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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/384

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MUS
1728

scène ; elle est par-dessus tout du théâtre. Elle a ouvert cependant des voies nouvelles nécessaires.

Plus que dans le drame lyrique, le théâtre musical s’est renouvelé dans la danse. Autant la collaboration de la poésie et de la musique est arbitraire et contradictoire, autant celle de la danse et de la musique est complémentaire et nécessaire. Le rythme commun scelle leur union. Il n’est pas une danse sans musique, il n’est pas une musique qui ne puisse être dansée, même la plus grave, la plus solennelle. La musique est l’âme de la danse ; la danse est la réalisation plastique de la musique. La révélation que furent les ballets russes détermina un bouleversement complet dans les conceptions de la mise en scène et de l’interprétation dramatique musicale. Celle-ci prit alors sa véritable expression et toute son importance.

Commencée pur Debussy, et on peut dire en marge du monde musical par Erik Satie, vrai novateur toujours incompréhensiblement écarté des concerts, bien qu’il soit compréhensiblement écarté des concerts, bien qu’il soit mort, l’œuvre de renouvellement musical est continuée pur les Dukas, Ravel, Florent Schmitt, Roussel,. Honegger, Darius Milhaud, Poulenc, les russes Stravinsky et Prokofiev, l’espagnol De Falla, qui sont les plus notoires parmi les vivants actuels, et d’autres plus jeunes. Elle s’étend à toute la musique dramatique et symphonique et à tous les genres, depuis le drame lyrique (opéra), le ballet, l’oratorio, jusqu’à la symphonie et la musique de chambre. Mentionnons, en regrettant de ne pouvoir nous y arrêter davantage, les musiciens russes dont l’œuvre a eu une part si considérable d’influence dans la nouveauté du mouvement musical actuel, les Glinka, Dargomisky, Tchaïkovski, Balakireff, Borodine, Rimski-Korsakov, Moussorgski. C’est dans le folklore russe dans son inépuisable source populaire d’inspiration, que la musique russe a pris l’originalité et l’intensité de vie qui la caractérisent. En Allemagne, formant la transition entre Liszt-Wagner et les jeunes musiciens actuels, Brahms, le plus opposé aux novateurs, Bruckner, le plus hardi parmi ceux-ci et son disciple Hugo Wolf, véritable génie musical mort trop jeune, à qui R. Rolland a consacré un article plein d’émotion, Richard Strauss, Mahler, Humperdinck.

La musique art social. — R. Rolland a écrit, en parlant de la portée sociale des œuvres de Berlioz : « Comment de pareilles œuvres sont-elles négligées par notre démocratie, comment n’ont-elles pas leur place dans notre vie publique, comment ne sont-elles pas associées à nos grandes cérémonies ? — C’est ce qu’on se demanderait avec stupéfaction, si l’on n’était habitué, depuis un siècle, à l’indifférence de l’État à l’égard de l’art. Que n’aurait pu faire Berlioz, si les moyens lui en avaient été offerts, ou si une telle force avait trouvé son emploi dans les fêtes de la Révolution ! » L’indifférence de l’État à l’égard de l’art est celle de la démocratie qu’il représente. Pour qu’il réalisât cette œuvre populaire que R. Rolland voudrait lui voir accomplir, il faudrait d’abord qu’une véritable démocratie ne continuât pas « la sale et stupide République » que Berlioz voyait déjà dans celle de 1848. Berlioz ne se dressait pas contre la révolution et la démocratie, mais lorsqu’il invectivait « l’infâme racaille humaine », il avait, comme Renan, comme Flaubert, l’intuition de ce qu’elle ferait de cette révolution et de cette démocratie (voir Muflisme).

