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Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 3.djvu/388

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MUT
1732

race indigène avec les « croisés » du moyen âge. L’opinion actuelle est qu’ils sont d’origine exclusivement iranienne. — E. Armand.


MUTINERIE (MUTINS, MUTINES) Subst. f. et m. Mutin vient du vieux français meute ou muete : trouble, insurrection. Familièrement, ce mot signifie espiègle, vif (enfant mutin) ; mais nous retiendrons surtout ici le sens d’insoumis, de rebelle, de révolté ou porté à la révolte (les mutins de Calvi). Se mutiner : s’insurger, se révolter (le peuple est lent à se mutiner). Le nom de mutiné a été donné, dans les Pays-Bas, au xvie siècle, aux soldats espagnols qui se révoltaient pour obtenir le paiement de leur solde arriérée. Ces révoltes revêtaient le caractère de véritables grèves militaires. Répudiant leurs chefs ordinaires, les mutinés choisissaient parmi eux celui qui devait les commander. L’élu (électo) soutenait devant les autorités les revendications des troupes mécontentes. Bientôt les mutinés voulurent s’indemniser eux-mêmes. Les Flamands achetèrent leur retraite, en 1606, moyennant 400.000 écus…

Des sens divers de mutinerie (où nous retrouvons : caractère espiègle, tournure vive, physionomie éveillée, etc.), nous intéresse surtout : mouvement, sédition de mécontents, explosion plus ou moins concertée de révolte qui affecte, en général, les milieux militaires. L’histoire est parsemée de ces gestes qui ont leur source dans des compressions maladroites ou excessives, des manquements aux promesses, des abus de pouvoir ou de discipline coïncidant avec des périodes de lassitude, de surexcitation, où les hommes, excédés, se laissent plus facilement gagner par l’effervescence. Simples sursauts de mécontentement, au début, les mutineries menu courant d’agitation — grandissent parfois jusqu’à la révolte et elles sont presque toujours à l’aube des révolutions. Dignité humaine qui se réveille, lueurs qui montent au sein de la conscience populaire, elles animent souvent d’un frémissement les mutineries et idéalisent jusqu’à celles qui n’ont à leur base que les plaintes d’un corps affamé et des revendications matérielles. Rien ne dira mieux avec quel esprit nous les abordons et les enseignements que nous entendons en dégager que la narration, en bref, de quelques mutineries caractéristiques.

Nous ne remonterons pas aux séditions guerrières qui ont pu troubler les tribus primitives, nous ne regagnerons même pas l’antiquité qui vit des rebellions d’esclaves, des soulèvements de barbares et de vaincus enrôlés, des insurrections de bandes mercenaires. Nous prendrons des exemples modernes, des actes qui sont à peine du passé, dont la secousse a marqué sa trace dans la mémoire des dernières générations…

Si elle peut être le premier acte de l’insurrection, comme l’émeute prélude d’ordinaire aux révolutions, la mutinerie ne s’accompagne pas toujours d’une pensée d’émancipation, à quelque égard pour nous sympathique. Il est des mutineries qui furent des gestes de réaction, telles celles des galonnés cléricaux criant au martyre du clergé lors des inventaires consécutifs de la loi de séparation et des expulsions de congréganistes, sous le ministère Combes. Sous la Révolution française, la Vendée, fanatisée par les prêtres et les nobles, se mutina et fit une guerre obstinée et parfois sanglante de guérillas au nouveau régime.



