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MUS
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musique à plus à perdre qu’à gagner, livrée qu’elle est à tous les procédés du banquisme.

Les premiers grands concerts furent ceux de la Société des Concerts du Conservatoire de Paris, fondée en 1828, sous la direction d’Habeneck. Bien que souvent retenue par la routine académique, cette société fit beaucoup pour le progrès musical. Elle commença la vulgarisation des symphonies de Beethoven dont le lumineux sillon ouvrit la voie à la musique symphonique quasi-ignorée en France. Elle admit Berlioz à ses programmes avant qu’il fût membre de l’Institut. Ce ne fut que vingt ans après, en 1848, qu’on vit le premier essai d’une entreprise de concerts indépendante. Seghers la créa sous le titre de Société de Sainte-Cécile. Elle dura jusqu’en 1854. En 1861, Pasdeloup fonda les premiers concerts populaires de musique classique. L’intention était remarquable et, si les résultats artistiques furent assez médiocres, l’entreprise n’en favorisa pas moins le goût musical qui s’éveillait dans les milieux intellectuels. L’intérêt soulevé par ces concerts provoqua la formation de la Société Nationale, en 1871, puis des Concerts Colonne, en 1871, et des Concerts Lamoureux en 1882. La Société Nationale répandit véritablement la connaissance de la musique symphonique et celle surtout des nouveaux musiciens français. Colonne s’appliqua à faire connaître Berlioz ; Lamoureux se voua à Wagner. Le vrai concert populaire où la musique, consciencieusement interprétée fut offerte au peuple, fut chez Colonne. Ses concerts ont fait une œuvre admirable pour la jeunesse studieuse et laborieuse que « l’ouvriérisme » ne détournait pas de la recherche intellectuelle et de la joie spirituelle. Les concerts Lamoureux avaient une clientèle plus aristocratique, mais pas plus intelligente ni plus vibrante d’un pur enthousiasme. Depuis, diverses sociétés de concerts se sont formées, se faisant une concurrence souvent plus boutiquière qu’artistique et dont les destinées n’ont pas toujours été heureuses. C’est que la musique ne trouve, parmi l’immense population parisienne, qu’un public assez restreint ; il serait insuffisant à faire vivre les entreprises musicales sans l’appoint important des étrangers de passage. En province se fondèrent aussi des sociétés de concerts qui plus ou moins prospérèrent et suivirent généralement les programmes des concerts parisiens.

Le public populaire qui ne s’abandonne pas aux basses productions de la musique théâtrale, du café-concert et du cinéma plus ou moins « sonorisé », fréquente quelque peu ces concerts, lorsqu’ils ne lui sont pas fermés par le snobisme. Il y met même une bonne volonté qui mériterait les encouragements sérieux d’un état social moins appliqué à l’abrutir. Mais tout se tient. On ne peut vouloir embellir l’existence intellectuelle et morale d’hommes qu’on veut tenir économiquement dans l’esclavage ; au travail-machine correspond la distraction-machine, au travail qui épuise le corps correspond le plaisir qui stérilise l’esprit. Plutôt que d’embellir la vie du travailleur, ses maîtres et leurs domestiques trouvent toujours que sont assez bons pour lui les ersatz, des sous-produits que des entrepreneurs d’ignominies fabriquent à son usage, estimant que la bonne musique n’est pas plus faite pour lui qu’une nourriture saine ou un bon pardessus. Si, « démocratiquement », on lui fait la faveur de lui offrir de la bonne musique, il ne faut pas qu’il soit trop difficile sur la qualité. C’est ainsi qu’on lit dans des journaux même socialistes, des opinions de ce genre : « Pour attirer le public au concert, il n’est pas indispensable de lui donner des exécutions parfaites, mais simplement de lui présenter des œuvres dont il comprend la valeur et dont il goûte la beauté, même à travers les imperfections qui résultent surtout d’une trop hâtive préparation. » Eh bien, nous disons énergiquement : Non !… Pas d’art du tout, plutôt qu’un art « socialisé » de cette

façon. C’est là une manière de faire « l’éducation musicale » du peuple, aussi pernicieuse que celle dont on fait son « éducation politique » ; la première lui fait perdre le sens du beau comme la seconde lui enlève toute vertu civique. Les démocrates-éducateurs suivent ainsi le courant général qui fait la contusion des classes dans le marais intellectuel du muflisme où il n’est plus rien que de bas. On s’habitue à des approximations, en musique comme en toutes choses, parce que l’utilitarisme tue le goût et que la mécanisation asservit l’intelligence et détruit le sentiment.

Il faudrait que les travailleurs comprissent bien toute la puissance éducative et émancipatrice de la musique. Elle rend l’individu plus fort, elle enrichit sa valeur collective, elle élargit sa puissance d’association et d’action. L’exemple le plus caractéristique de ce que peut faire la volonté populaire associée à une noble idée nous est donné aujourd’hui par les Fêtes du Peuple qui offrent aux travailleurs parisiens les plus magnifiques concerts qu’ils aient jamais eus. Ces fêtes sont nées de l’effort d’Albert Doyen, grand musicien et véritable artiste pour qui l’art n’a de signification que s’il est social. Après avoir commencé, il y a douze ans, en groupant pour chanter une centaine de travailleurs de toutes les professions, il a peu à peu élargi son œuvre, adjoint à son chœur un orchestre, et il est arrivé à offrir au public populaire qu’il convie dans les faubourgs, des fêtes musicales et poétiques qu’aucun grand concert ne lui offre. Aucun snobisme ne se mêle à l’élan spontané des prolétaires qui y participent, exécutants et auditeurs. Ils réalisent ainsi la grande pensée que Wagner a fait exprimer à Hans Sachs dans ses Maîtres Chanteurs de Nuremberg : « Le Peuple et l’Art sont solidaires ; ensemble ils fleurissent et prospèrent ». Ils poursuivent ainsi le but non moins magnifique de Berlioz qui voulait la liberté de la musique par la liberté humaine. Ils montrent la voie de la véritable émancipation au prolétariat tout entier, lorsqu’ils chantent l’hymne sublime de Beethoven :

« Que la liberté descende
De son radieux palais,
Que sur nous elle répande
La concorde avec la paix…
…Plus de haines, plus de guerres,
Grâce à son pouvoir vainqueur :
Tous les hommes sont des frères
Et n’ont plus qu’un même cœur. »

Edouard Rothen.

NOTA. — Nous nous sommes tenus, dans cet article, pour ne pas lu i donner des développements hors de proportion avec le cadre de l’E.A. à parler de l’histoire de la musique, de ses transformations et de son importance sociale. Nous n’avons pu parler que superficiellement de l’usage qui en est fait, d’abord par les trafiquants qui l’exploitent en faisant servir habilement les instincts et les sentiments humains au négoce qui est le leur, ensuite comme moyen d’abrutissement social et de démoralisation humaine. Tout cela se tient avec le système de médiocratie avilissante auquel est tombée la société actuelle et que nous avons dénoncé dans différents articles, notamment dans Art, Beauté, Lettres, Littérature, Muflisme. — E. R.


MUSULMANS (LES) non conformistes : Ismaïliens et haschischins. — Si l’Islam devint la religion du proche Orient et même d’une partie de l’Afrique et de l’est Asiatique, il s’en faut de beaucoup qu’il fut accepté avec enthousiasme par tous ceux auxquels il s’était imposé manu militari. Son monothéisme rigide, son rigorisme alimentaire, sa discipline dogmatique n’allèrent pas sans provoquer des protestations et soulever des révoltes chez ceux des conquis qui n’avaient pas perdu le souvenir des cultes voluptueux du paganisme oriental.