L’État suivant la platitude de son élite gouvernante, « ne peut permettre qu’un certain degré d’art » (M. Leygues, ministre des Beaux-arts). Le fait qu’un Berlioz peut faire partie de l’Institut ne change rien à ce principe pas plus que celui d’un César Franck égaré dans le professorat du Conservatoire où il scandalisait les Massé les Reber les Bazin, producteurs de rogatons musicaux, parce qu’il avait « l’audace de voir dans l’art autre chose qu’un métier lucratif » (R. Rolland). De-

puis un siècle et demi que l’Académie des Beaux Arts a fait une place à la musique dans l’aréopage en y admettant six musiciens, on se demande quelle espèce de services elle lui a rendus.

Si, en Chine, depuis des milliers d’années, il y a au gouvernement un ministère de la musique, en France on n’a jamais eu un ministre que la musique ait intéressé, sauf en dilettante et comme protecteur de certaines de ses vestales. Malgré l’importance de la musique, la pédagogie officielle l’ignore ou ne s’en occupe que suivant des méthodes absolument incohérentes. L’organisation de son enseignement est d’une lamentable pauvreté, abandonnée à des initiatives parfois généreuses, trop souvent fantaisistes, sans programme sérieux qui la mettrait à sa vraie place dans la culture générale. L’enseignement démocratique, de plus en plus préoccupé de préparation guerrière et patriotique, aurait probablement banni la musique des écoles primaires si elle ne servait à apprendre aux enfants les exercices militaires en chantant :

« Petits enfants, petits soldats,
Qui marchez comme de vieux braves… »

On a vu, dans les premiers jours de la guerre de 1914 ces défilés d’écoliers, conduits dans les rues par leurs instituteurs en « service commandé », piaillant une Marseillaise qu’ils n’avaient jamais appris à chanter ensemble et en mesure. L’éducation musicale populaire est le dernier souci de la démocratie. Elle estime faire tout son devoir quand elle subventionne quelque orphéon ou quelque musique de pompiers, et encore ne le fait-elle pas pour la musique. Quand l’orphéon a bien chanté, quand les pompiers ont bien soufflé dans leurs embouchures, ils ont soif et ils vont boire ; cela fait marcher le commerce des bistrots, « remparts de la dignité nationale ».

En 1927, dans les nouveaux programmes de l’enseignement secondaire, on oublia tout simplement d’inscrire la musique. On ne l’ignore pas moins dans les ouvrages en usage dans cet enseignement. Après avoir longuement raconté des niaiseries sur les faits et gestes des rois et de leur séquelle, exalté leurs victoires, dissimulé leurs crimes, « plutarquisé » effrontément l’histoire, on fait une petite place à la science, aux lettres, aux arts. On cite quelques noms de ces savants, de ces poètes, de ces artistes qui purifient le passé de toutes ses infamies, mais on ne fait aucune mention des musiciens. L’histoire officielle n’a jamais connu que le tambour, et elle met une sorte de pudeur à dire que les vainqueurs de Valmy chantaient la Marseillaise. Dans les lycées, les cours de musique sont le plus souvent des séances d’épouvantable « chahut » où le malheureux professeur, qui n’a rien d’un Orphée, est impuissant à charmer les jeunes fauves déchaînés contre lui. La musique, « art d’agrément », n’est pas une matière du baccalauréat, et la jeunesse qui se prépare dans des voies « réalistes » n’a pas à s’embarrasser la cervelle de cette « futilité ». Dans un état social où la civilisation ne serait pas le triomphe de la flibusterie financière et de la barbarie guerrière, on ne comprendrait pas que dans les établissements d’enseignement il n’existât pas des chœurs capables d’apporter leur concours à des fêtes musicales, et que ces chœurs n’existassent pas au moins dans les conservatoires, avec obligation pour tous les élèves de chant d’en faire partie. Mais les conservatoires ne sont que des écoles de vanité cabotine où tous professeurs et élèves, sauf quelques honorables exceptions qui n’influencent aucunement l’ensemble, ne cherchent qu’à se faire une situation personnelle aux dépens de leurs camarades et surtout de la musique. Quelle autre besogne pourrait-on demander à ces conservatoires lorsqu’on voit les conditions matérielles de leur existence ? Il y en avait trente-six en 1914, il y en a actuellement quarante-quatre appelés pompeusement