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de la petite ville ; de concert on s’attaque à la poudrière, on s’empare des cartouches, on délivre les prisonniers. Puis la troupe sans chefs, qu’un caporal exhorte à la cohésion, arrive (ils étaient encore plus de huit cents, malgré les défections du parcours) à l’aube en vue de la cité… Gendarmes dépêchés contre eux tournent bride devant leur allure décidée, puis c’est le 81e qui vient prendre, sur la route, position de combat, baïonnette au canon. Les gars du 17e, résolus, imitent le geste de défense, s’engagent, hardiment sur les flancs des soldats hésitants. Et l’avance continue. Un mouvement enveloppant esquissé par les gradés du 81e n’aboutit pas, le bruit de quelques coups de feu ayant déchaîné la panique parmi les soldats « fidèles ».

L’entrée dans Béziers fut triomphale, mais là, épuisés et désorientés, dépassés d’ailleurs par un geste inaccoutumé, traversés de projets incohérents, les éléments révoltés, à qui manquent aussi la conscience du but et l’exemple de quelques meneurs, apparaissent bientôt désemparés et se laissent circonvenir. Sur la promesse — classique — qu’il n’y aura pas de sanctions, les mutins, après quelque flottement, consentent à entrer à la caserne Mirabel, puis à regagner Agde. Ils le font non sans dignité et même avec une certaine crânerie et une impression de force persiste avec la trace de ce triomphe momentané. Et le souvenir de ce sursaut qui, sans objectif arrêté et aussi sans méthode, devait être sans lendemain, n’a cessé de flotter, comme un avertissement et une menace dans les mémoires… (Voir La Révolte du 17e, brochure éditée à l’époque par « l’Union des Syndicats » ).



Dans la Revue Europe, du 15 juin 1926, M. Joseph Jolinon a publié un très curieux article intitulé : Les Mutineries de 1917. Il dit ce que fut cette fameuse mutinerie provoquée par les tracasseries, la lassitude, le dégoût, et surtout par les manœuvres de ceux qui en avaient besoin pour légitimer une répression exemplaire susceptible d’enrayer le mécontentement justifié des soldats sur le front. Il y eut, dit-il aux gens de l’Action Française qui accusaient Malvy de les avoir provoquées, plus de cent mutineries : « Plus de cent mutineries, ajoute-t-il, cela vous laisse rêveur, moi pas. Exactement 113 ; 75 régiments d’infanterie, 22 bataillons de chasseurs, 12 régiments d’artillerie, 2 régiments d’infanterie coloniale, 1 régiment de dragons, 1 bataillon sénégalais, sans compter les régiments qui, faute d’occasion, ne se révoltèrent pas, mais n’en pensèrent pas moins. C’est pourquoi j’écris sans exagérer :

« En 1917, l’ensemble de la troupe avait l’âme en révolte. Ce que l’arrière appela plus tard défaitisme, la troupe l’ignorait. Elle sentait venir le refus d’obéissance comme une conséquence fatale de la conduite de la guerre. En fait le gros des révoltes suivit l’échec du 16 avril. Tous les survivants vous diront : ceci entraîne cela. Rien de plus étranger dans l’ensemble à toute passion politique. »

Joseph Jolinon ajoute : « Pour avoir l’explication du phénomène par ses causes profondes, si naturelles, oubliez donc la guerre écrite, ôtez vos lunettes d’écaille, équipez-vous, quittez Paris le 2 août 1914, suivez ces hommes au pas. Cela va durer 32 mois de 30 jours de 24 heures ; 23.000 heures à raison d’un mort et trois blessés à la minute. »

Enfin, pour expliquer et faire comprendre les causes d’un état d’esprit général favorable à la mutinerie, l’auteur que je viens de citer écrit, évoquant les souvenirs horribles des sanglantes années de guerre : « Après la Marne on attend la victoire, on se réveille sur des cadavres, le champ d’honneur étale son irrespirable vérité…

