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futurs druides lentement formés à la connaissance des doctrines et à la pratique des rites. Au Mexique, le nouveau roi devait seulement jeûner quatre jours, enfermé dans un temple, avant d’être enduit d’un onguent noir et aspergé d’eau lustrale par le grand prêtre ; mais, pour entrer dans un ordre guerrier, il fallait subir une initiation douloureuse et prolongée, Dans ce domaine les peaux-rouges ont fait preuve d’une cruauté exceptionnelle, d’autant plus grande, en général, qu’il s’agissait d’un grade plus élevé. Il est vrai que leur initiation n’avait point pour objet la transmission de dogmes secrets, mais la mesure de l’endurance de la force morale, du courage. Et le candidat roi que certaines tribus colombiennes soumettaient à un long jeûne, couvraient de plaies, livraient à la morsure de fourmis venimeuses, enfumaient dans un hamac, sans qu’il dût proférer une plainte, faisait preuve assurément de volonté ; il lui arrivait de mourir en cours de ces tortures successives.

Sous sa double forme d’enseignement secret et d’épreuve, l’initiation antique a laissé des traces dans le monde moderne. Le baptême est un semblant de noyade, suivi d’un retour à la vie ; le voile de la première communiante, de la mariée, s’avère d’un symbolisme évident ; on couvre d’un drap mortuaire le moine qui prononce ses vœux définitifs. Mourir au vieil homme pour renaître à une vie nouvelle, constitue le thème de nombreuses formules rituelles, dont le prêtre a perdu le sens originel et profond, mais qu’il répète machinalement. L’initiation maçonnique n’est pas sans analogie, semble-t-il, avec celle des égyptiens ; elle emprunte ses symboles aux associations médiévales de maçons francs ou libres qui voyageaient de ville en ville. Certains rites ont renoncé aux interprétations métaphysiques et aux sciences occultes pour s’en tenir aux réalisations sociales et aux données du savoir positif ; d’autres continuent, au moins dans les hauts grades, à faire une place aux recherches transcendantales. De cela je ne parle d’ailleurs que par ouï-dire, n’ayant jamais fréquenté les loges. L’idée d’épreuve n’a été retenue par la société moderne qu’au point de vue intellectuel et physique ; d’où les examens universitaires, d’où aussi les visites médicales et les concours athlétiques si en vogue aujourd’hui. Mais elle néglige volontairement les dispositions morales, sachant bien que nos chefs et leurs rejetons feraient piètre figure sous la toise mensuratrice de la vraie vertu. Les associations particulières agissent de même ; ce dont nos successeurs ne s’accommoderont plus, j’aime à le croire. Et si la persécution déclarée ou sournoise oblige encore certains mouvements à se propager dans l’ombre, certaines doctrines à rester secrètes, un jour viendra, je l’espère, où toute pensée s’épanouira libre et soucieuse seulement de vérité.

Au point de vue théologique le mot mystère offre un autre sens très précis : il désigne une vérité qu’il faut croire sans chercher à la comprendre parce qu’inaccessible à la raison. Citons les mystères de la Trinité ou d’un seul Dieu en trois personnes, de l’Incarnation ou du Verbe fait homme, de la Rédemption ou de la mort d’un dieu pour le salut du genre humain. Il en est de moindre importance : celui de la virginité de Marie affirme que les parties sexuelles de la mère de Jésus restèrent celles d’une jeune fille, malgré son enfantement ; celui de la transsubstantiation, tout en maintenant que le corps de Jésus est unique, le déclare, néanmoins, présent dans des milliers d’hosties simultanément et en entier ; celui de la faute originelle soutient que Dieu reste juste en punissant chacun de nous à cause de la désobéissance d’Adam. Dès qu’un dogme apparaît contraire à la raison ou contraire à un autre dogme, dès que la théologie aboutit à une impasse, sans possibilité de retour en arrière, l’Église s’empresse de déclarer qu’il s’agit là d’une vérité certaine, mais incom-

