parent du grec que du latin. Contrairement aux Romains, les Celtes mettaient les penseurs et les poètes au-dessus des gens de guerre. Leur littérature est celle qui a eu la plus universelle influence avec celle des Grecs. Elle a inspiré et rempli le moyen âge comme la littérature grecque à inspire et rempli l’antiquité. Les temps modernes, dans leur asservissement « classique », eurent le tort de la mépriser. Après la Grèce, ce fut la Gaule qui fournit à l’empire romain ses hommes les plus remarquables. On peut dire que la Gaule domina Rome.

« Au premier siècle de l’empire, la Gaule avait fait des empereurs, au second elle avait fait des empereurs gaulois, au troisième elle essaya de se séparer de l’empire qui s’écroulait. » (J. Andrieu.) Les barbares et le christianisme l’arrêtèrent dans cette œuvre. Les rapports des Gaulois et des Grecs, commencés par l’installation toute pacifique des colonies helléniques sur le littoral méditerranéen, démontraient entre eux de véritables affinités. Les Grecs n’eurent pas besoin des armes pour s’établir dans la Gaule. Ils y furent accueillis et non subis comme les Romains. Si Grecs et Gaulois avaient été en état, militairement, de résister à Rome et d’opposer aux Barbares une forte civilisation gréco-celtique, combien le progrès humain aurait pu être plus vaste et plus fécond ! Le christianisme, probablement tué dans l’œuf, n’aurait pas produit l’Église, et peut-être n’aurait-on pas vu la terreur féodale, l’absolutisme autocratique et le fanatisme religieux.

C’est le vieil esprit celtique, demeuré comme le sel de la terre gauloise, qui a animé de son souffle les grands mouvements populaires qu’on a vus en France, des Bagaudes soulevés si souvent au cours de trois siècles contre les exactions romaines, des Jacques, des Pastoureaux, des Tuchins en révolte contre la féodalité, des communiers qui, dès le xe siècle, fondèrent leurs cités libres, portèrent les plus rudes coups aux féodaux et les atteignirent dans leur principe en attendant qu’ils fussent vaincus dans la guerre. Ces communiers rédigèrent les cahiers déjà républicains des États généraux de 1356 et firent avec les Cabochiens et les Maillotins, avec Etienne Marcel, la première révolution parisienne. Ils dressèrent les beffrois en face des châteaux-forts et des églises, ils soutinrent tous ceux qui introduisirent et entretinrent l’esprit de libre examen dans l’Université, éveillèrent les hérésies contre le joug catholique de plus en plus pesant, défendirent farouchement le pays d’Oc contre les « barbares du Nord » (Stendhal) déchaînés dans la croisade des Albigeois. Tous ceux-là,

qui furent des révoltés pour la défense de la liberté pendant le moyen âge, sont les ancêtres directs et les inspirateurs des Réformés, des Camisards, des hommes de 1789, des sans-culottes de 1793, et de tous ceux qui firent les barricades de 1830, de 1818 et de 1871. C’est la vieille Gaule celtique qui s’est levée en 1791 à l’appel de la Révolution en danger comme elle s’était levée pur défendre le Tractus armoricanus, son territoire indépendant, contre les légions de Jules César, comme elle s’était levée pour chasser l’Anglais à la voix de Jeanne d’Arc. C’est l’esprit de cette vieille Gaule qui a produit la magnifique littérature française du moyen âge. Passant de Pelasge aux hérétiques de la première Université, à Abeilard, aux savants de l’École de Chartres, à Oresme, à tous les universitaires qui se rallièrent à l’occanisme, il s’est transmis par Montaigne, La Boétie, Bonaventure des Périers, Rabelais, à La Fontaine et à Molière, puis à Voltaire et aux Encyclopédistes pour aboutir à Michelet, à Quinet, à P. L. Courier, à Proudhon, à Renan, à Anatole France. Cet esprit que quinze siècles de tortures barbares et chrétiennes n’avaient pu écraser, retrouverait sa parenté et respirerait un air plus libre lorsque la Renaissance le remettrait en contact avec Homère, Socrate et Platon, c’est-à-dire avec la pensée universelle, Désormais, il ne pourrait plus être étouffé.

Nous n’avons pu présenter dans tous leurs détails le travail de la pensée et la lutte laborieuse et persévérante de l’esprit de liberté qui se poursuivirent dans l’Occident soumis, dès sa formation, à la théocratie et à l’autocratie les plus oppressives. Mais nous avons tenu à protester, avec quelques arguments autres que de simples affirmations, contre l’imposture qui attribue à ces puissances malfaisantes ce que le moyen âge a eu de bon et les possibilités qu’il a léguées aux temps modernes de poursuivre leur route vers une meilleure humanité. – Édouard Rothen.

NOTA. – Nous renvoyons, pour une connaissance plus complète du moyen âge, aux différents articles de l’E. A. dont le sujet comporte un développement historique sur cette époque et aux ouvrages suivants : Jules Andrieu : Histoire du moyen-âge. — Pierre Gosset : Histoire du moyen-âge. – Michelet : Histoire de France. – Elisée Reclus : L’Homme et la Terre. – Ph. Chasles : Études sur l’antiquité ; le moyen âge. – Frédéric Morin : La France au moyen âge. – M. Lachâtre : Histoire des papes et crimes des rois, des reines et des empereurs. – Paul Lacroix : Les arts au moyen âge ; Mœurs, usages et coutumes au moyen âge. – Félix Sartiaux : Foi et Science ou moyen âge.


MUFLISME n. m. Néologisme qui vient de mufle, nom donné à la partie nue terminant le museau de certains animaux : le mufle du lion du bœuf, etc… Le langage populaire a appelé mufle un visage laid, vieilli, désagréable. Saint-Amant a parlé de

« … la ruelle de lit
Où Madame s’ensevelit
Loin du jour, de peur qu’on ne voie
Que son mufle est une monnoye
Qui n’est plus de mise en ce temps ! »

Avec plus d’extension, mufle est devenu une forme de mépris et une injure à l’adresse d’un individu brutal, malappris, désagréable. Molière, dans Le Dépit Amoureux, a fait dire, contre un personnage exaspérant par la sénilité de ses propos :

« Chien d’homme ! Oh ! que je suis tenté d’étrange sorte
De faire sur ce mufle une application. »

Dans Tartufe, Orgon, non moins exaspéré par M. Loyal, donnerait volontiers les cent plus beaux louis qui lui restent encore pour :