Le premier hiver avec ses pieds gelés arrive en terrain découvert, et le poilu grelotte ; et la gloire ne le réchauffe pas. Sur 500 kilomètres, ce ne sont qu’éléments de troupes et d’ouvrages de boue… En 1915, la boue envahit l’âme. Époque des attaques partielles, tuantes pour le courage. En grignotant l’ennemi on meurt avec profusion. Il y a certainement deux tués de trop sur trois. Les revenants n’oublient pas ces assassinats. Interrogez-les. Ils répondent par des noms devenus sinistres. (Ici tous les lieux de massacres ignobles que je passe.) A la baïonnette contre des mitrailleuses : entre les lignes où gisent des amas d’agonisants lucides atterrés de mourir sans plus de secours que de résultats, les réseaux barbelés sont de déchirantes couronnes d’épines. Alors le moral en certains cas descend déjà au-dessous de zéro. L’affaire des fusillés de Vingré, celle du lieutenant Chappelant, celle des fusillés de Souain en sont les exemples les plus connus, mais on en trouverait d’innombrables, à jamais méconnus, si l’on abordait l’histoire des escouades. Notamment qui dira jamais le nombre de ceux qui recherchèrent « la bonne blessure » et de ceux qui se rendirent avec une joie profonde. On verrait alors à combien d’ordres inexécutables il fallait obéir au péril de sa vie, entre deux feux, je veux dire entre le chef et l’ennemi. »

L’offensive du 16 avril 1917, à elle seule, a donné les chiffres suivants, d’une statistique établie en chiffres ronds le 15 mai : Tués sur le terrain : 28.000 ; morts dans les formations sanitaires de l’avant : 5.000 ; blessés : 80.000 ; prisonniers : 5.000. Au total : 118.000 hommes.

Ce qui étonne, après cela, ce n’est pas le nombre élevé des mutineries : c’est qu’il y en ait eu si peu ! Les premiers manifestants sont les revenants, officiers en tête. L’état d’esprit du guerrier, voué à la vermine et à la mitraille, on le saisit ailleurs que chez les bourreurs de crânes de l’arrière, on l’apprend de la bouche même du poilu. Les rescapés hurlaient en redescendant : « On nous a fait assassiner. » On écrivait alors sur les wagons : « Troupes fraîches pour la boucherie » et sur les trains de Sénégalais destinés au général Mangin : « Troupes à consommer avant l’hiver » ; et l’arrière-front pour la première fois entendait sortir de la bouche « poilue » cette parole si humaine, quoique séditieuse : « À bas la guerre ! Pour en finir avec elle, pas d’autre moyen que de faire grève. » La contagion gagnait sans peine les seize corps d’armée de cette partie de l’arrière-front. Et ceux des tranchées n’en pensaient pas moins, en attendant la relève.

Ce sont les vieillards qui envoyaient les jeunes au massacre. Ce sont les possédants qui envoyaient contre les envahisseurs menaçant leurs biens les malheureux qui ne possédaient rien, si ce n’est les pauvres corps qu’ils laissaient par milliers sur les champs de souffrance et d’horreur… Il est vraiment formidable et incompréhensible que contre un pareil sort les millions d’hommes jeunes, vigoureux n’aient pas encore songé à se mutiner une fois pour toutes. Attendent-ils la prochaine dernière ?… — Georges Yvetot.


MUTUALISME n. m. (rad. mutuel). Le mutualisme dont nous nous occupons ici est celui de l’école américaine, dont Clarence Lee Swartz a résumé, tout récemment encore, la définition, le programme et les revendications dans « What is Mutualism », édité par Vauguard Press, de New-York. Le mutualisme (qu’on appelle aussi mutuellisme) est un « système social basé sur l’égale liberté, la réciprocité et la souveraineté de l’Individu sur lui-même, ses affaires et ses produits ; il se réalise par l’initiative individuelle, le libre contrat, la coopération, la concurrence et l’association volontaire en vue de la défense contre l’agression et l’agresseur et de la protection de la vie, de la liberté et de la propriété du non-agresseur ». Le mutualisme