Les mutineries abondent pendant la grande Révolution. C’est par une mutinerie militaire que le Peuple de Paris, en 1780, s’émut au point que, sur une motion votée au Palais-Royal (dont le jardin était la salle des Assemblées populaires), les prisons de l’Abbaye avaient été forcées, et les grenadiers des gardes françaises enfermés pour avoir refusé de tirer sur le peuple,

avaient été délivrés et ramenés en triomphe. Cette émeute n’eut pas de suite. Une députation sollicita en faveur des prisonniers l’intérêt de l’Assemblée Constituante ; celle-ci les recommanda à la clémence du roi. Et ces grenadiers s’étant remis en prison reçurent leur grâce. Mais ce régiment, l’un des plus complets et des plus braves, était devenu favorable à la cause du peuple. Cela se passait aux premiers jours de juillet. Le 12, alarmées par la nouvelle du renvoi de Necker, plus de 10.000 personnes s’assemblaient de nouveau au Palais-Royal. Monté sur une table, un pistolet à la main, Camille Desmoulins les exhorte à soutenir le ministre déchu. « Citoyens, s’écrie-t-il, il n’y a plus un moment à perdre ; le renvoi de Necker est le tocsin d’une Saint-Barthélemy de patriotes, ce soir même tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ de-Mars pour nous égorger. Il ne nous reste qu’une ressource, c’est de courir aux armes ! »…

Excitée par cette harangue hardie, la foule se répand dans les rues, réclamant le rappel du ministre réformateur. Elle est assaillie par un détachement du Royal-Allemand (mercenaires étrangers), alors qu’elle promène en cortège les bustes de Necker et du duc d’Orléans et qu’elle a déjà gagné à elle le guet à cheval rencontré sur sa route et qui lui sert à présent d’escorte (autre mutinerie). Dispersée, cette foule se divise : une partie, sur la place Louis XV, est à nouveau attaquée par les dragons du prince de Lambèse et poursuivie dans le Jardin des Tuileries. Sabres au clair, les dragons frappent et tuent manifestants ou promeneurs. Le cri : « Aux armes ! » retentit alors dans les faubourgs comme au Palais-Royal.

Voici comment Mignet décrit la mutinerie des gardes françaises : « Le régiment des gardes françaises était, nous l’avons dit, bien disposé pour le peuple : aussi l’avait-on consigné dans ses casernes. Le prince de Lambesc, craignant, malgré cela, qu’il ne prit parti, donna ordre à soixante dragons d’aller se poster en face de son dépôt, situé dans la Chaussée-d’Antin. Les soldats des gardes, déjà mécontents d’être retenus comme prisonniers, s’émeuvent à la vue de ces étrangers, avec lesquels ils avaient eu une rixe peu de jours auparavant. Ils voulaient courir aux armes, et leurs officiers eurent beaucoup de peine à les retenir en employant tour à tour les menaces et les prières. Mais ils ne voulurent plus rien entendre lorsque quelques-uns des leurs vinrent annoncer la charge faite aux Tuileries et la mort d’un de leurs camarades. Ils saisirent leurs armes, brisèrent les grilles, se rangèrent en bataille à l’entrée de la caserne, en face des dragons et leur crièrent : « Qui vive ? — Royal-Allemand. — Êtes-vous pour le Tiers-État ? — Nous sommes pour ceux qui nous donnent des ordres. » Alors les gardes-françaises firent sur eux une décharge qui leur tua deux hommes, leur en blessa trois et les mit en fuite. Elles s’avancèrent ensuite au pas de charge et la baïonnette en avant jusqu’à la place Louis XV, se placèrent entre les Tuileries et les Champs-Élysées, le peuple et les troupes, et gardèrent ce poste pendant toute la nuit. Les soldats du Champ-de-Mars reçurent aussitôt l’ordre de s’avancer. Lorsqu’ils furent arrivés dans les Champs-Élysées, les gardes-françaises les reçurent à coups de fusil. On voulut les faire battre, mais ils refusèrent : les Petits-Suisses furent les premiers à donner cet exemple, que les autres régiments suivirent. Les officiers, désespérés, ordonnèrent la retraite. La défection des gardes-françaises et le refus des troupes étrangères de marcher sur la capitale firent échouer les projets de la cour contre le peuple ». Une mutinerie militaire, en pareil cas, se transforme vite en fraternisation…

Pour la prise de la Bastille, le surlendemain, c’est encore aux mutins des gardes-françaises qu’on dut le succès, puisque, suivant Mignet : « il y avait plus de quatre heures qu’elle était assiégée, lorsque les gardes-