préhensible à notre entendement. Echappatoire suprême qui lui permet d’abandonner le combat en se disant néanmoins victorieuse ! Refus hautain d’une justification qu’elle estime périlleuse pour son infaillibilité ! Preuve manifeste, au fond, des contradictions de sa doctrine ainsi que de la faiblesse des postulats théologiques. Et, dans une religion, le nombre des mystères sera, naturellement, en fonction directe de celui des dogmes : sans importance à Rome, dont le paganisme restait une affaire sociale, du moins aux beaux temps de la République et de l’Empire, ils tiennent également peu de place dans l’islamisme, religion surtout morale et cultuelle. Mais le christianisme, particulièrement la branche catholique, fourmille de mystères plus ou moins avoués. Parti du judaïsme rabbinique, aux spéculations restées fort simples et soucieux avant tout de légalité, il se développa dans le milieu grec, ami des discussions métaphysiques et des explications transcendantales. Par une innovation qui lui valut l’hostilité de Pierre, mais assura le succès futur du christianisme, l’apôtre Paul appela les gentils à la religion nouvelle, en les dispensant des prescriptions mosaïques qui généralement leur répugnaient. Tant que les convertis restèrent des hommes du peuple incultes et simples, leur foi se satisfit d’affirmations peu nombreuses et peu compliquées ; dès qu’ils furent des intellectuels, la pensée théologique devenue fort active dut résoudre les problèmes essentiels posés par la spéculation grecque. De là, d’interminables querelles et les multiples hérésies des premiers siècles. Afin de trancher les difficultés et d’immobiliser la doctrine, on eut recours à des assemblées d’évêques ou conciles, dont les décisions firent loi ; d’où les dogmes prodigieusement nombreux aujourd’hui. On sait que le pape, proclamé infaillible, peut, maintenant, les accroître à son gré sans réunir de concile. Mais, après une vogue prodigieuse, ces dogmes meurent à tour de rôle lorsqu’ils ne répondent plus aux besoins religieux des croyants. C’est en vain que l’autorité ecclésiastique continue de garantir théoriquement leur vérité ; en fait, ils sont éliminés de la foi vivante et ne répondent qu’à des formules vides de sens, chez le commun des fidèles. Souvent ils deviennent impensables, même pour les théologiens qui les rentrent, prudemment, dans l’arsenal des armes rouillées ; tout naturellement ils passent alors au rang de mystères.

La trinité nous fournit un exemple de la genèse des mystères. Jésus, en admettant qu’il ait existé, se crut favorisé de grâces célestes toutes particulières, il se dit envoyé par Jahvé, mais n’affirma jamais qu’il était dieu ; les Synoptiques en fournissent la preuve lorsqu’on écarte les interpolations ajoutées après coup au texte primitif. Et les premiers chrétiens d’origine juive ne songèrent pas davantage à en faire un dieu véritable ; il était pour eux le Messie, comblé de dons par le Très-Haut et supérieur à l’humanité ordinaire ; mais l’identifier au Créateur leur eût semblé un blasphème. Les Grecs, habitués à la multiplicité des dieux, n’éprouvèrent pas le même scrupule ; que Jésus en fût un leur parut très naturel. Quand fut rédigé le quatrième évangile, ce pas décisif était fait dans l’esprit de plusieurs ; en identifiant Jésus au divin Logos de Philon, le pseudo Jean, qui n’est à coup sûr pas l’apôtre de même nom, acheva de continuer cette croyance et lui donna une base philosophique. Mais, cette divinité admise, comment expliquer la coexistence d’un dieu suprême et d’un homme-dieu sans porter atteinte à l’unité divine ? Comment supposer que dieu s’incarne et meure pour apaiser son propre courroux ? On crut résoudre ces difficultés en affirmant l’existence de deux personnes en dieu : le père demeuré inaccessible au ciel et plein de colère contre le genre humain, le fils ou logos qui, lui, s’est incarné pour donner satisfaction à la justice divine. Afin d’établir un rapport entre ces deux personnes, une troisième leur fut adjointe plus