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MYS
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qu’ils dirigent eux-mêmes ou sont censés diriger, Les primes s’appellent alors cotisations, et les indemnités pour maladies, accouchements, accidents, ou vieillesse, se dénomment secours, prestations ou pensions de retraites.

Le mouvement mutualiste est très puissant, quoiqu’en pensent beaucoup de camarades.

En France, en 1853, il y avait 2.095 sociétés mutuelles diverses, avec 289.000 membres. La progression a été constante et continue. En 1928, il y avait 20.200 sociétés, avec 5.300.000 membres.

Il est vrai d’avouer que, si ces chiffres sont impressionnants, celui des cotisations et des secours l’est beaucoup moins, puisqu’en cette année 1928, les sociétaires ont payé environ 300 millions de cotisations et ont reçu 205 millions de secours, ce qui ne fait pas gros par tête d’adhérent.

Le mouvement mutualiste est également très puissant dans certains pays : Grande-Bretagne, Suisse, Belgique, Pays germaniques et anglo-saxons. Les peuples latins sont beaucoup moins mutualistes.

Les assurances sociales, qui existent actuellement (1931) dans une trentaine de nations, ont considérablement transformé la mutualité. En certains cas même, elles l’ont tuée en tant que mouvement d’organisation libre et spontané.

Les assurances sociales sont, en somme, la mutualité décrétée obligatoire et placée sous la direction totale ou sous le contrôle de l’État. Les cotisations sont perçues obligatoirement comme une forme spéciale d’impôt, et les secours ou prestations sont répartis par un organisme plus ou moins officiel. La mutualité devient en un mot service public d’État.

Je regrette, pour ma part, que la mutualité ait perdu son caractère initial ; quelle ait évolué dans un sens de conservation sociale, et qu’elle finisse par être absorbée par l’État.

Dans son principe et dans son essence, la mutualité aurait pu et aurait dû être la forme la plus humaine, la plus pratique, et la plus libertaire de la solidarité.

Elle est le correctif indispensable à l’individualisme. Si l’on envisage, par anticipation, une société où les humains travailleront, et vivront librement, soit individuellement, soit en des groupements collectifs libres et fédérés, il faut de toute évidence que la solidarité s’organise : pour les malades, les inaptes, les accidentés, les vieux, etc., etc… Le valide d’aujourd’hui sera l’invalide de demain. Or, le principe mutualiste apporte des solutions, des expériences, des réponses qui peuvent concilier à la fois la plus grande liberté possible et la solidarité la plus effective.

Ce n’est pas le principe qui est mauvais, c’est l’application qui en a été faite, c’est la déviation que lui a fait supporter un milieu social comme celui dans lequel nous vivons.

Je crois que la formule de l’avenir est dans ces mots : libre association, libre coopération, solidarité mutuelle garantissant à tous les moyens de vivre, quelle que soit leur position du moment,

Pour si mauvaise qu’elle nous apparaisse, l’expérience mutualiste n’aura pas été inutile. — Georges Bastien.


MUTUALITÉ s. f. du latin mutuus, mutuel — Obligation réciproque entre plusieurs individus, en vue de se prêter, dans des occasions déterminées, aide et assistance pour éviter, ou atténuer les conséquences de certaines épreuves. La mutualité se pratique dans les divers systèmes de solidarité créés un peu partout pour adoucir les rigueurs du système social qui accumule toutes les charges sur le travail. L’ensemble des systèmes de sociétés de prévoyance, de solidarité sociale prend le nom de mutualité.

Le socialisme rationnel se présente comme une vaste association mutuelle au moyen de laquelle un homme ne peut être heureux et se développer librement que si les autres peuvent en faire autant.

Par intérêt général aussi bien que par dévouement, il est immoral que des membres de la société puissent être mis à profit pour le seul avantage de quelques-uns comme c’est actuellement le cas. Une mutualité rationnelle ne saurait tolérer un pareil esclavage domestique et social. C’est pourquoi l’égoïsme et l’ignorance sont les deux principaux fléaux que le socialisme doit combattre comme nuisibles à la mutualité. — E. S.


MYSTÈRE n. m. (latin mysterium ; grec musterion, de mustès, initié). Au début du xixe siècle, l’helléniste Creuzer prétendait encore qu’un collège sacerdotal primitif, détenteur de la croyance en un dieu unique et en l’immortalité de l’âme, s’était servi de symboles pour rendre ces idées plus accessibles au peuple. Symboles qui, pris à la lettre et mal compris, donnèrent naissance au polythéisme, alors que la pure doctrine était réservée aux initiés des mystères. Inutile d’insister sur l’erreur de Creuzer, universellement reconnue depuis longtemps. L’existence d’un enseignement ésotérique, de pratiques secrètes, destinés à satisfaire les âmes éprises d’inconnu, assoiffées d’au-delà, n’est, par contre, nullement douteuse ; sous des formes différentes, on les constate chez les peuples anciens et dans les religions les plus diverses. A côté du raisonnement logique, de la dialectique intellectuelle, trop incertaine à leur gré, trop lente aussi et sujette à de brusques éboulements, les croyants firent une place à l’illumination intérieure, aux éclairs de l’extase à l’ivresse des contemplations divines, dès que la religion cessa d’être affaire purement collective pour revêtir un caractère individuel. Mais les phénomènes mystiques, troubles nerveux caractérisés, ne peuvent résulter que de dispositions naturelles rares ou d’un déséquilibre provoqué par le jeûne, les macérations, les stupéfiants en général par ce qui favorise une concentration extrême de l’activité mentale.

Dans l’initiation ordinaire, on réduisit les épreuves et les purifications à la taille de l’humanité normale ; on s’adressa surtout à l’imagination. Des prêtres charlatans, disposant d’ingénieux mécanismes, provoquèrent des visions de circonstance sans danger pour le sujet ; l’enseignement des mystères prit un caractère symbolique accentué. A l’origine toute initiation consistait à expérimenter la mort et la vie qui devait suivre. Plongé dans d’épaisses ténèbres, terrifié par des apparitions macabres, le sujet était brusquement inondé d’une lumière très vive, pendant les mystères d’Eleusis. On le munissait, en outre, de formules permettant l’accès du ciel après la mort ; l’absorption d’une farine et d’une boisson sacrées, la présentation par l’hiérophante d’un épi, symbole de l’union de Pluton avec Déméter, d’autres gestes rituels, d’autres paroles achevaient de le persuader qu’il était muni du sérieux viatique pour le suprême voyage. Les mystères Orphiques avaient pour but d’éviter à l’initié le cycle des renaissances ; ils reposaient sur l’idée de métempsycose, si répandue chez les anciens. Personnage mythologique qui avait gardé le souvenir de ses incarnations successives, Orphée passait aux yeux des grecs pour l’auteur de longs poèmes où l’on montrait l’âme prisonnière dans le corps et soumise à des renaissances : punition du meurtre de Zagreus par les titans, pères des hommes. En Égypte, l’initiation visait à éprouver le degré de courage du récipiendaire, au moins dans les premiers stades, ainsi que sa force de résistance aux passions ; elle s’inspirait encore de l’idée de purification par les éléments : air, eau, feu. En Gaule, elle se poursuivait de longues années, pour les